
Pourquoi les médicaments sont-ils aussi chers aux Etats-Unis?

Jeudi dernier, Donald Trump a sommé 17 laboratoires de baisser le prix des médicaments aux États-Unis, sous peine de représailles. Cette menace, après un décret signé mi-mai, relance une promesse de son premier mandat restée vaine. Mais alors, pourquoi les prix des médicaments sont-ils plus élevés aux Etats-Unis qu’ailleurs? Explications.
«Si vous refusez d’agir, nous déploierons tous les moyens à notre disposition pour protéger les familles américaines contre les pratiques abusives en matière de prix des médicaments.» Ce sont les mots du président américain dans des courriers quasiment identiques adressés jeudi dernier à plusieurs dirigeants de géants de la pharma, dont Merck, Novartis, Roche, Pfizer, Sanofi, Novo Nordisk ou encore AstraZeneca. Donald Trump précise dans son courrier leur donner jusqu’au 29 septembre pour présenter des «engagements fermes» en ce sens.
L’une des lettres envoyées le 31 juillet dernier à plusieurs dirigeants de grands laboratoires pharmaceutiques. [X]
Ce mardi, le républicain a également annoncé envisager d’imposer à terme une surtaxe de 250% sur les produits pharmaceutiques importés aux États-Unis, dans l’espoir de voir s’installer des usines sur le sol américain (voir deuxième encadré).
En mai déjà, le président américain, à travers un décret, dénonçait des fabricants de médicaments qui «cèdent aux exigences de bas prix des autres pays» et s’opposent dans le même temps «à ce que les payeurs publics et privés (les assurances, NDLR) aux États-Unis puissent négocier les meilleurs prix pour les patients». Et d’annoncer que «les Américains ne seront plus contraints à payer près de trois plus cher pour les mêmes médicaments».
Des médicaments sur ordonnance bien plus chers qu’en Suisse
Une analyse donne raison à Donald Trump. Les prix pratiqués aux États-Unis sur les médicaments sur ordonnance sont en moyenne 2,78 fois plus élevés, selon une étude de la société de conseil et de recherche Rand Corporation, publiée au mois de février 2024 et basée sur des chiffres de 2022 d’un panel de médicaments sur ordonnance dans 33 pays de l’OCDE.
De sensibles variations existent suivant le pays comparé. Les prix bruts des fabricants pour les médicaments sous prescription sont ainsi 3,26 fois plus élevés aux États-Unis qu’en France, alors qu’ils ne sont par exemple que 1,72 fois plus élevés qu’au Mexique, mais plus de 10 fois plus qu’en Turquie. Comparés à la Suisse, les Américains paient 2,18 fois plus.
Les États-Unis, un pays idéal pour fixer un prix de référence
Mais alors, comment expliquer que les États-Unis paient leurs médicaments aussi cher? L’explication principale tient au fait que, contrairement à la plupart des pays européens, il n’existe pas de régulation nationale directe des prix. Chaque laboratoire fixe librement son tarif, et les négociations avec les assureurs se font individuellement, sans plafond imposé par l’État.
D’autres pays fixent des limites à ce qu’ils sont prêts à payer pour un médicament. La France, par exemple, plafonne la croissance des ventes des laboratoires. Si elles dépassent le seuil, le gouvernement obtient une remise. Aux États-Unis au contraire, les laboratoires pharmaceutiques échappent à ces restrictions légales sur les prix pour les patients couverts par une assurance privée et sur les prix de lancement des médicaments lors de leur première commercialisation.
«Les médicaments sont si chers aux États-Unis parce que nous les laissons faire», résume dans un article du New York Times Michelle Mello, professeure de droit et de politique de santé à Stanford. «Nous avons conçu un système de coûts des médicaments qui fonctionne comme un moteur, mais sans frein», ajoute-t-elle.
>> Revoir le reportage du 19h30 de la RTS:
Pour ces raisons, les laboratoires pharmaceutiques lancent souvent leurs nouveaux médicaments d’abord aux États‑Unis. Selon un rapport du Bureau de la planification et de l’évaluation des politiques (ASPE) du Département de la santé et des services sociaux américains, ce marché représente près de 50% des ventes mondiales de médicaments. Avec des prix de détail parmi les plus élevés du monde et une procédure d’autorisation en général plus rapide qu’en Europe, les États-Unis représentent ainsi le marché de référence pour les laboratoires.
