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Berne abaissera-t-elle ses tarifs douaniers agricoles pour complaire aux USA?

Boeuf américain
Une baisse des droits de douane sur le bœuf américain pourrait aider les États-Unis à changer d'avis au sujet de la Suisse. EPA/ALLISON DINNER

La Suisse s’escrime à négocier avec les États-Unis pour se départir des droits de douane punitifs imposés par l’administration Trump. Comme l’UE, doit-elle faire des concessions sur les importations alimentaires américaines?

Le 1er août, jour de la fête nationale, nombreux sont les Suisses à gagner une des fermes du pays pour un brunch riche en spécialités régionales. Rien ne réveille autant le sentiment patriotique qu’un bon buffet prodigue en viandes, fromages et taillaules, cuchôles, tresses ou encore pain du 1er Août, affublé de son petit drapeau suisse.

Cette année pourtant, le 1er août est resté sur l’estomac de beaucoup après l’annonce le jour même d’un droit de douane de 39% appliqué par les États-Unis aux importations arrivées de Suisse. Le taux le plus élevé d’Europe. Une notification qui a pris les Helvètes par surprise, d’autant que Berne était convaincue d’avoir emporté la mise. Soit une réduction à 10% du tarif de 31% annoncé par Donald Trump le 2 avril (le «Liberation Day» du Président américain).

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À ce stade, la messe semble dite. Les droits de douane américains à l’encontre de la Suisse rendront les produits helvétiques déjà coûteux encore plus onéreux pour le consommateur américain. Ils affecteront les ventes de produits haut de gamme comme le fromage, les montres ou les machines Swiss made.

Mais Berne n’a pas forcément dit son dernier mot. La question tient aussi aux concessions qu’elle peut mettre sur la table afin d’apaiser l’administration Trump, laquelle accuse la Confédération de maintenir un excédent commercial avec les États-Unis. Une option serait de réduire les droits de douane sur les produits agricoles américains vendus en Suisse. Il en résulterait un surcroît de produits américains sur le marché helvétique et, potentiellement, un abaissement des standards de qualité et de bien-être animal.

«Les droits de douane généraux de 39% sur les produits suisses annoncés par le gouvernement américain frappent durement l’industrie fromagère. Le taux actuel de 10% sera quasiment quadruplé, ce qui aura de graves conséquences sur les exportations», assure Désirée Stocker, porte-parole de Switzerland Cheese Marketing (SCM).

Même son de cloche chez Swissmilk, l’association suisse des producteurs de lait: le consommateur américain payera plus cher son gruyère.

«Aujourd’hui, huit mille tonnes de fromage suisse environ sont exportées vers les États-Unis. Les droits de douane américains entraîneront une hausse des prix sur le marché américain, hausse qui pourrait avoir un impact sur les ventes», estime Christa Bruegger, porte-parole de Swissmilk.

Droits de douane élevés en Suisse

Le gruyère se vend en moyenne cinquante francs le kilo aux États-Unis. Plus du double du prix pratiqué en Suisse. Avec les droits de douane, il en coûterait soixante-cinq, d’où une diminution attendue des ventes. Le problème est exacerbé par cette situation que le gruyère n’est pas une appellation protégée au pays de l’Oncle Sam. Le consommateur peut y acheter à loisir un gruyère américain moins cher ou un fromage étiqueté «Gruyère» produit dans d’autres pays européens soumis à des droits de douane inférieurs.

L’Union européenne, qui a obtenu des droits de douane américains bien plus faibles (15%), a consenti des concessions tarifaires sur les produits alimentaires américains importés. Notamment des droits de douane réduits sur des quotas spécifiques d’aliments comme les fruits de mer, les noix, les produits laitiers, les fruits et légumes frais et transformés, les aliments transformés, les céréales et semences, l’huile de soja, la viande de porc et de bison. Elle a toutefois exclu de la table des négociations les produits agricoles sensibles comme le bœuf, la volaille, le riz et l’éthanol.

La Suisse est-elle à même d’offrir ce type de concessions pour apaiser Donald Trump et négocier un accord plus avantageux? Le groupe de réflexion libéral Avenir Suisse en est convaincu.

«Ceux qui réclament des conditions commerciales équitables de la part de Washington ne devraient pas ignorer leurs propres barrières», juge une récente analyseLien externe qui ambitionne d’offrir au pays une ligne crédible en matière de politique économique.

Selon les données douanières, la Suisse a exporté pour 1,59 milliard de francs de produits agricoles vers les États-Unis en 2024. Plus de cinq fois la valeur des importations helvétiques de produits agricoles américains.

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Une des explications à ce déséquilibre commercial réside dans le niveau élevé des droits de douane que la Suisse applique sur les produits agricoles qu’elle importe. Des tarifs pouvant dépasser 100% pour certains aliments comme le fromage, la viande ou les légumes.

