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Les beaux restes du bon vieux Polaroid

La chanteuse Patti Smith ne se sépare jamais de son Polaroid. Reuters

Le Musée de l’Elysée de Lausanne vient de perdre sa collection d’instantanés Polaroid, vendue par les liquidateurs de la société en faillite. Mais le «Pola» vit encore de beaux jours: des passionnés ont relancé la fabrication des films analogiques et des photographes font encore joujou avec cet objet culte.

«Le Polaroid est instantané, permanent et sensuel. On peut le gratouiller quand il est encore frais, l’annoter, le coller n’importe où, l’offrir de main à main, et bien d’autres choses impossibles à réaliser avec notre captive iconographie virtuelle et téléphonique», relève Jean-Jacques Béguin. Ce photographe genevois n’est pas un grand nostalgique du «Pola» mais comprend le regain actuel de succès de cet objet photographique.

Stéphane Winter, lui, est un passionné. «J’utilise cette technique depuis que j’ai 5 ans pour faire toutes sortes de choses. J’aime le côté instantané, mais surtout le côté unique d’un objet qui restera unique.»

En 2010, ce photographe fribourgeois a réalisé pour le journal La Gruyère un reportage sur la Coupe du monde de foot avec son vieux SX-70. «Il y avait le côté un peu nostalgique du Pola, mais la Coupe du monde en Afrique du Sud, c’était de l’actualité pure 2010. C’est cette tension entre les deux qui m’intéresse.»

Un inventeur génial et visionnaire

Inventeur en 1937 de la feuille de matière synthétique permettant de polariser la lumière, fondateur de la société Polaroid, l’Américain Edwin Land a, entre autres, lancé l’appareil à développement instantané et les films qui vont avec.

Dès les années 1960, la moitié des familles américaines étaient conquises par ce jouet magique: on appuyait sur le déclencheur et l’appareil crachait une photo carrée à cadre blanc qu’il fallait ensuite agiter pour voir l’image apparaître peu à peu. Une image unique puisque sans négatif.

Pour perfectionner son procédé et se faire de la publicité, l’ingénieur visionnaire a fait appel aux professionnels: il leur fournissait appareil et films et, en échange de quelques tirages, leur donnait carte blanche. De 1970 à 1990, quelques 800 artistes ont contribué à la constitution de cette collection de photos instantanées, d’Ansel Adams à Andy Warhol.

Puis la révolution numérique a passé par là et, après deux faillites, la firme du Massachusetts a abandonné la photo analogique en 2008.

Résistance au numérique

Aujourd’hui, on assiste à une sorte de résistance au tout numérique qui ouvre un marché de niche: les disques en vinyle refont surface, les vêtements ou les montres «vintage» (rétro) s’arrachent. Le Pola n’échappe pas à la tendance, et certains photographes revisitent sa technique.

Magazines ou publicités utilisent fréquemment le mythique format carré avec le cadre et la bande blanche du bas, qui contient les produits de développement et permet d’écrire quelque chose. Tout aussi caractéristiques, les teintes un peu vieillottes, un certain manque de netteté qui nargue la précision du numérique. «Chaque modèle, chaque film, a sa signature, y compris dans les teintes. Il y a là une certaine esthétique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs», s’enthousiasme Stéphane Winter.

Alain Wicht, photoreporter du quotidien fribourgeois La Liberté, a réalisé en septembre 2010 un reportage en forme de clin d’œil à l’instantané analogique. Exposée au Showroom APCd de Fribourg, la série «New York en IPhone» a tout du Pola, mais… est le produit d’une application IPhone.

Du Polaroid qui n’est pas du Polaroid

«J’ai découvert cette application l’été dernier dans un reportage en Irak réalisé par un photographe de l’agence Reuters. J’ai été séduit par l’effet Polaroid obtenu, par le contraste entre l’original et le résultat après le passage par l’application», déclare le reporter.

Alain Wicht cite aussi David Hockney qui, dans les années 1970, avait réalisé des collages monumentaux à partir de multiples de Polaroid. Actuellement, l’Américain travaille aussi avec IPad ou IPhone.

«Cela m’intéresse de faire quelque chose de différent, mais avec le souvenir du Polaroid, poursuit le Fribourgeois. Dans le temps, il fallait agiter la photo pour la développer: le programme d’IPhone s’appelle «Shake it» (secouer) et fait donc directement référence au Polaroid, mais n’est pas du Polaroid, même si on a une sensation de Polaroid!»

