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Comment la Suisse a placé l’environnement au cœur d’un traité commercial

Siège principal du bloc commercial du Mercosur à Montevideo, Uruguay.
Siège principal du bloc commercial du Mercosur à Montevideo, Uruguay. Afp Or Licensors

L’accord de libre-échange récemment conclu entre la Suisse et le Mercosur inclut des engagements environnementaux. Il répond à une vigilance publique croissante sur les enjeux écologiques liés au commerce international.

Après huit années de tractations, l’accord entre les pays du Mercosur et les États membres de l’AELE a été finalisé ce mois-ci. Il prévoit la suppression des droits de douane sur les produits industriels, les produits agricoles et les denrées alimentaires — y compris le chocolat suisse — tout en introduisant discrètement un tournant géopolitique: la Suisse a pris la tête d’un effort visant à intégrer un protocole environnemental liant l’accord aux engagements climatiques. Il répond ainsi à la pression grandissante des consommateurs et consommatrices en faveur d’une responsabilité socio-environnementale.

L’Association européenne de libre-échange (AELE) regroupe l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. Le Mercosur est une union régionale sud-américaine comprenant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela. La Bolivie, qui a rejoint le Mercosur après le début des négociations, n’a pas pris part aux discussions.

La manière dont la Suisse a mené les négociations sur le protocole environnemental illustre la façon dont le pays — économie dominante au sein de l’AELE — cherche à concilier ses intérêts nationaux et à protéger ses agriculteurs face à la concurrence sud-américaine. Côté Mercosur, le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva, à la tête de la première économie du bloc, mise sur les accords bilatéraux à un moment où les tensions commerciales avec le président américain Donald Trump s’intensifient, tout en défendant un agenda climatique positif.

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L’insistance de la Suisse sur un protocole environnemental découle notamment des critiques formulées par des élus et des élues et le monde agricole face à une concurrence jugée déloyale des producteurs sud-américains — des critiques toujours vives malgré les efforts du gouvernement pour atténuer les inquiétudes pendant les négociations.

«La Suisse cherche systématiquement à conclure des accords commerciaux qui favorisent une croissance durable, tant chez elle que dans les pays partenaires», a déclaré le Secrétariat d’État à l’économie (SECO).

Pas de taxes sur le chocolat et la viande

L’AELE et le Mercosur ont achevé leurs discussions début juillet, après 14 cycles de négociations. L’accord ouvre l’accès à un marché combiné d’environ 290 millions de consommateurs et consommatrices et à un PIB estimé à 4390 milliards de dollars (3510 milliards de francs) en 2024.

Pour la Suisse, le traité pourrait générer jusqu’à 160 millions de francs d’économies douanières par an, selon le SECO.

Au-delà des chiffres, l’accord offre aux pays sud-américains un accès préférentiel à des marchés stratégiques pour leurs exportations agricoles. Des produits comme le bœuf, le porc, la volaille, le café torréfié ou les fruits bénéficieront de conditions d’entrée améliorées sur les marchés européens.

En échange, les pays européens pourront exporter sans droits de douane et avec une protection accrue de leur propriété intellectuelle des produits à haute valeur ajoutée, tels que les produits pharmaceutiques, les produits chimiques ou le chocolat.

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Enjeux climatiques inclus

Au-delà de la baisse des tarifs douaniers, l’accord reflète les subtilités de la diplomatie de l’AELE — en particulier celle de la Suisse — qui cherche à nouer des partenariats centrés non seulement sur les flux de biens, mais aussi sur la responsabilité sociale et environnementale. Une forme de «diplomatie climatique».

Si les membres de l’AELE sont unis sur les principes socio-environnementaux, la Suisse revendique avoir été le moteur de l’introduction de ces clauses, largement en réponse à une pression intérieure.

«La Suisse s’engage à inclure des dispositions spécifiques sur les aspects sociaux et environnementaux du commerce à chaque fois qu’elle négocie de nouveaux accords de libre-échange ou qu’elle en révise», affirme le SECO.

Selon Manfred Elsig, professeur de relations internationales à l’Institut de commerce mondial de l’Université de Berne, l’inclusion de telles clauses est un phénomène relativement récent dans la diplomatie commerciale de l’AELE, amorcé avec l’accord signé entre la Suisse et l’Indonésie en 2021. Celui-ci répondait déjà aux préoccupations exprimées par les organisations représentant les agriculteurs suisses.

