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Coresponsabilité des autorités suisses dans les activités de Crypto

La délégation des commissions de gestion du Parlement, présidée par Alfred Heer (UDC/ZH) - au premier plan - a enquêté durant neuf mois sur l'affaire Crypto. KEYSTONE/PETER KLAUNZER sda-ats

(Keystone-ATS) Le renseignement suisse a bénéficié des opérations d’espionnage de la CIA grâce à la société Crypto. Le Conseil fédéral porte une part de responsabilité dans les activités de l’entreprise. La délégation des commissions de gestion du Parlement a livré ses conclusions.

L’affaire Crypto a été révélée mi-février, suite aux recherches d’un pool de médias internationaux. La CIA et les services de renseignement allemands (BND) auraient écouté, grâce à des appareils de chiffrement de Crypto AG dotés de systèmes “vulnérables”, les conversations de plus de 100 Etats étrangers.

Les deux services de renseignement ont acheté l’entreprise zougoise à parts égales en 1970, en passant par une fondation du Liechtenstein. Le BND a quitté l’opération en 1993. Mais les Etats-Unis ont prolongé les écoutes jusqu’en 2018 au moins.

La délégation des commissions de gestion du Parlement a repris fin février la direction de l’enquête des mains du Conseil fédéral. En neuf mois, elle a interrogé entre autres cinq conseillers fédéraux et trois anciens ministres, a expliqué le président de la délégation Alfred Heer (UDC/ZH) mardi devant la presse.

Conseil fédéral pas informé

L’enquête parlementaire montre que le Service de renseignement stratégique, l’organisation qui a précédé le Service de renseignement de la Confédération (SRC), savait depuis 1993 que des services de renseignement étrangers se cachaient derrière Crypto. Les renseignements helvétiques ont alors collaboré avec eux pour collecter des informations sur l’étranger par le biais de cette entreprise basée en Suisse.

Cette collaboration était en principe conforme à la loi, mais elle avait aussi une portée politique. Pourtant, ni la ministre de la défense Viola Amherd, ni aucun de ses prédécesseurs, n’ont été informé avant 2019. Les autorités politiques auraient dû être informées plus tôt, c’était de leur responsabilité, a estimé Philippe Bauer (PLR/NE), membre de la délégation.

Cette dissimulation montre des lacunes dans la gestion et la surveillance exercées par le gouvernement. Ce dernier porte donc une partie de la responsabilité dans les exportations par la société Crypto d’appareils de cryptage “vulnérables”, conclut le rapport.

Crypto n’a jamais livré d’appareils “vulnérables” aux autorités suisses. La Suisse a toutefois profité des écoutes rendues possibles par ces appareils. Cela a rendu service à notre pays, a indiqué M. Bauer. Notamment dans le cadre de l’affaire des otages en Libye.

“Procédure illicite”

La délégation s’est aussi arrêtée sur la suspension par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), en décembre 2019, des licences générales d’exportation pour les appareils de cryptage vendues par les sociétés impliquées. Pour elle, cette procédure était illicite.

Les conditions légales pour un retrait des licences n’étaient pas réunies, a affirmé M. Heer. Le droit en vigueur ne prévoit pas la possibilité de bloquer une licence comme l’avait déjà conclu le groupe de contrôle des exportations en mars.

Toute entreprise suisse devrait pouvoir obtenir des autorisations d’exportation rapidement si aucun motif juridique ne s’y oppose. En bloquant ces exportations, la délégation estime que le Conseil fédéral a contrevenu au principe de bonne foi.

Toujours dans ce cadre, en février, le SECO a déposé une plainte pénale contre inconnu auprès du Ministère public de la Confédération pour infraction à la loi sur le contrôle des biens. Cette plainte repose sur une appréciation des faits superficielle et sur une argumentation juridique déficiente, selon le rapport. Elle relevait en outre du Département fédéral de l’économie et non du SECO.

Publication intégrale

La délégation émet douze recommandations à l’intention du Conseil fédéral. Elles vont des conditions pour informer rapidement les autorités en cas d’affaires de ce type à l’archivage des documents relevant du renseignement, en passant par l’acquisition des instruments de cryptage par l’armée.

Le rapport d’inspection sera publié intégralement, pour faire autant que possible la transparence sur cette affaire. En revanche, une plainte pénale contre inconnu sera déposée pour violation du secret de fonction, en raison de la divulgation du rapport avant sa publication par plusieurs médias, a ajouté M. Heer.

Quant au rapport rédigé par l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer, qui traite des activités de Crypto et des services de renseignement impliqués, il ne sera pas publié. Classifié secret, il contient des informations qui pourraient nuire aux intérêts de la Suisse.

Le Conseil fédéral a maintenant jusqu’au 1er juin 2021 pour donner son avis et se prononcer sur les recommandations de la délégation.

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