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Le best-seller du jazz a 60 ans: “Kind of Blue” de Miles Davis

Le compositeur et trompettiste de jazz américain Miles Davis est mort le 28 septembre 1991 à Santa Monica. Ici lors d'une représentation au festival de jazz de Lugano en 1987 (archives). KEYSTONE/STR sda-ats

(Keystone-ATS) L’album “Kind of Blue” de Miles Davis, devenu un best-seller, fête ses soixante ans samedi. Disque le plus vendu de l’histoire du jazz, son importance dépasse largement les frontières de ce registre musical.

Le 17 août 1959, Miles Davis publie “Kind Of Blue”. Ce disque, où il développe les bases du jazz modal théorisées quelques années plus tôt par le compositeur George Russell, une révolution dans le contexte bebop de l’époque, “s’impose d’emblée comme un classique” selon Franck Bergerot, journaliste à JazzMagazine.

“Ce disque est un chef d’oeuvre incontesté qui se hisse au niveau des cantates de Bach, des concertos de Mozart ou des symphonies de Beethoven”, s’enthousiasme Vincent Bessières, commissaire de l’exposition “We want Miles” à Paris en 2009 et fondateur du label “Jazz&People”. Selon lui, “rien n’a vieilli dans cette musique, et son influence reste considérable”.

“Cet album ouvre une nouvelle voie, il fait figure de transition entre le hard bop chargé harmoniquement et une période modale laissant des plages harmoniques plus larges qui, selon Miles, sont plus propices à la créativité dans l’improvisation”, confirme le trompettiste français Nicolas Folmer, qui a publié début 2019 le disque “So Miles”.

“La Joconde”

Pour Franck Bergerot, auteur de deux livres sur Miles Davis, “Kind of Blue, c’est la Joconde”. “Le disque, d’un modernisme étrange, a un pouvoir d’attraction très spécial. Comme dans le sourire de la Joconde, pour lequel on fait la queue au Louvre, il y a dans ce disque quelque chose de mystérieux, qui tient à la trompette de Miles, à sa direction d’orchestre, mais aussi à ce qu’il a pu tirer de Bill Evans”, explique le spécialiste.

Pianiste de génie, Bill Evans, avec la modernité de son jeu, a joué un rôle prépondérant sur “Kind of Blue”, où les saxophonistes Cannonball Adderley et John Coltrane font aussi étalage de leur classe, tandis que Miles Davis développe son art de la gestion de l’espace.

Vingt-six ans après “Kind of Blue”, Miles Davis, qui a su épouser les évolutions musicales de son temps, en apprivoisant l’électronique ou le funk et en se familiarisant avec les claviers, entre en studio pour enregistrer ce qui doit être son premier disque chez Warner Bros., après sa rupture peu auparavant avec Columbia.

“Rubberband”, l’album oublié

Mais l’album dans lequel le “Sphynx” s’ouvre au funk, à la soul music et au hip-hop, ne verra finalement pas le jour. Miles Davis s’en détourne et enregistre en 1986 “Tutu”, un disque plus produit, et moins débridé que ne l’aurait été “Rubberband”.

Il aura fallu attendre trente-quatre ans, mais l’album oublié comptant onze morceaux devrait sortir dans trois semaines, le 6 septembre, en intégralité.

“C’est un disque qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui plaira”, prédit Franck Bergerot. “Rubberband respire un plaisir de jouer qu’on ne trouvera pas dans Tutu. Il y a une espièglerie, une spontanéité dans le jeu de Miles qui rappelle ce qu’il était sur scène à l’époque, qui me réjouit”.

Miles Davis voulait sur ce disque solliciter Al Jarreau et Chaka Khan. Dans cet esprit, Randy Hall et Zana Giles, les producteurs de l’époque, qui ont décidé de “terminer” cet album avec l’aide de Vince Wilburn Jr, neveu et ancien musicien de Miles Davis, ont fait appel aux chanteuses R&B Ledisi et Lala Hataway, sur un titre chacune.

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