«Le taux de droits de douane brut moyen pondéré pour les produits agricoles [total des recettes tarifaires divisé par la valeur totale des importations] s’élevait à 21,3% en 2024. Un taux presque deux fois et demie plus élevé que dans l’UE et cinq fois plus haut qu’aux États-Unis», note Michele Salvi, vice-directeur et senior fellow chez Avenir Suisse.

En revanche, les droits de douane moyens de la Suisse sur les produits non agricoles apparaissent négligeables à 0,6%. Cet écart affaiblit la position de négociation de Berne, juge Michele Salvi, lequel souhaite que les droits de douane agricoles suisses soient inclus dans les négociations. Ce d’autant pour lui que les produits agricoles ne représentaient que 3,5% des exportations helvétiques de marchandises en 2024.

De la marge de manœuvre

Étonnamment, le secteur agricole helvétique n’est pas totalement opposé à l’idée de laisser entrer davantage de produits américains en Suisse.

«Notre industrie est ouverte à la possibilité de concessions spécifiques sur le fromage. Bien sûr, la protection des variétés de fromages AOP [Appellation d’origine protégée] doit être garantie au moment d’importer des fromages américains en Suisse», indique Désirée Stocker, porte-parole de Switzerland Cheese Marketing.

La politiquement influente Union suisse des paysans (USP) est elle aussi disposée à des concessions, mais pas pour tous les produits.

«Nous n’avons aucun problème avec les réductions tarifaires proposées pour des produits comme les oranges et les fruits de mer. La situation serait différente si la Suisse devait faire des concessions sur la viande, par exemple, qui est un produit agricole sensible», précise Sandra Helfenstein, porte-parole à l’USP.

Si la viande en Suisse est la plus chère d’Europe, c’est notamment du fait des limites fixées pour la détention d’animaux. La loi autorise un maximum de 300 veaux, 1500 porcs ou 18’000 poules par exploitation, alors que l’UE ne connaît aucune limite dans ses pays membres.

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«Sur le plan politique, il revient au Conseil fédéral de rétablir la situation douanière actuelle avec les États-Unis. Et nous renforçons notre gouvernement en gardant le silence», plaide Christa Bruegger chez Swissmilk.

Contacté, le Département fédéral de l’Économie ne souhaite pas commenter l’éventualité de droits de douane suisses sur les produits agricoles au menu de négociations avec les États-Unis.

«Les discussions se poursuivent à différents niveaux. Le Conseil fédéral fournira de plus amples informations en temps voulu», résume Markus Spörndli, porte-parole au Département de l’économie.

Laisser le consommateur décider?

Les préférences des consommateurs et consommatrices détermineront en partie si les concessions tarifaires sont acceptables pour le secteur agricole suisse. La viande de bovins américains traités aux hormones de croissance est un cas d’école. Cette viande peut être vendue en Suisse à condition que les tests excluent tout résidu d’hormones. Mais le secteur suisse de la viande reste assez convaincu que le consommateur helvétique fera la moue devant le bœuf américain, même s’il est moins cher.

«Le bœuf américain contient des hormones et n’est, de ce fait, pas très demandé en Suisse. Autrement dit, le marché [les consommateurs] décide aussi de ce dont il a besoin et de ce qui doit être importé», explique Philippe Haeberli, responsable de la communication chez Proviande.

Plus

La Suisse a intégré dans sa législation nationale sur les entraves techniques au commerce le principe du Cassis de Dijon, développé par la Cour de justice des Communautés européennes. Ce principe stipule qu’un produit conforme à la réglementation européenne et vendu dans un pays de l’UE peut être commercialisé librement en Suisse sans contrôle préalable. Certaines exceptions existent, notamment pour les œufs provenant d’élevages en batterie ou les produits contenant des organismes génétiquement modifiés.

«Il se peut que l’offre pour les consommatrices et consommateurs suisses gagne une peu en variété, mais avec une perte sous l’angle de la transparence aussi. Aux États-Unis, beaucoup de normes sont moins strictes qu’en Suisse ou dans l’UE. Qu’il s’agisse du bien-être animal, des produits génétiquement modifiés ou des additifs interdits en Suisse», explique Josianne Walpen, responsable alimentation auprès de la Fondation alémanique de protection des consommateurs (SKS).

Josianne Walpen juge nécessaire que le consommateur suisse reste informé de la manière dont les produits alimentaires américains sont fabriqués et transformés. Surtout si ces pratiques sont interdites en Suisse. Un étiquetage aujourd’hui obligatoire mentionne que la viande de poulet a été désinfectée à l’aide de solutions chlorées ou que des hormones et des antibiotiques ont été utilisés pour stimuler la croissance du bétail destiné à la viande de bœuf. Mais Josianne Walpen craint que ces indications ne fassent les frais de concessions accordées aux États-Unis.

«Il faudra voir si cette obligation de déclaration pour la viande et les produits génétiquement modifiés restera en place, prévient la représentante de la SKS. Car les exigences en matière de déclaration aux États-Unis sont moins favorables aux consommateurs qu’en Suisse».

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Pierre-François Besson/dbu

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