Par ailleurs, le prix initial d’un nouveau médicament lancé aux États-Unis sert ensuite de levier stratégique. De nombreux pays, y compris en Europe, utilisent en effet le système de tarification externe, qui consiste à fixer le prix d’un médicament en se basant sur les prix pratiqués dans d’autres pays choisis comme référence. En fixant un tarif élevé aux États‑Unis, les fabricants influencent ainsi les plafonds ou marges de prix dans d’autres marchés, tout en maximisant leurs revenus avant d’entrer dans des pays à régulation plus stricte.
Des acheteurs dispersés et peu de pouvoir de négociation
Outre le fait qu’il n’existe pas de mécanisme de régulation des prix, les États-Unis ne disposent pas, à la différence de nombreux autres pays, d’organe de négociation unique, comme l’OFSP dans le cas suisse.
Les discussions et les négociations se déroulent entre le fabricant et plusieurs milliers de régimes d’assurance, ce qui réduit les possibilités d’obtenir des prix plus avantageux. En 2022, une loi a bien autorisé Medicare (le programme fédéral d’assurance santé des États-Unis destiné principalement aux personnes de 65 ans et plus) à négocier avec les laboratoires sur certains types de médicaments, des années après leur introduction sur le marché, mais les analystes s’accordent à dire qu’il faudrait un pouvoir de négociation beaucoup plus large pour pouvoir baisser les prix efficacement.
Manque de transparence
À cela s’ajoute que les assureurs privés américains font généralement appel à des intermédiaires, appelés gestionnaires de prestations pharmaceutiques (PBMs), pour négocier les coûts. Ceux-ci disposent d’un pouvoir de fixation des prix plus important. Mais le problème est qu’ils le font souvent avec une transparence limitée et peuvent être incités à facturer des frais sur les médicaments plus chers.
Dans un communiqué de presse publié à la fin du mois de juillet, l’American Medical Association (AMA), la principale organisation professionnelle et syndicale des médecins aux États‑Unis, reproche à ces intermédiaires de profiter d’un marché très concentré et d’une forte intégration avec les assureurs pour gonfler les prix des médicaments, limiter l’accès aux traitements et nuire à la concurrence.
«À mesure que les PBM agissent de plus en plus dans leur propre intérêt, sans transparence ni responsabilité, les prix des médicaments augmentent et les patients s’exposent à des risques pour leur santé en raison de traitements dont le coût est prohibitif», résume Bobby Mukkamala, président de l’AMA, cité dans le document.
Les hôpitaux et les médecins eux-mêmes sont aussi souvent incités à favoriser les médicaments les plus chers. Dans le cadre de Medicare, certains traitements sont par exemple payés d’avance avant un remboursement et un pourcentage supplémentaire sur ce prix censé couvrir les frais généraux. Il devient alors plus rentable de prescrire un médicament à 1000 dollars plutôt qu’à 100.
Enfin, dans son article, le New York Times explique également que les fabricants ont réussi aux États-Unis davantage qu’ailleurs à prolonger la période de monopole d’un médicament, grâce «à des tactiques d’accumulations de brevets», qui retardent l’arrivée des génériques.
Un problème fondamentalement américain
Derrière les prix très élevés des médicaments aux États‑Unis se cache donc un problème profondément américain: un système sans véritable négociateur central, des lois et régulations taillées sur mesure pour l’industrie, et un lobbying massif qui protège les marges des laboratoires.
Parmi les dix plus grands groupes pharmaceutiques mondiaux, cinq sont américains, ce qui montre bien que cette situation profite avant tout aux acteurs nationaux. Ces géants défendent bec et ongles un statu quo qui leur assure des conditions idéales sur leur marché domestique.
Mais pour baisser durablement les prix aux États‑Unis, Donald Trump mise désormais sur une approche plus controversée: pousser les entreprises pharmaceutiques à augmenter leurs prix ailleurs pour compenser des baisses aux États-Unis.
Une demande qui fait craindre des augmentations de prix en Europe. «Plus notre industrie pharmaceutique est faible, et c’est notre cas, plus on va dépendre des médicaments venant de l’extérieur, plus on sera sensibles à la politique menée par Trump, plus on va subir des pressions pour une augmentation des médicaments», résumait ainsi déjà au mois de mai dans une interview pour France Culture, Carine Milcent, chercheure au CNRS et spécialiste des systèmes de santé.

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