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De l’or russe pourrait avoir transité par Dubaï avant d’arriver en Suisse

souk de l or à Dubaï
Le souk de l'or rapporte à Dubaï environ 56 milliards de francs par an. Afp Or Licensors

Depuis le début des sanctions économiques contre la Russie, la part de l'or en provenance de Dubaï a augmenté en Suisse pour atteindre 15%. Des ONG et raffineurs évoquent un risque accru de contournement des sanctions.

Dubaï, la cité de l’or. Une véritable plaque tournante du commerce mondial de ce métal précieux. La ville voit passer entre 20 et 40% des stocks mondiaux d’or chaque année.

Son commerce a été valorisé à 56 milliards de francs l’an dernier selon le département des douanes de Dubaï. C’est la source d’exportation la plus lucrative après le pétrole. Une grande part de ces exportations arrive en Suisse, 4e partenaire commercial des exportations emiraties.

Mais la ville est régulièrement pointée du doigt, notamment par l’ONU, pour son laxisme en matière de contrôle sur la provenance de l’or. Les Emirats arabes unis se sont aussi rapprochés de Moscou ces derniers mois, et ont refusé de condamner l’invasion en Ukraine.

De quoi renforcer les arguments de l’ONG Swissaid, qui craint que de l’or en provenance de Russie transite par Dubaï avant d’être importé en Suisse, contournant ainsi les sanctions économiques.

L’or russe recule, celui de Dubaï explose

Au lendemain de la reprise des sanctions européennes par la Suisse, les raffineries helvétiques ont stoppé toute importation d’or de Russie (17 tonnes en 2021, pour une valeur de près d’un milliard de francs). En parallèle, les quantités d’or des Emirats arabes unis ont pris l’ascenseur: 56 tonnes en deux mois, pour une valeur de 3,3 milliards de francs. Du jamais vu depuis 6 ans.

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Pour Marc Ummel, responsable matières premières chez Swissaid, il faut craindre qu’une partie de cet or serve à financer la guerre: «On sait que la Russie exporte son or en partie en Chine, en Inde ou aux Émirats arabes unis. Et ce dernier a déjà joué dans le passé ce rôle de transit pour des pays qui étaient sous sanctions internationales comme le Venezuela, la Libye ou l’Iran. Ces pays-là blanchissaient leur or à Dubaï.»

Gros producteur et détenteur d’or

Selon le World Gold Council, la Russie est le deuxième producteur mondial d’or, avec plus de 330 tonnes extraites en 2020, soit 10% de la production mondiale.

Il y a l’or des mines russes, mais également l’or que la Banque centrale russe a accumulé dans ses réserves. Avec près de 2300 tonnes d’or, c’est le cinquième détenteur d’or souverain au monde. Equivalant à 132 milliards de dollars en or, cette réserve est une potentielle monnaie d’échange auprès des partenaires commerciaux qui n’appliquent pas les sanctions économiques.

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Quatre raffineurs suisses renoncent à Dubaï

Qui en Suisse achète de l’or de Dubaï, en connaissant ces risques? Parmi les cinq raffineries suisses membres du standard international London bullion market association (LBMA), quatre affirment ne pas avoir importé d’or de Dubaï depuis le mois de mars: MKS PAMP, Metalor, Argor-Heraus et PX Précinox SA.

Certains y renoncent même depuis plusieurs années. A La Chaux-de-Fonds, le patron de PX Précinox SA se dit même surpris par la quantité d’or importé des Emirats arabes unis depuis le mois de mars: «Il est très compliqué d’assurer la traçabilité, notamment pour l’or en provenance de Dubaï. Ce qui me surprend surtout, c’est le peu d’engagement des affineurs pour des sources alternatives, par exemple pour l’or d’origine artisanale.»

La semaine dernière, Robin Kolvenbach, directeur général de la raffinerie Argor-Heraeus, basée au Tessin, avait affirmé à Reuters: «On peut supposer que l’or provenant de Russie finit également dans les chaînes de valeur occidentales via Dubaï.»

>> Regarder le sujet du 19h30 de la RTS:

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Valcambi, sûr de son système de contrôle

Le leader suisse (et mondial) de la branche, le tessinois Valcambi, confirme avoir importé de l’or de Dubaï, mais il réfute l’accusation de contourner les sanctions contre la Russie. Par écrit, il répond à la RTS: «Nous sommes conscients du danger potentiel comme tout le monde, mais nous avons créé des systèmes qui nous permettent de vérifier nous-mêmes si les informations reçues des raffineries et des négociants locaux sont correctes ou non […] L’or que nous achetons n’est pas d’origine africaine ou russe. Les sanctions ne sont pas contournées par Valcambi, ni par nos contreparties à Dubaï, qui suivent strictement toutes les sanctions imposées.»

Cette diligence ne convainc pas Marc Ummel, qui a déjà dénoncé par le passé un client de Valcambi à Dubai. «Une fois que l’or est raffiné aux Emirats arabes unis, on perd toute trace. Cela pose beaucoup de questions sur l’origine réelle de cet or, qui peut être lié à de graves violations, ou au financement de conflits.»

L’ONG en veut pour preuve différents rapports, notamment du Conseil fédéral en 2018, du Contrôle fédéral des finances en 2020, ou encore une lettre du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) adressée aux raffineurs suisses en octobre dernier, leur demandant de bien vérifier l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement de l’or de Dubaï.

Les lacunes de la législation

De son côté, le SECO estime qu’il n’y a pas assez d’éléments qui dépassent la simple spéculation pour étayer les soupçons de contournement des sanctions. Son porte-parole répond par écrit: «Nous ne connaissons pas les raisons qui conduisent à ces augmentations d’importation d’or en provenance des Emirats arabes unis […] Il convient de préciser que ce pays n’est pas concerné par les sanctions prises par l’Union européenne et la Suisse. Cela signifie que l’or peut être importé légalement.»

Pour Swissaid, la législation de la Suisse, qui raffine près des deux tiers de l’or mondial, n’est pas suffisante. Marc Ummel dénonce deux grandes lacunes. La première: que les raffineurs n’ont pas l’obligation de déclarer l’origine réelle de l’or. La seconde concerne la loi sur le contrôle des métaux précieux, qui n’oblige pas les raffineurs à remonter l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. «Aujourd’hui, les raffineurs ne sont obligés de remonter que jusqu’au premier fournisseur, mais pas de contrôler toute la chaîne. C’est là tout le problème.»

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