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En France, les amis de la Suisse changent de ton

Pour le sénateur UMP Pierre Hérisson, le secret bancaire suisse est un vestige d'une autre époque. ruralitic.com

Les pourfendeurs du secret bancaire dans l'Hexagone sont connus: Arnaud Montebourg et quelques autres. Y a-t-il, à l'autre extrême, un lobby suisse? Quelques amis sûrement, au parlement notamment. Des amis critiques, qui pressent la Suisse de poursuivre le changement.

Nicolas Sarkozy l’a dit: il faut se réjouir de la décision du Conseil fédéral (gouvernement) d’assouplir le secret bancaire, décision aussi douloureuse que «sage». En France, les quelques «amis» de la Suisse au sein de la classe politique se félicitent de voir la Confédération devenir enfin présentable sur le plan fiscal et bancaire. Et la pressent d’aller plus loin.

Vestige d’une autre époque

«L’annonce du Conseil fédéral constitue la première étape d’un processus qui aboutira, inéluctablement, à la disparition pure et simple du secret bancaire.» Qui parle? Arnaud Montebourg, pourfendeur de la place financière suisse devant l’Eternel? Non: Pierre Hérisson, sénateur UMP.

Cet homme de 69 ans a tout pour aimer la Suisse: Haut-savoyard, homme de centre-droit (UMP), entrepreneur. Et pourtant son amitié est critique, exigeante.

«La Suisse ne peut pas conserver un système révolu, qui permet la soustraction au fisc de pays étrangers et certaines formes de blanchiment. Le secret bancaire est un vestige d’une autre époque, appelé à disparaître.» Le verdict est clair. Pierre Hérisson préside au Sénat le Groupe d’amitiés franco-suisse. Un cénacle pas très actif.

La dernière visite d’élus en Suisse remonte à… 1990. Une amitié en déshérence? «Sûrement pas», corrige son secrétaire exécutif, Ernest Berthet.

Visites à Berne et Sion

Début avril prochain, une dizaine de sénateurs se rendront outre-Jura pour une visite approfondie: du 6 au 9 avril précisément, juste au lendemain du G20 de Londres, qui doit établir la «liste noire» des paradis fiscaux. «Pour une fois, l’intérêt pour la Suisse est très fort. Budget oblige, nous avons dû refuser des demandes, note Ernest Berthet. Trois journées bien remplies, à Berne et à Sion, où l’on discutera du système confédéral – le sujet passionne la classe politique française, en ces temps de réorganisation territoriale – mais aussi du secret bancaire.

«Ce genre de voyage est fait pour apprendre et comprendre, pas pour juger», tempère Ernest Berthet. Lequel distingue clairement le secret bancaire suisse du luxembourgeois. «Au Grand-Duché», il a été instauré pour sortir de la crise dans les années 1980. En Suisse, c’est une tradition ancienne.» Mais M.Berthet, natif de Thonon, s’excuse aussitôt d’avoir trop parlé: seul le président du groupe, Pierre Hérisson, a voix au chapitre.

«Le gouvernement suisse a précisé que les cas d’évasion fiscale seraient évalués au cas par cas. Le secret bancaire garde donc encore de solides verrous», note le sénateur. Lequel rejette la méthode dure des Montebourg et consorts. «Il ne s’agit pas de prendre la Suisse à la gorge. Le peuple suisse ne l’accepterait pas.»

Frontière entre amis et détracteurs

L’Alsacien Jean Ueberschlag est tout sauf un ennemi de la Suisse. Il la défend même sur les plateaux de télévision, quand elle est accusée de dumping fiscal. Mais son admiration est teintée de légers reproches à l’égard d’une certaine «opacité» suisse. «Il faut d’urgence moraliser le secret bancaire, éviter les abus. En cela, la décision du Conseil fédéral va dans la bonne direction, mais ne suffira pas», estime Ueberschlag, président du groupe d’amitié franco-suisse à l’Assemblée Nationale.

Entre amis et détracteurs de la Suisse, où est la frontière? Politique, avec une droite complaisante et une gauche plus critique? «De moins en moins. Aujourd’hui, il y a simplement ceux qui osent et ceux qui n’osent pas parler clairement à la Suisse», estime M.Hérisson.

«C’est vrai que le clivage est moins net qu’avant», reconnaît le radical valaisan Léonard Bender, double national et membre de l’UMP. Même à l’intérieur de l’UMP, des voix officielles s’élèvent pour bousculer la Confédération.

La question du secret bancaire a même résonné la semaine dernière dans l’Hémicycle du Palais Bourbon. Interpellé sur le sujet, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Bruno Lemaire, a promis d’être «très vigilant sur la question du secret bancaire. Nous travaillerons pour mettre fin à ces distorsions financières dont l’ensemble des pays européens sont les premières victimes.»

Une terre bancaire

Léonard Bender comprend la crispation française – «en temps de crise, il faut bien trouver des ressources fiscales quelque part». Mais il n’approuve pas que l’on prenne la Suisse pour un paradis fiscal. «Ce serait plutôt, pour reprendre une référence biblique, une terre bancaire.»

Pour Etienne Blanc, député-maire de Divonne-les-Bains, tout cela était «écrit», inévitable. «La Suisse ne pouvait pas échapper à la mondialisation des règles en matière de fiscalité de l’épargne.»

La Suisse se banalise. Le processus, note M. Blanc, n’a pas d’ailleurs commencé le vendredi 13 mars. «Beaucoup avait été fait en matière de lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale.» L’évolution doit être progressive. «Je ne voudrais pas que la place financière genevoise s’affaiblisse, suite aux pressions sur la Suisse.»

swissinfo, Mathieu van Berchem, Paris

Nicolas Sarkozy: «On ne reproche à aucun pays d’avoir des taux de fiscalité très bas. Mais la règle, c’est de dire d’où vient l’argent et ce qu’ils en font.» «Renoncer au secret bancaire va dans le bon sens, cela ne veut pas dire renoncer à la protection de la vie privée.»

Christine Lagarde, ministre de l’Economie: «Il appartiendra évidemment à la Suisse d’abord, ce sera son travail d’introspection, et puis à l’ensemble des pays membres du G20 notamment, de déterminer si les critères mettent la Suisse dans une catégorie (les paradis fiscaux, N.D.L.R.) ou dans l’autre.»

Arnaud Montebourg, député socialiste: «la stratégie américaine de criminalisation de l’évasion et de la fraude fiscales encouragées par les banques suisses, et plus particulièrement d’UBS, est parfaitement raisonnable et justifiée. Je vais d’ailleurs proposer une telle démarche en France. Le fisc devra pouvoir utiliser les instruments de la procédure pénale contre la criminalité organisée pour lutter contre l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux.»

Vincent Peillon, député européen socialiste: «Il importe de relancer l’harmonisation fiscale entre les pays et de prendre à bras-le-corps la question du secret bancaire. Sa levée dans un certain nombre de cas constitue le seul moyen d’y voir clair à travers les sociétés écrans. L’autre problème, c’est qu’il existe une trop forte distorsion entre les textes et leur application. En France, notamment, on fait de grandes déclarations sans se donner les moyens d’obtenir des résultats.»

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