Depuis la Suisse, cet extrémiste de droite américain atteint des centaines de milliers de personnes
L’auteur américain Vox Day, à l’origine du concept de mâle «Sigma» véhiculé par la manosphère, diffuse ses idées d’extrême droite depuis la Suisse. Rencontre dans le paisible village fribourgeois de Cressier.
Le «Wall Street Journal» l’a un jour qualifié «d’homme le plus méprisé de la science-fiction». Pour les chercheurs, il est un «un suprémaciste blanc». Vox Day rejette cette étiquette: lui-même se voit comme un nationaliste chrétien.
«Si tu veux me critiquer, alors fais-le pour mon rejet des Lumières», déclare-t-il. Il y a 200 ans, les Lumières semblaient prometteuses, poursuit-il. «Nous ignorions alors où le libre-échange et la démocratie allaient nous mener.» Aujourd’hui, «la totalité de l’Occident» est au bord du gouffre, c’est pourquoi le reste du monde, qui veut «survivre» et «prospérer», rejette les valeurs des Lumières.
«Des sauvages au QI faible»
Vox Day tient ces propos dans un immeuble résidentiel inachevé, situé dans une zone industrielle à la périphérie du village de Cressier. Dans l’appartement froid et à moitié vide où il nous reçoit, il a aménagé une salle de sport et installé des machines pour sa manufacture de reliures en cuir.
Si Swissinfo s’intéresse à cet homme, c’est en raison de son audience: selon Similarweb, son blog enregistre plus d’un demi-million de visites par mois, principalement des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de Hong Kong.
Vox Day utilise un langage dur et discriminatoire. Il a récemment intitulé un article «Ben Shapiro, c’est le cancer» en raison de la position pro-israélienne de ce journaliste juif américain de la droite conservatrice.
Dans un autre article, en 2025, il se demandait de manière rhétorique si la politique raciste était une «stratégie de confinement rationnelle» visant à réguler la cohabitation avec une «population, visuellement distincte, de sauvages au QI faible».
Vox Day veut devenir suisse
Vox Day opère depuis la Suisse. Il vit ici depuis 2005, année où il a publié un article intitulé «Pourquoi les femmes ne savent pas réfléchirLien externe».
Dans son canton de résidence, Fribourg, il a le droit de vote en tant qu’étranger, mais il n’est pas citoyen suisse. «J’ai passé les tests de langue requis et tout le reste, et je prévois de demander ma naturalisation», précise-t-il.
S’il apprécie la démocratie directe, il estime que la Suisse devrait se concentrer davantage sur elle-même au lieu de vouloir plaire à l’UE.
Qu’est-ce que le «Clown World»?
Un des thèmes récurrents de son blog est la résistance contre le «Clown World», une théorie du complot sur les forces sataniques contre lesquelles luttent la Russie et la Chine.
C’est sur Gab.comLien externe que Vox Day compte le plus grand nombre d’abonnés. Sur ce site, où il est suivi par quelque 35’000 personnes et où seuls les utilisateurs enregistrés peuvent lire ses publications, il s’exprime de manière encore plus crue. Au printemps 2024, quand un utilisateur lui a reproché d’éviter certains mots dans un article sur le «Clown World», il a répondu en ces termes: «Je n’évite aucun mot, espèce d’arriéré. Les Juifs qui t’obsèdent sont les instruments des satanistes mondiaux du Clown World, qui ne sont eux-mêmes que les serviteurs malveillants du véritable Mal inhumain.»
Il déroule ainsi des théories du complot antisémites. Vox Day reste tranquillement assis pendant qu’on lui lit ce commentaire. Puis: «Si tu es chrétien, tu crois au surnaturel», nous répond-il. Des personnes comme «George Soros ou Hillary Clinton» ne sont elles-mêmes que des instruments. Il nie que la description du «Clown World» fasse référence aux «Protocoles des Sages de Sion» antisémites. «Cela n’a rien à voir avec les Protocoles. C’est une référence au passage de la Bible dans lequel Satan offre à Jésus tous les royaumes du monde.» Jésus n’ayant pas refusé ce pouvoir à Satan, Satan règne sur le monde.
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«Un autochtone des États-Unis, pas un suprémaciste blanc»
C’est avec cette logique et un sentiment de supériorité intellectuelle que Vox Day répond à nos nombreuses questions. Il affirme ainsi qu’il ne peut pas être un «suprémaciste blanc»: il est lui-même, dit-il, un autochtone des États-Unis.
Il ne croit pas à l’évolution darwinienne. Le principal argument qui revient dans la conversation repose sur le fait que «les biologistes ne sont pas particulièrement doués en mathématiques». Quant aux philosophes des Lumières, ils «ne savent pas vraiment de quoi ils parlent».
S’il rejette purement et simplement de nombreuses découvertes scientifiques, Vox Day considère certaines études et observations douteuses comme absolues lorsqu’elles correspondent à sa vision du monde. Ainsi, «dans un système où elles doivent choisir entre deux hommes», les femmes ne devraient pas avoir le droit de vote: «elles votent systématiquement pour le candidat le plus grand et qui a la plus belle chevelure. Il existe une étude américaine à ce sujet.» Souvent qualifié de misogyne, le blogueur rejette ce terme, tout comme celui de raciste.