Marché de niche

En 2008, lorsque la société américaine renonce à la production de films instantanés analogiques, les 300 millions d’appareils vendus en 60 ans étaient toujours en circulation.

Forts de ce constat, le photographe autrichien Florian Kaps et André Bosman, ex-directeur de production de films de l’usine Polaroid d’Enschede aux Pays-Bas, créent «The Impossible Project» et décident de relancer la production de films. La start-up rachète les stocks, les machines et reloue l’usine.

En 2010, sort un film instantané en noir-blanc et un en couleurs. Comme Edwin Land autrefois, The Impossible Project fait appel aux artistes pour améliorer la qualité et la notoriété du produit.

«Ils ont réussi leur pari, mais je sais qu’ils n’ont pas pu reprendre la recette exacte de Polaroid et ces films sont encore moins stables qu’avant, commente Stéphane Winter. Les teintes sont un peu différentes, un peu plus pâlottes, plus ‘sales’ et le noir et blanc est plutôt sépia. On aime ou on n’aime pas.»

Même passionné, le jeune photographe est conscient que le Polaroid est une espèce en voie de disparition puisque les appareils les plus résistants des années 1970 vont bien casser un jour.

Pour les films, une partie du savoir-faire a déjà disparu, selon Jean-Noël Gex, responsable de la recherche et du développement du secteur argentique d’Ilford à Marly (Fribourg). «Il y a des composantes qu’on ne trouve plus, ou qu’on ne sait plus fabriquer, malgré les installations et les brevets qui existent toujours, et certaines posent des problèmes écologiques.»

Déclin programmé

Mais c’est tout le secteur argentique qui se porte mal. Agfa a licencié par milliers en 2004, Ilford souffre et la situation de Kodak n’est pas extraordinaire non plus.

«Il y a bien encore des artistes qui s’intéressent à la création de photos uniques, mais le marché de l’argentique diminue inexorablement, regrette Jean-Noël Gex. On ne forme plus de photographes de chambres noires ou de laborants en photographie, aujourd’hui, tous sont formés au numérique et à Photoshop. Une fois que les derniers laboratoires auront disparu dans le monde, à l’horizon 2020 à 2025, ce sera terminé.»

«Avec l’argentique, on capture un peu de temps, le temps de pause, tandis qu’avec le numérique, on ne capture qu’une information traitée, manipulée et stockée. Il n’y a plus de relation avec l’objet, mais avec une information», conclut le chimiste d’Ilford, non sans nostalgie.

Land a fait appel aux professionnels pour perfectionner son produit: il leur fournissait appareils et films en échange de quelques tirages. Si bien qu’en 1990, la Collection Polaroid réunissait plus de 16’000 photos de 800 artistes et photographes américains et européens.

1990: les 4500 photos européennes de la Collection Polaroid sont confiée en dépôt au Musée de l’Elysée à Lausanne.

2010: suite à la 2e faillite de l’entreprise Polaroid, la collection historique américaine est vendue aux enchères par Sotheby’s.

2011: le Musée de l’Elysée n’a pas réussi à réunir les 750’000 dollars demandés pour racheter au liquidateur le lot européen, qui a été racheté par le Musée-Galerie Westlicht de Vienne (Autriche). Le musée lausannois conserve néanmoins une centaine d’œuvres suisses de Luciano Castelli, Béatrice Helg, Monique Jacot, Allen Porter et Christian Vogt entre autres.

La «Westlicht Collection» sera exposée du 17 juin au 21 août 2011 à Vienne.

Inventée par l’Américain Edwin Herbert Land (1909-1991) en 1939, cette feuille de matière synthétique permet de polariser la lumière.

Ses filtres ont permis de fabriquer des microscopes, des lunettes de soleil et, bien sûr, les appareils et films photographiques à développement instantané, qui ont fait fureur jusqu’à l’arrivée du numérique.

 

2008: fin de la production d’appareils et de films analogiques après deux faillites consécutives au boom de la photo numérique.

2010: ayant racheté les stocks, les machines et reloué l’usine de films d’Entschede (Pays-Bas), la start-up «The Impossible Project» re lance un film noir-blanc et un couleurs.

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