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Et si on récupérait le contrôle de ses données

Les entreprises actives dans le big data - ici un centre de données de Google - tentent de cerner le plus précisément possible le profil de leurs utilisateurs. Si ces derniers avaient accès à leurs données personnelles, cela ouvrirait de tout autres possibilités (image symbolique). Keystone/AP Google/CONNIE ZHOU sda-ats

(Keystone-ATS) Nombre d’entreprises utilisent nos données pour établir des profils détaillés, mais seuls nous pouvons faire le lien entre toutes les informations. Une position dont nous devrions pouvoir profiter selon le Prof. Ernst Hafen. Il veut lancer une initiative dans ce sens.

Google sait par exemple quand et à quelle fréquence j’ai recherché le mot “Alzheimer” et où je me trouvais à ce moment-là. Le moteur de recherche ne peut en revanche déterminer si j’ai effectué la recherche pour ma grand-mère, le frère de ma femme ou pour moi-même.

Grâce à ma carte client, les commerçants peuvent établir un profil de mes habitudes et de mes préférences. Cependant, les données ne permettent pas de savoir si je mange autant de viande parce que je suis un bodybuilder ou simplement parce que j’aime ça.

Le même principe s’applique aux données médicales ou relatives au génome: leur valeur augmente lorsqu’elles sont associées avec d’autres. Or, seul le consommateur est en mesure d’établir des corrélations entre les informations de son application santé, celles de sa supercard ou de son historique internet et son parcours de vie.

Droit à une copie

“Nous sommes les meilleurs agrégateurs de nos propres données”, indique à l’ats Ernst Hafen, ancien président de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Le gros avantage des données est que, contrairement à l’argent, elles peuvent être copiées et donc utilisées de diverses manières. Pour cela, il faut d’abord que les consommateurs en reprennent possession.

A cet égard, les termes “droit à une copie” et “droit à la portabilité des données” sont capitaux. Les deux notions ont été inscrites dans le nouveau règlement de l’Union européenne sur la protection des données. Depuis fin mai, ce dernier donne le droit aux citoyens européens d’obtenir une copie électronique de leurs données et de la mettre à disposition d’un tiers, personne ou prestataire de services.

En Suisse, les deux dispositions n’ont pas été reprises dans la révision de la loi sur la protection des données. Pour le Conseil fédéral, le droit à la portabilité des données ne relève pas de la protection de la personnalité. Il s’agit de permettre aux personnes concernées de réutiliser leurs données afin de laisser jouer la concurrence. C’est pourquoi il considérait comme problématique d’édicter une telle législation.

Ancrer dans la Constitution

Le professeur Hafen et d’autres experts critiquent le fait que le Conseil fédéral ait ainsi choisi la voie de la moindre résistance. Tout ce qui aurait pu donner plus de pouvoir aux citoyens a été laissé de côté. La Suisse renonce ainsi aussi à de possibles avantages concurrentiels, étant donné que depuis fin mai l’Union européenne autorise la réutilisation des données.

Ernst Hafen va encore plus loin: il veut ancrer le “droit à une copie” dans la Constitution avec une initiative populaire. Pour lui, il s’agit d’un droit humain. De plus, la Suisse pourrait jouer un rôle important dans le développement d’une nouvelle économie des données et des services correspondants.

L’universitaire est en train de constituer un comité d’initiative qui regroupera des personnalités issues du monde politique, de l’économie et de la recherche. La récolte de signatures devrait débuter cette année ou au plus tard en 2019.

Marché de plusieurs milliards

La valeur des données personnelles est estimée à plusieurs milliards de dollars. C’est pourquoi les géants du big data tels que Facebook, Google ou Twitter mettent tout en oeuvre pour établir des profils de personnalité les plus précis possible afin de générer des profits avec de la publicité ciblée.

Actuellement, ce marché est presque exclusivement contrôlé par des multinationales étrangères. Elles profitent d’une position de quasi-monopole contre lequel presque rien ne peut être entrepris. “Les profits réalisés avec nos données s’envolent ainsi dans d’autres pays”, regrette M.Hafen.

Contribuer au bien public

En 2015, Ernst Hafen ainsi que d’autres professeurs, scientifiques et experts informatiques suisses et européens ont lancé la coopérative à but non lucratif “MIDATA”. Il s’agit d’une sorte de contre-projet, précisément d’une banque de données qui permet en toute sécurité de stocker, gérer et contrôler l’accès à ses données personnelles.

Les citoyens peuvent y stocker leurs données personnelles et contribuer à la recherche médicale en mettant volontairement à disposition leurs données. Une commission d’éthique contrôle l’utilisation qui en est faite. Le progrès médical qui en découle profite au plus grand nombre.

Selon Ernst Hafen, le but serait une société dans laquelle les gens disposeraient eux-mêmes des ressources, à savoir leurs données personnelles, et pourraient aussi en profiter. Ils obtiendraient non seulement une voix politique mais aussi économique et disposeraient ainsi d’un “incroyable pouvoir”.

Comme tout le monde possède énormément de données, le professeur Hafen parle d’un système hautement démocratique, libéral mais aussi social. Ainsi se développerait à l’avenir un véritable contre-poids au modèle économique dominant de la Silicon Valley.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

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