Le château de Vox Day accueille des lectures de la bibliothèque municipale
Vox Day se sent plus à l’aise dans la «culture noire» que «pratiquement tout le monde en Suisse», dit-il. Ses «coéquipiers africains», avec lesquels il joue au football, «se moquent éperdument» de ce qu’il écrit.
Il y a quelques années, il a acheté le château situé au centre de Cressier. Le tabloïd «Blick» avait alors titré: «Un Américain transforme un château suisse en bastion néonazi». Il aurait voulu l’utiliser «pour (ses) partisans exclusivement». Cela n’a pas été le cas jusqu’à présent.
La commune semble tout aussi peu se soucier des écrits du propriétaire de la demeure: il y a quelques jours, la bibliothèque communale a organisé au château une soirée d’histoires bilinguesLien externe pour le public local.
Sponsor d’un club de football et éditeur de livres
Depuis son appartement inachevé, Vox Day dirige une maison d’édition, Castalia Library, et la collection de bandes dessinées Arkhaven Comics. Lors de notre entretien, un employé s’affaire dans la cave à relier en cuir des livres, imprimés ailleurs, et à graver les motifs au laser.
Le cuir est importé, comme le montrent dans une pièce attenante des caisses entreposées portant la mention made in Korea. Selon Vox Day, 1500 livres sont reliés ici chaque mois. L’année prochaine, la production devra être multipliée par dix en raison de la forte demande.
La maison d’édition publie des classiques de la littérature mondiale, mais également de nouveaux textes. Il nous est impossible de vérifier de manière indépendante le nombre de livres vendus, mais l’homme derrière le pseudonyme a manifestement de l’argent. Sa maison d’édition sponsoriseLien externe également le club de football britannique Dorking Wanderers F.C.
Issu d’une famille aisée, Vox Day a connu le succès au début des années 1990 avec la musique techno avant de se lancer dans le développement de jeux vidéo. Pendant un temps, il a surtout été auteur.
Reste que les chercheurs américains qui s’intéressent à lui ne le font pas pour sa valeur culturelle, mais plutôt pour les controverses dans lesquelles il a été impliqué.
Le «Puppygate», la participation à des campagnes réactionnaires en ligne
Le spécialiste en sciences de la communication Max Dosser, de l’université Vanderbilt, le qualifie de «suprémaciste blanc». Entre autres parce qu’en 2016, Vox Day a publié sa «philosophie fondamentale de l’alt-right» (Alternative Right). «L’alt-right pense que nous devons garantir l’existence des Blancs et un avenir pour les enfants blancs», postule le 14e point de son programme. Il s’agit là d’une légère variation du slogan d’extrême droite Fourteen WordsLien externe.
Dans sa thèse, intitulée «Nostalgic FuturesLien externe», Max Dosser s’est penché sur la manière dont la haine et la colère alimentent les dynamiques réactionnaires des fans sur Internet. Il s’est notamment appuyé sur la campagne en ligne des «Rabbid Puppies», qualifiée de «Puppygate» par l’écrivain G. R. R. Martin, dans laquelle Vox Day a joué un rôle central.
Au milieu des années 2010, des fans réactionnaires ont tenté de prendre le contrôle des prestigieux Hugo Awards, décernés à des œuvres de science-fiction, avec leur propre liste politiquement acceptable. «À première vue, il s’agissait de récompenser la littérature dite “populaire” ou de préserver une vision nostalgique de ce qu’était autrefois le genre», explique le chercheur. Cela peut paraître inoffensif, mais les visions du monde qui se cachent derrière ne le sont souvent pas. Et ce genre de controverses en ligne empoisonne le débat.
Avec le recul, des campagnes comme celle du «Puppygate» ont marqué le début d’une indignation politisée sur Internet, estime Max Dosser. Désormais constantes, ces controverses ne se limitent plus aux marges de la société. «Des personnalités telles que Donald Trump, Elon Musk et d’innombrables autres à la portée internationale diffusent ces opinions et ces idéologies, il y a donc de moins en moins de raisons de les dissimuler.»
Le spécialiste en littérature Jordan S. Carroll s’est également penché sur Vox Day dans l’essai «Speculative Whiteness: Science Fiction & the Alt right». La participation de Vox Day au «Puppygate» était un acte de vengeance, écrit le chercheur en réponse à Swissinfo. «Il a ainsi tenté de se venger de la communauté de science-fiction, qui l’avait exclu après une série de propos racistes.» Pour finir, la communauté mainstream de science-fiction a clairement pris ses distances.
L’inventeur du «mâle Sigma»
Selon Jordan S. Carroll, Vox Day ne restera pas dans les annales comme éditeur ou artiste, mais «tout au plus» comme un blogueur et le créateur du terme masculiniste «Sigma».
L’appellation de «mâle Sigma» a été inventée et popularisée en 2010. Ce concept de masculinité s’est répandu sur les réseaux sociaux tels que TikTok «parmi les garçons de moins de 12 ans de la génération Z, qui n’avaient jamais entendu parler de Vox Day», précise Jordan S. Carroll.
L’une des origines du culte mondial de la masculinité – autour de figures telles qu’Andrew Tate et Joe Rogan – remonte probablement à un ordinateur en Suisse romande il y a 15 ans.
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Texte relu et vérifié par Giannis Mavris, traduit de l’allemand par Albertine Bourget/sj
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