«Depuis l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, l’attention portée à ces enjeux a augmenté. Cette tendance se reflète aussi dans les accords récemment conclus avec d’autres pays en développement, comme la Thaïlande. Il est certain que le public suisse examinera de près les implications environnementales du traité avec le Mercosur», estime Manfred Elsig.

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Prévu pour être signé d’ici la fin de l’année, l’accord réaffirme le droit souverain des États à fixer leurs propres niveaux de protection environnementale et sociale — chose fréquente dans les accords de l’AELE — tout en cherchant l’alignement avec des traités multilatéraux comme l’Accord de Paris, la Convention sur la diversité biologique ou les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail.

Sous l’impulsion de la diplomatie suisse, le texte inclut aussi des engagements des pays du Mercosur en matière de conservation de la biodiversité, d’agriculture durable, de participation des femmes au commerce international et de reconnaissance des savoirs traditionnels des communautés locales et autochtones.

Il y est notamment prévu que les fournisseurs internationaux de services numériques — opérant via des réseaux informatiques — ne pourront bénéficier des avantages de l’accord que si le mix électrique de leur pays d’origine repose à au moins 67% sur des énergies propres.

Pour garantir l’application de ces engagements, le traité prévoit des mécanismes de coopération, de suivi et de dialogue axés sur la transparence et la prévention de sanctions arbitraires — une avancée notable, les clauses environnementales ayant longtemps été évitées dès lors qu’un cadre juridiquement contraignant était en jeu.

Une soupape pour les tensions intérieures

Pour Stefano Jud, chercheur postdoctoral à la Wyss Academy for Nature de l’Université de Berne, l’inclusion de ces engagements vise aussi à désamorcer les tensions politiques internes. «Les partis suisses favorables à l’accord ont utilisé cette clause comme argument clé pour répondre aux inquiétudes de ses opposants liées à l’impact environnemental de l’Indonésie», explique-t-il.

Selon lui, comme pour l’accord avec l’Indonésie, qui comprenait de telles dispositions, ce nouveau texte pourrait raviver une forte opposition. «Si l’accord avec le Mercosur était soumis à référendum, je m’attendrais à ce que cette ‘réaction verte’ nuise à son acceptation, d’autant que les exportateurs du Mercosur sont perçus comme des concurrents directs des agriculteurs suisses et sont associés à des écosystèmes sensibles comme l’Amazonie».

Malgré les efforts du gouvernement pour mettre en avant les clauses environnementales qu’il soutient, une partie de la société helvétique reste opposée à l’accord.

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Le parti des Vert-e-s a réaffirmé son opposition dans une lettre ouverte. Il y dénonce une industrialisation accrue de l’agriculture dans les pays du Mercosur, aux effets délétères sur l’environnement, les communautés locales et le bien-être animal. «Plus de libre-échange agricole signifie plus de destruction environnementale», a déclaré la conseillère nationale verte Christine Badertscher.

Et les pressions sur le traité pourraient encore s’accentuer. L’Union suisse des paysans entend analyser minutieusement l’accord. Si nécessaire, elle réclamera des garanties supplémentaires. Elle souhaite, selon une déclaration à l’agence Keystone-ATS, évaluer les opportunités et les risques que l’accord représente pour l’agriculture helvétique.

À l’inverse, l’association faîtière de l’industrie Swissmem a salué un succès majeur pour l’ensemble de l’économie, espérant une ratification rapide. Elle estime qu’un référendum constituerait une insulte.

Selon Stefano Jud, malgré les affrontements politiques, la Suisse peut tirer parti de son avantage comparatif en matière de standards environnementaux élevés pour protéger son économie et renforcer sa réputation internationale, sous le sceau de la gouvernance environnementale.

«Dans ce contexte, le chapitre sur le développement durable fait office de filet de sécurité pour les agriculteurs suisses. C’est une forme de protectionnisme déguisé sous couvert de durabilité. En parallèle, ces dispositions permettent aussi de convaincre un électorat plus urbain et cosmopolite, attentif aux enjeux environnementaux et sociaux mondiaux de l’agriculture, et favorable à des systèmes de production plus durables», conclut-il.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais à l’aide d’un traducteur automatique/dbu

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