La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935
Les meilleures histoires
Démocratie suisse
Les meilleures histoires
Restez en contact avec la Suisse

Pourquoi la «démocratie fiscale» suisse peut servir de modèle à des pays très endettés comme le Japon

Campagne électorale au Japon
Les questions financières ont joué un rôle important dans la campagne électorale cette année au Japon. EPA / Frank Robichon

Le recours à la démocratie directe pour fixer budgets et impôts comme en Suisse pourrait aider le Japon à équilibrer ses comptes, explore un économiste japonais. Et renforcer la confiance dans le politique. 

Au moment de glisser le bulletin dans l’urne, beaucoup choisissent tel ou tel parti selon les politiques fiscale et budgétaire proposées durant la campagne.

Idem au Japon où les récentes élections ont été marquées par des thèmes budgétaires: taxe sur la valeur ajoutée, enseignement gratuit, augmentation de l’enveloppe pour la défense. Le 20 juillet, un grand nombre d’électrices et d’électeurs ont voté en fonction de ces questions, mais sans avoir la certitude que leurs choix seront suivis d’effets. 

Un principe voudrait que les questions liées aux finances publiques soient avalisées par voie démocratique. Au Japon, c’est le parlement qui s’en charge au nom du peuple, selon une démocratie dite représentative.

Mais le parlement répond-il à ce qu’une majorité de la population souhaite en matière de budgets? Spécialiste en finances publiques à l’Université d’Ibaraki, Yuta Kakegai rappelle que le Japon a la dette publique la plus élevée au monde.

«Mais comparée à d’autres pays, l’opinion publique au Japon est en réalité plus favorable aux coupes budgétaires et à la réduction de la dette», explique-t-il. Paradoxe, l’État continue de s’endetter alors que la population souhaite voir cette ardoise réduite. Ce qui crée un décalage.  

La démocratie fiscale comme frein aux dépenses

Yuta Kakegai
Yuta Kakegai, spécialiste en sciences financières au Japon et auteur d’un récent ouvrage sur la démocratie fiscale en Suisse. Photo mise à disposition

D’où provient ce grand écart et que faudrait-il pour y remédier et garantir «une démocratie fiscale»? Yuta Kakegai esquisse plusieurs pistes de sortie dans son livre The Horizon of Fiscal Democracy: Autonomy, Diversity and Direct Democracy in Switzerland. Littéralement en français «L’horizon de la démocratie fiscale: autonomie, diversité et démocratie directe en Suisse».

L’universitaire parle de «démocratie imparfaite» si elle n’influe pas sur les finances publiques. «La démocratie fiscale est nécessaire pour garantir des principes et aller au-delà des discours en tenant compte de la réalité économique». Il désigne la Suisse comme une démocratie fiscale type.  

Elle démontre de façon concrète, écrit-il, que dans un système où les finances publiques sont contrôlées par voie démocratique, les dépenses ne montent pas en flèche.

En 2023, la dette publique de la Suisse s’élevait à 39,2% du produit intérieur brut (PIB), alors que le taux d’endettement reste supérieur à 200% du PIB au Japon.

Contenu externe

Comprendre le b.a.-ba des finances

Mais au début des années 1990, avec l’éclatement de la crise immobilière, la Suisse a dû faire face à un déficit budgétaire. Des réformes ont été entreprises au milieu des années 1990, relève Yuta Kakegai dans son livre.

Il cite le passage de l’impôt sur le chiffre d’affaires (ICHALien externe) à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’introduction d’un frein à l’endettement et des objectifs de réduction du déficit. Une politique qui a conduit la Suisse à de nouveaux excédents.

Selon l’auteur, «des réformes de type néolibérales» ont été engagées dans l’idée de créer d’abord un «petit directoire» pour les appliquer. Mais ces propositions radicales ont été balayées par voie référendaire, alors que parallèlement une hausse des impôts accompagnée d’une discipline budgétaire trouvait toujours plus d’écho dans l’opinion publique.

En Suisse, signale-t-il, «lors de votations à l’échelon national ou local, des brochures sont distribuées dans chaque ménage pour passer en revue les tenants et aboutissants d’enjeux financiers». Ces efforts cumulés jouent, à l’entendre, un rôle crucial pour mieux comprendre le b.a.-ba des finances.  

Il ajoute aussi que «la démocratie n’est pas à l’origine de la crise de la dette», mais désespère qu’elle soit devenue «une coquille vide».  

La démocratie fiscale suisse

Quels sont les outils utilisés en Suisse pour éviter une situation comme au Japon? Pour Yuta Kakegai, une démocratie financière requiert d’abord une «participation» et des «délibérations», deux domaines où la Suisse excelle.

