Un Burkina Faso plus démocratique et plus fragile
Le «pays des hommes intègres» traverse une phase troublée après la révolution de 2014 qui a permis de chasser du pouvoir l’inamovible Blaise Compaoré. Auteur d’un documentaire sur ce renversement présenté à Genève, Gidéon Vink témoigne de son pays d’adoption récemment frappé par le terrorisme djihadiste.
Présenté dans le cadre du Festival international du film et forum sur les droits humains (FIFDHLien externe), le documentaire «Une révolution africaine, les dix jours qui ont fait chuter Blaise Compaoré» raconte la révolution de la jeunesse burkinabée menée du 21 au 31 octobre 2014, le jour de l’annonce de la démission du président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis l’assassinat du capitaine Thomas Sankara en 1987.
Plus d’une année après cette révolution et des tentatives de coup d’Etat qui ont suivi, quelques mois après des élections présidentielles démocratiques, après aussi l’attaque djihadiste qui a ensanglanté ce mois de janvier la capitale du Burkina Faso (30 morts, dont deux Suisses), Gidéon Vink revient sur la révolution burkinabée et la situation actuelle, pleine d’incertitude. Interview avec ce réalisateur néerlandais et défenseur des droits humains installé au Burkina Faso depuis 2002.
swissinfo.ch: Les soulèvements en Afrique du Nord ont-ils été une source d’inspiration ou est-ce le Sénégal et son mouvement de jeunes «Y’en a marre»?
Gidéon Vink: C’est le Sénégal qui a le plus inspiré les jeunes burkinabés. Les événements du Maghreb étaient plus difficilement lisibles au Burkina. C’est le cas notamment de la Libye de Kadhafi où vivait une grande communauté burkinabée. Kadhafi était une figure plutôt appréciée au Burkina et dans le reste de l’Afrique.
Ce qui s’est passé au Sénégal était plus clair pour les Burkinabés avec une société civile, en particulier la jeunesse, qui s’est organisée pendant deux ans avec le mouvement Y en a marreLien externe. Ce qui a permis de désavouer dans les urnes le président Wade qui, comme Blaise Compaoré, voulait modifier la Constitution pour se représenter aux élections présidentielles. C’était un exemple bien plus positif que ce qui s’est passé dans les pays arabes. Il a inspiré le mouvement burkinabé Le Balais citoyenLien externe.
Dans le cadre de notre festival (voir encadré), nous avons d’ailleurs invité à plusieurs reprises des représentants du mouvement Y’en a marre et encouragé les échanges entre artistes engagés. Y’en à marre est notamment porté par le mouvement hip hop, également actif au Burkina avec des artistes qui sont aussi des leaders d’opinion.
Cela dit, je tiens à dire que la révolution burkinabée était apolitique, non partisane. Le seul souhait était d’avoir une alternance au sommet de l’Etat et du changement. Le Sénégal a montré que s’était possible. Avant ces événements, les jeunes n’avaient pas de place dans l’arène politique et n’y participaient pas. Ils représentent pourtant près de 65% de la population.
Un cinéaste au service des droits humains
Réalisateur de documentaire néerlandais formé en Belgique, installé au Burkina Faso depuis 2002, Gidéon VinkLien externe est à la fois réalisateur, producteur et programmateur d’un festivalLien externe de film sur les droits humains (12e édition). Il se déroule à Ouagadougou et dans trois autres pays de la sous-région, le Sénégal, le Mali et la Côtes d’Ivoire.
«Ce festival est né comme une réponse au Fespaco, le plus grand festival de cinéma en Afrique qui se déroule chaque année à Ouagadougou, souligne Gidéon Vink. Nous montrons des films engagés qui passent difficilement dans le circuit traditionnel des films en Afrique, notamment le FespacoLien externe, un festival d’Etat organisé par le ministère de la culture du Burkina Faso.»
Gidéon Vink est aussi directeur artistique d’une webtélé, Droit libre TVLien externe. Le cinéaste forme des jeunes réalisateurs aux films sur les droits humains.
swissinfo.ch
swissinfo.ch: Un peu plus d’une année après cette révolution, comment évaluez-vous le risque de contre-révolution? En exil en Côte d’Ivoire, Blaise Compaoré constitue-t-il un danger?
G.V. : Il est probable qu’il n’ait pas digérer son renversement. C’est un président dont l’orgueil a été humilié publiquement. Quoi qu’il en soit, on ne tourne pas rapidement la page d’un régime autoritaire qui a duré près de 30 ans. Les remous sont difficilement évitables. Blaise Compaoré a construit un régime dont les divers éléments sont toujours là. L’économie est toujours accaparée par son entourage. Il reste donc un système à démanteler.
Ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir ont pris leurs distances avec Blaise Compaoré, mais ils sont issus de son système et sont souvent aux affaires depuis plus de 20 ans. Ce qui a permis à l’ambassadeur de France d’ironiser en déclarant qu’il s’agissait de la continuité dans le changement.
