Le tunnel du Gothard: exploit, cadeau et promesses à tenir
Avalanche de commentaires dans la presse suisse au lendemain de l’inauguration du Gothard. Le plus long tunnel ferroviaire du monde est vu à la fois comme un chef-d’œuvre du savoir-faire et de la démocratie suisse, un cadeau à l’Europe et une promesse de désengorger les autoroutes alpines. A condition que tout le monde joue le jeu, ce qui n’est pas gagné.
«Si, le temps d’une journée, le Gothard s’est retrouvé au centre du monde, c’est que la nouvelle ligne à travers les Alpes est bien plus qu’un tunnel: elle revêt un caractère profondément symbolique. Symbole de succès pour la Suisse, exploit technologique et scientifique, l’ouvrage d’art confirme les compétences et le savoir-faire de nos hautes écoles, de nos ingénieurs et de notre industrie» écrivent «La Liberté» de Fribourg et plusieurs quotidiens romands, non sans rappeler que «ce tunnel à la gloire du pays ne doit pas occulter le fait que plus de 80% des ouvriers étaient des étrangers».
«Ah, nous les Suisses», titrent le «Bund» et le «Tages-Anzeiger», en rapportant les larmes de la ministre des Transports Doris Leuthard, en interview avec swissinfo.ch. «Il faut un tunnel pour émouvoir une politicienne suisse, écrivent les deux quotidiens. Et Madame Leuthard avait raison. Tous ces discours sur la ‘journée historique’, sur le ‘chantier du siècle’, sur la ‘fierté’ n’étaient pas vains, même dans leur répétition. Car cela reste vrai: ce fut un grand jour pour la Suisse, ce fut une journée suisse».
«Le nouveau tunnel du Gothard n’est pas seulement une prouesse de précision et d’ingénierie, c’est aussi un chef-d’œuvre de la démocratie directe», souligne pour sa part la «Neue Luzerner Zeitung», rappelant les deux votations en 1992 et 1998, lors desquelles le peuple a donné son feu vert à la majorité des deux tiers à ce projet à 12 milliards de francs.
Dans le même registre, l’«Aargauer Zeitung» souligne que «notre démocratie directe a montré une fois de plus de quoi elle est capable; les décisions se prennent peut-être un peu plus lentement, mais le résultat est convainquant».
Cadeau à l’Europe, mais on a quoi en retour?
Cette inauguration «n’est pas la fin d’un processus, mais le début d’une nouvelle ère, souligne «Le Temps», reprenant les propos du ministre de l’Intérieur Alain Berset. Car il y a encore beaucoup de chaînons manquants, en Suisse et à l’étranger. Mercredi, Angela Merkel a promis que l’Allemagne ferait ses devoirs. Mais l’aménagement de nouvelles voies au nord de Bâle est ralenti par des oppositions et des recours. Au sud, c’est un changement de mentalité qui sera nécessaire, dans un pays où les petites entreprises de transport routier sont puissantes et bien organisées».
«Encore faut-il que les promesses deviennent réalité, ce qui ne va pas de soi dans des pays absorbés par d’autres préoccupations sociales, migratoires ou budgétaires», ajoute le quotidien romand.
«La Suisse a inauguré son nouveau tunnel avec beaucoup d’estime de soi. Elle devrait maintenant faire preuve du même aplomb pour envisager ses relations avec l’UE, qu’il s’agisse des voies d’accès au tunnel mais aussi de nos relations bilatérales et des règles de l’immigration», demande quant à elle la «Nordwestschweiz», en allusion aux relations bilatérales en panne depuis l’acceptation le 9 février 2014 par le peuple suisse d’une initiative populaire qui veut réintroduire des quotas migratoires.
«Politiquement, ce tunnel est un témoin d’un autre âge, écrit dans la même ligne le «St. Galler Tagblatt». Un âge où l’intégration de ce pays dans un projet européen semblait possible et souhaitable. Or, ironie de l’histoire, maintenant qu’il est terminé, c’est dans un tout autre domaine qu’il pourrait prouver son utilité. Mais quoi qu’il en soit, si l’on est capable de creuser 57 kilomètres de rocher, on devrait aussi pouvoir trouver une réponse dans ce domaine».
Le «Corriere del Ticino» revient lui aussi sur les rapports difficiles entre la Suisse et l’UE. «La tendance à la fermeture subsiste chez une partie de notre population. Au Tessin, c’est même une partie prépondérante, comme l’ont montré plusieurs votations populaires. Hier, l’UE n’était pas officiellement présente à l’inauguration, c’était plutôt l’Europe, l’Europe dont la Suisse fait partie. Cette Europe où s’érigent de nouveaux murs tandis qu’on inaugure ici le plus long tunnel ferroviaire du monde».
«Certes, poursuit le quotidien italophone, l’Europe de la libre circulation est critiquable et crée aussi des problèmes, mais les alternatives politiques qu’on lui oppose dans certains pays sont nettement pires. L’Europe laborieuse du tunnel est préférable à l’Europe haineuse des barbelés».
Passer de la route au rail
Le tunnel du Gothard a d’abord été voulu pour favoriser le passage des marchandises de la route au rail. Or dans ce domaine, rappelle «24 heures», «Beaucoup (trop?) reste à faire pour que l’Europe affirme sa volonté de transférer un maximum de fret ailleurs que sur la route. Symbole, arme diplomatique, exploit technique: le Gothard est tout cela. Il peut être encore plus, mais cette fois la Suisse devra compter sur l’Europe. Et pas le contraire».
Sceptique sur le sujet, la «Südostschweiz» rappelle que «le trafic de transit à travers les Alpes se fait encore trop souvent par la route. Le nouveau tunnel, inauguré et loué à grands coup de superlatifs en Suisse comme à l’étranger, pourrait fournir l’impulsion nécessaire pour faire changer cela. Mais la preuve par l’acte ne viendra jamais, car le lobby routier suisse est trop puissant. Ainsi, à peine les machines se sont-elles tues sur le chantier du tunnel ferroviaire, qu’elles vont se remettre en marche pour creuser le deuxième tube du tunnel routier».
Pour «La Regione Ticino» enfin, le tunnel va faire «exploser «nos contradictions entre ouverture et fermeture. La nouvelle proximité avec Zurich, principal pôle économique du pays, va ouvrir de nouvelles opportunités professionnelles et pourrait donner un coup de pouce au tourisme». Mais il faudra que les Tessinois sachent saisir ces chances. «Ce sera à nous de décider d’y aller pour de bon, avec les cartes en mains, si nous voulons monter dans le convoi qui passe et non pas rester sur le bord de la voie», avertit le journal.
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