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Le Conseil fédéral ne veut pas empêcher la monnaie scripturale

Le Conseil fédéral ne croit pas aux recettes de la monnaie pleine contenues dans l'initiative déposée en décembre dernier (archives). KEYSTONE/ALESSANDRO DELLA VALLE sda-ats

(Keystone-ATS) Les banques privées ne devraient pas être empêchées de créer de l’argent en octroyant des crédits. Le Conseil fédéral ne croit pas aux recettes de la monnaie pleine pour éviter bulles financières et faillites bancaires et les juge risquées pour toute l’économie.

Le gouvernement a appelé formellement mercredi le Parlement à rejeter, sans contre-projet, l’initiative “Pour une monnaie à l’abri des crises: émission monétaire uniquement par la Banque nationale!”. Il s’agit d’un thème complexe et il sera difficile d’expliquer à la population de quoi il en retourne, a noté d’emblée le ministre des finances Ueli Maurer devant la presse.

Actuellement, la Banque nationale (BNS) crée de la monnaie centrale et les banques commerciales créent de l’argent sur les comptes bancaires (monnaie scripturale) en octroyant des crédits. Les initiants critiquent ce système qui s’accompagne de formation de dettes.

Leur texte demande que les banques ne puissent plus créer de monnaie scripturale. “Une étatisation de l’argent”, selon Ueli Maurer. La BNS serait compétente pour produire l’ensemble de la masse monétaire. Cet argent nouvellement produit devrait l’être sans dette. La banque centrale devrait donc le transférer directement aux collectivités publiques ou aux citoyens.

La politique monétaire ne serait plus mise en oeuvre par le biais de taux d’intérêt mais par la gestion de la masse monétaire. Selon les initiants, l’argent de tous les comptes courants serait entièrement sécurisé. L’Etat n’aurait plus à sauver des banques à coups de milliards versés par les contribuables pour assurer le service des paiements.

Fausse recette

Le Conseil fédéral n’y croit pas. “L’initiative ne tient pas ses promesses”, a affirmé le ministre des finances. Son acceptation obligerait la Suisse à faire cavalier seul alors que son économie est fortement intégrée.

Il faudrait lancer une réforme profonde et risquée. L’incertitude générerait une grande retenue dans l’investissement et la consommation ainsi que d’importants flux de capitaux internationaux.

Indépendance de la BNS en jeu

La création de monnaie sans dette pourrait nuire à la crédibilité de la BNS, qui deviendrait par ailleurs l’objet de convoitises politiques. Sa capacité d’action en matière de politique monétaire pourrait diminuer, et il serait plus difficile de garantir la stabilité des prix.

L’argent qu’elle met en circulation a aujourd’hui pour contrepartie des réserves de devises et d’or inscrites au bilan. Si l’initiative était acceptée, la banque centrale ne serait plus en mesure, à long terme, de réduire la masse monétaire en vendant ces valeurs patrimoniales.

Autre conséquence de l’initiative: les taux d’intérêt du franc et le taux de change seraient soumis à de fortes fluctuations. Et, selon le Conseil fédéral, même un système de monnaie pleine ne pourrait empêcher l’apparition de cycles de crédit et de bulles d’actifs. Il n’est pas non plus certain que l’Etat ne doive plus sauver des banques qui occuperaient une position importante.

Dangers pour les banques

La réforme proposée par l’initiative pourrait réduire considérablement le champ d’activité des banques, qui n’auraient plus le droit de financer l’octroi de crédits par des dépôts à vue. Elles seraient obligées de recourir à d’autres sources de financement, éventuellement plus risquées.

Les coûts du trafic des paiements pour les clients pourraient augmenter. Les banques de petite taille, qui réalisent une grande partie de leurs revenus grâce aux opérations d’intérêts, seraient particulièrement frappées. Selon la statistique de la BNS, les banques détenaient à la fin 2015 des dépôts à vue de la clientèle à hauteur de 365 milliards de francs dans leur bilan.

Si la demande de crédits ne pouvait pas être satisfaite à l’aide d’autres sources de financement, la BNS devrait consentir des prêts aux banques. Et le volume des crédits serait donc en partie géré de manière centralisée.

Enfin, le gouvernement n’est pas sûr que la banque centrale, comme l’affirment les initiants, puisse transférer de 3 à 10 milliards par an aux collectivités publiques et aux citoyens.

Mieux vaut stabiliser

Le Conseil fédéral préfère miser sur sa propre stratégie pour stabiliser la place financière. Et de souligner que d’importants progrès ont déjà été réalisés depuis 2008, par exemple via les exigences applicables aux établissements financiers d’importance systémique (“too big to fail”).

Les avoirs déposés sur des comptes bancaires sont en outre garantis jusqu’à un montant de 100’000 francs. Et l’autorité fédérale FINMA surveille les banques qui pourraient prendre des risques excessifs.

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