Cette première année après la révolution a déjà été passablement agitée, avec des tentatives de coup d’Etat de l’armée, dont celui du Régiment de sécurité présidentielle qui a entrainé une vague de répression. On m’a confisqué mon matériel de réalisateur que je n’ai toujours pas récupéré. Mais notre but, l’élection présidentielle, a pu se tenir d’une manière un peu près équitable, fin novembre 2015.
swissinfo.ch: Il y a eu en janvier cette attaque djihadiste à Ouagadougou qui a tué 30 personnes dont deux personnalités suisses. Comment est-elle perçue au Burkina Faso? Comme une contagion du djihadisme qui sévit dans la région? Comme un risque d’instrumentalisation par les forces hostiles à la démocratisation du Burkina Faso?
G.V. : Il y a un peu de tout ça. On s’est beaucoup demandé au Burkina Faso pourquoi il n’y avait pas eu d’attentat jusque-là, alors que la sous-région était frappée par Boko Haram au Nigéria et au Niger (voisin du Burkina Faso) et les islamistes au Mali avec lequel le Burkina partage 1000 kilomètres de frontière. Nombre de Burkinabés estiment que Blaise Compaoré a tissé des liens avec ces groupes, comme médiateur dans ces conflits régionaux. Beaucoup pensent qu’il y a eu un deal entre ces groupes et Blaise Compaoré pour qu’il n’y ait pas d’attaques au Burkina Faso.
Quoi qu’il en soit, il faut admettre qu’on avait la paix et la stabilité avec Blaise Compaoré, même s’il n’y avait pas la démocratie qu’on souhaitait. Aujourd’hui nous avons gagné la démocratie, mais perdu la stabilité.
Ce qui devait arriver (l’attaque de janvier) est donc arrivé. Il faut en effet rappeler que le Burkina est une base arrière des armées française et américaine. Les opérations au Mali ont leur logistique au Burkina Faso. Le centre de commandement des Etats-Unis se trouve à Ouagadougou. Donc le Burkina est une cible logique.
swissinfo.ch: Y a-t-il la crainte d’autres attentats?
G.V. : Il y a un problème de sécurité avec une armée plus que divisée entre pro et anti-Compaoré, avec le régiment présidentiel qui a été démantelé et dont l’armée essaye de réintégrer un certain nombre d’éléments. Dans ce contexte, les Burkinabés se demandent si l’armée a encore les moyens de faire face à d’éventuelles attaques djihadistes, privée qu’elle du chef, Compaoré, qui la cadrait. Le Burkina Faso est entré dans une période de dangers. Ces derniers jours il y a eu plusieurs attaques à la frontière.
swissinfo.ch: Quel rôle ont les ONG étrangères et la coopération internationale dans cette phase de démocratisation du Burkina Faso?
G.V. : Ce n’est pas l’appui des ONG internationales qui a fait basculer quoi que ce soit. C’était le mouvement des Burkinabés eux-mêmes. Je n’ai pas senti beaucoup de courage de la part des instances internationales pour appeler l’ancien régime à changer. Plutôt que de critiquer l’autoritarisme de Blaise Compaoré, elles ont chanté les louanges du «faiseur de paix», du médiateur dans les conflits de la région. Ça arrangeait tout le monde, y compris les organismes de coopération internationale. Il faut dire que le Burkina Faso est un terrain très agréable pour les coopérants. Je me mets dans le lot, puisque j’ai débuté au Burkina Faso comme coopérant. Le Burkina a été le pays chéri de la coopération internationale. Mais très peu de ces coopérants ont voulu voir ce qui était sous leurs yeux, peut-être par peur d’être renvoyé. Au moins, il n’a pas été possible de dénoncer un soutien étranger à la révolution de 2014.
Le chef de la diplomatie suisse à Ouagadougou
Lors d’une tournée en Afrique, Didier Burkhalter s’est recueilliLien externe lundi dernier au Burkina Faso sur les lieux de l’attentat de Ouagadougou. «C’est avec émotion que nous nous sommes recueillis ce matin à Ouagadougou, sur les lieux de l’attentat du 15 janvier dernier qui a coûté la vie à de nombreuses personnes parmi lesquelles deux de nos compatriotes, MM. Rey et Lamon», a déclaré le ministre suisse des affaires étrangères (DFAE).
L’attentat de Ouagadougou a fait 30 morts et 71 blessés. Deux Suisses ont perdu la vie dans cette attaque, l’ancien patron de La Poste Jean-Noël Rey et l’ex-député valaisan Georgie Lamon, ainsi que la photographe franco-marocaine Leila Alaoui, à l’honneurLien externe au FIFDH).
Didier Burkhalter a ensuite rencontré son homologue burkinabè Alpha Barry. Les deux responsables ont parlé d’aide suisse au développement et de coopération économique. Ils ont fait le point sur les relations bilatérales entre les deux pays, avant d’aborder la situation politique et sécuritaire au Burkina Faso et dans les pays de la région. Le conseiller fédéral a aussi fait une « visite de courtoisie » au président Roch Marc Christian Kaboré.
Source: ATS
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