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Russie: soupçon de blanchiment pour des banques européennes

Grâce à des fuites de données bancaires, l'association Organized Crime and Corruption Reporting Project a dévoilé les ressorts de la "Lessiveuse Troika", qui a permis de sortir de Russie près de 5 milliards de dollars, dont une partie provenant d'activités criminelles (archives). KEYSTONE/EPA/SASCHA STEINBACH sda-ats

(Keystone-ATS) Les noms de plusieurs banques européennes sont cités dans une enquête rendue publique cette semaine par un consortium international de journalistes, qui dénoncent un vaste système de blanchiment et d’évasion fiscale mise en oeuvre par la banque russe Troika Dialog.

Dans cette enquête, l’association Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) dévoile les ressorts de ce qu’elle nomme la “Lessiveuse Troika”, qui a permis, selon elle, de sortir de Russie entre 2006 et 2013 près de 5 milliards de dollars (autant en francs), dont une partie provenant d’activités criminelles.

L’association, qui a collaboré avec le site d’investigation lituanien 15min.lt et 21 médias étrangers, explique s’être appuyée sur une fuite de données bancaires portant sur 1,3 million de transactions entre 238’000 entreprises ou clients particuliers.

Après examen de ces données, l’association affirme que Troika Dialog a mis sur pied sur un réseau de 75 entreprises satellites domiciliées dans des centres financiers peu regardants et possédant des comptes bancaires auprès d’Ukio, un établissement bancaire lituanien.

“Étant donné que la Lituanie n’utilisait pas encore l’euro, Ukio avait besoin de comptes dans des banques européennes, telles que l’autrichienne Raiffeisen ou l’allemande Commerzbank, pour réaliser des transactions libellées en euros”, explique l’enquête des journalistes.

Outre Commerzbank et Raiffeisen, cette dernière étant visée par une plainte contre X, sont également citées les banques néerlandaises ING et ABN AMRO, la scandinave Nordea, l’allemande Deutsche Bank ou la française Crédit Agricole, via sa filiale de banque privée Indosuez.

Troika Dialog a ainsi permis à ses clients, dont beaucoup appartenaient à l’élite russe, de sortir clandestinement des fonds de Russie, cacher leurs actifs à l’étranger et blanchir de l’argent sale, est-il ajouté.

Les fonds ainsi exfiltrés auraient ensuite permis d’acheter de manière légale yachts, bijoux et même de financer une association privée parrainée par le Prince Charles.

Recul des valeurs bancaires

Dans le sillage de ces révélations, les valeurs bancaires européennes ont été sévèrement chahutées ces derniers jours. Le finlandais Nordea a perdu 4% lundi et l’autrichien Raiffeisen 12% mardi. Le titre Crédit Agricole était lui en repli de 1,36% mercredi à la mi-journée tandis qu’ING perdait 4%.

Cette nouvelle affaire survient au moment où la plus grande banque danoise Danske Bank est pointée du doigt dans une enquête sur un énorme scandale de blanchiment d’argent, qui lui vaut d’être dans le viseur de la justice dans plusieurs pays. Une enquête sur des soupçons de blanchiment d’argent vise également la banque suédoise Swedbank.

Elle s’ajoute surtout à une longue liste de scandales financiers survenus ces dernières années en Europe. Fin 2018, la banque néerlandaise ING avait notamment été au coeur d’un scandale de blanchiment d’argent et avait annoncé un accord conclu avec les autorités néerlandaises, prévoyant le versement de 775 millions d’euros.

Plus récemment, le géant bancaire suisse UBS, jugé pour “démarchage bancaire illégal” et “blanchiment aggravé de fraude fiscale”, a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une amende de 3,7 milliards d’euros.

Accusations prises “au sérieux”

Créée au début des années 90, Troika Dialog est devenue au fil des années l’une des principales sociétés d’investissement privées de Russie jusqu’à son rachat en 2012 par la première banque russe, le groupe public Sberbank.

Sberbank a dit n’avoir aucun rapport avec les faits dénoncés: “les faits cités dans l’article n’avaient aucun rapport avec Sberbank. Les opérations mentionnées étaient réalisées à partir de comptes de sociétés qui ne sont pas rentrées dans le périmètre du rachat de Troïka Dialogue par Sberbank”, a-t-elle indiqué dans une déclaration transmise à l’AFP.

L’influent investisseur Ruben Vardanyan, qui dirigeait Troika jusqu’à sa revente à Sberbank en 2012, a assuré, via un communiqué de son service de presse, que l’établissement avait “au cours de toute son histoire agi en respect total des principes de transparence et des standards internationaux de comptabilité financière”.

De leur côté, les banques européennes citées dans l’enquête et interrogées par l’AFP ont affirmé prendre au sérieux ces affirmations tout en affirmant avoir respecté leurs obligations de lutte contre le blanchiment d’argent.

“S’agissant de ce dossier, Indosuez Wealth Management a rempli toutes ses obligations relatives à la gestion de la lutte contre le blanchiment”, a affirmé l’établissement français Crédit Agricole, précisant qu'”Indosuez Wealth Management respecte les règles relatives à la lutte anti blanchiment” et “va bien au-delà de la réglementation en matière fiscale”.

Raiffeisen a de son côté indiqué avoir “fait l’objet par le passé d’enquêtes officielles et judiciaires intenses en lien avec certaines accusations, qui se sont révélées sans fondement”.

“Nous sommes déterminés à combattre le crime financier et le blanchiment”, a pour sa part affirmé la banque britannique RBS, qui avait racheté ABN AMRO en 2007 avec Banco Santander et Fortis.

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