Nestlé au coeur d’une polémique au Sénégal
La dispute dure depuis le mois de juin déjà. Une association sénégalaise de consommateurs appelle le public à boycotter le lait concentré sucré de Nestlé Sénégal. La multinationale réfute les attaques. L'affaire ne reposerait sur aucune base solide.
Momar Ndao se présente comme le président national de l’ASCOSEN – Association des consommateurs du Sénégal – fondée en 1989, et regroupant selon lui plus de 15 000 adhérents et détenteurs d’une carte de membre.
D’emblée, il se défend de vouloir faire la guerre à Nestlé: «Nous faisons un travail sérieux depuis onze ans, on n’a jamais essayé de créer des problèmes aux entreprises, nous voulons seulement faire en sorte qu’elles respectent les normes.»
Il y a quelque mois, Momar Ndao achète sur un marché de Dakar une douzaine de produits laitiers, en poudre et liquides, de marques différentes. Il les confie à l’Institut Pasteur de Dakar, officiellement agréé pour les analyses de produits alimentaires. Dès qu’il en reçoit les résultats, il les rend publics et montre du doigt, entre autres, le lait concentré sucré de Nestlé Sénégal.
«Ce produit avait une qualité microbactériologique insatisfaisante», dit-il en précisant que le laboratoire y avait décelé la présence anormale de coliformes, autrement dit des germes d’origine fécale: «Nous ne disons pas qu’il est impropre à la consommation, nous disons qu’il n’est pas conforme aux normes.»
Nestlé Sénégal est sur ses gardes même si, laisse-t-on comprendre ici et là, Momar Ndao ne serait que le seul et unique membre de la prétendue association qu’il préside. Mais la semaine dernière, le patron de cette filiale africaine a tout de même livré sa version des événements à la presse locale. Pour les questions venues hors des frontières sénégalaises, motus et bouche cousue. C’est le siège de Nestlé Internationale à Vevey qui prend le relais.
Image et vérité obligent, des contre-expertises ont tout de même été commandées en Suisse et en France notamment. Marcel Rubin, porte-parole de Nestlé Internationale, s’en tient aux faits. Il confirme, sans commentaire, que «toutes les analyses ont prouvé qu’il n’y a aucun lait impropre à la consommation».
Le gouvernement sénégalais s’est bien sûr inquiété lui aussi de ces informations. D’autres contre-expertises ont ainsi été menées dans les laboratoires de plusieurs services de l’administration nationale. Mais Momar Ndao maintient sa position. A ses yeux, les analyses complémentaires ne sont toujours pas entièrement satisfaisantes. Il renouvelle donc son appel au boycott. Non pas de Nestlé, mais uniquement de l’un de ses produits.
Dans cette affaire quelque peu embrouillée et envenimée par des questions de personnes, l’Institut Pasteur de Dakar paraît jouer un rôle clé. Ce sont les résultats de son travail qui ont provoqué ce débat sur la qualité du lait condensé sucré. Du côté du laboratoire, on nous affirme que Momar Ndao est un client connu.
L’analyse demandée n’a cependant porté que sur une seule boîte de lait condensé sucré et le certificat délivré dégage les scientifiques de toute responsabilité concernant le prélèvement et l’échantillonnage proposé. Pourquoi dès lors l’institut a-t-il accepté de faire ce travail s’il n’avait pas la possibilité de le faire sur un lot entier du produit, comme cela est généralement la règle? A Dakar, on fait observer que cette pratique d’analyse sur commandes individuelles fait partie des moeurs.
Reste la question essentielle: la présence de coliformes dans des produits laitiers est-elle tolérable? Les normes internationales tolèrent généralement jusqu’à un maximum de dix de ces bactéries dans un gramme lait. Mais, de toute façon, nous explique le spécialiste d’un office de santé publique, ce n’est qu’un germe indicateur relativement imprécis, ce qui n’est pas le cas par exemple de la salmonelle.
Quant à savoir s’il est peu probable que des coliformes se développent dans un milieu très sucré comme celui de la boîte de lait incriminée, la réponse se veut claire et nette: «vous savez, en bactériologie, rien n’est impossible». Surtout quand on sait les conditions de la conservation des aliments sous certains climats.
Bernard Weissbrodt
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