Les votations qui s’y tiennent régulièrement au travers d’initiatives populaires et de référendums sont un exemple de la façon de contrôler les finances publiques par la voie participative. En Suisse, les citoyennes et citoyens qui ont le droit de vote peuvent à tout moment lancer une initiative ou un référendum avec, comme condition, un nombre de signatures requis.

Plus
initiative

Plus

Démocratie suisse

Comment le système de démocratie directe fonctionne en Suisse

Ce contenu a été publié sur Les votations populaires suisses sont souvent enviées à l’étranger. Mais qu’en est-il réellement des instruments de démocratie directe que sont l’initiative populaire et le référendum? Et comment le système actuel a-t-il évolué? Explications.

lire plus Comment le système de démocratie directe fonctionne en Suisse

Yuta Kakegai a observé que pour les questions liées aux budgets et finances, c’est localement que la participation est la plus forte. Dans plus de 1650 communes suisses, l’assemblée communale à laquelle le corps électoral est convié décide des impôts et budgets.

Des villes comme Aarau ont activé un mécanisme automatique qui, lorsqu’un seuil est franchi dans les hausses budgétaires, le référendum obligatoire s’enclenche. Rien de ça au Japon où les politiques ont carte blanche au niveau local également.

Des décisions prises à la majorité simple lors d’un référendum ne reflètent en outre pas nécessairement les vœux exprimés par l’ensemble des partis. Des experts en finances publiques comme Yuta Kakegai considèrent que des instruments participatifs sont essentiels pour un meilleur contrôle démocratique. Des délibérations, discussions et consultations doivent avoir lieu au préalable.

L’universitaire japonais salue le systèmeLien externe tel qu’il est pratiqué en Suisse. Il en rappelle les grandes lignes dans son ouvrage. Avant de soumettre un projet de loi au Parlement, le Conseil fédéral, soit le gouvernement suisse, consulte les cantons, les communes et les partis politiques, ainsi que l’ensemble des organisations concernées.

Le Japon dispose certes de mécanismes participatif et délibératif comme des pétitions et motions. Ainsi que «les commentairesLien externe publics», ajoute-t-il. Mais, selon lui, ces apports ne fonctionnent pas correctement.

Si à l’échelon local, il est possible de mettre en avant certains thèmes en vue d’un référendum, la décision de mener à terme ce référendum reste du ressort des autorités. Et les résultats qui en découleraient ne sont pas contraignants.

«Le Japon pourrait introduire un système avec une votation dès qu’un certain nombre de signatures est recueilli», suggère-t-il.     

Limites de la participation et délibération

Mais en Suisse aussi, les volontés du peuple ne sont pas toujours récompensées par une situation financière idoine. Les mécanismes participatif et délibératif montrent aussi certaines limites. Localement, les processus peuvent s’avérer longs et répétitifs. En 2019, dans la ville d’Olten, le référendum lancé contre une hausse d’impôts décidée par le parlement avait conduit par exemple au gel (shutdown) du budget annuel. 

«Pour autant, les avis émis par les minorités peuvent avoir de l’impact en Suisse», relève l’auteur. En particulier lorsqu’une localité ou un canton adopte une politique qu’une partie des ayants droit juge beaucoup trop radicale.

En 2005, le canton d’Obwald a voulu introduire des impôts dégressifs pour les personnes fortunées. Ce qui avait conduit jadis le député communiste romand Josef Zysiadis à déménager du canton de Vaud à Obwald après qu’une majorité de la population a approuvé la loi. L’affaire avait fait grand bruit dans les médias. Avec des électrices et électeurs d’Obwald, il avait recouru jusqu’au Tribunal fédéral (TF), la plus haute instance juridique du pays, pour s’opposer à cette réforme. Le TF lui avait finalement donné raison, entraînant l’annulation de cette loi et contredisant la justice cantonale qui n’avait pas voulu entrer en matière.

«Si la démocratie n’est que comprise comme le dialogue pour atteindre un consensus, les opinions divergentes sont exclues», analyse Yuta Kakegai. «Protestation et engagement civique sont des éléments clés de toute démocratie, même si certains moyens ne sont pas toujours légitimes», poursuit-il. Mais il existe selon lui en Suisse «une culture d’engagement actif dans les mouvements sociaux» qui sert de base pour engager des recours.

Il explique enfin qu’au Japon, «les gens font comme s’ils ne participaient pas aux manifestations ou comme s’il n’y avait aucun sens de le faire».

Efficacité maximale

Nombre d’électrices et d’électeurs en Suisse partagent le sentiment que ce système leur permet d’influer sur la politique. En 2023, une enquête européenne a d’ailleurs classé la Suisse première dans ce domaine sur 28 pays sondés. Seuls 10% de la population suisse réfuterait cette thèse.

Contenu externe

Texte relu et vérifié par Benjamin von Wyl, traduit de l’allemand par Alain Meyer/op

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision