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Une histoire suisse de la Légion d’honneur

Keystone

Jacques Pilet reçoit la Légion d'honneur. Le journaliste rejoint ainsi une liste de quelque 400 Suisses qui la portent avec plaisir, mais sans forfanterie. Le combat pour l'Europe et la francophonie comptent parmi les critères clés.

L’ancien secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Jean-Pierre Jouyet a remis la Légion d’honneur à Jacques Pilet vendredi. Selon le groupe de presse Ringier, dont Jacques Pilet est le directeur du développement médias, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner a tenu ainsi à distinguer le «combat européen» et la «personnalité exceptionnelle» de Jacques Pilet.

«Je suis un peu surpris, mais très heureux aussi, déclare l’intéressé. J’aime la France, elle fait partie de mon identité.»

Jacques Pilet partagera cet honneur avec environ 400 Suisses. «La Légion est attribuée à des chefs d’Etat et des diplomates, dans le cadre des rapports bilatéraux », note Agnès Chateaubon, chargée des affaires générales à la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur. Parmi eux, l’ancien ministre Pierre Aubert (il est grand officier).

Deuxième cas de figure, peut-être plus emblématique: les services rendus à la France, «dans un sens très large», précise Mme Chateaubon. Léonard Gianadda (officier) et Jacques Chessex (chevalier) l’ont reçue, pour ne citer que les plus connus.

Elus exclus

Point d’élus dans cette liste: les parlementaires suisses n’ont pas le droit de porter de médailles, qui plus est étrangères. C’est contraire à la tradition helvétique. «En Suisse, on n’a que l’insigne de bon tireur», remarque en bon ethnologue Pierre Centlivres, qui a reçu la Légion à la fin des années 1990.

La Légion, les Suisses la portent en général sans forfanterie. «Il m’arrive d’accrocher le ruban rouge au revers mon veston», affirme Pierre Centlivres. L’insigne, lui, ne se porte jamais, sauf lors de cérémonies officielles.

«Je sais combien on a pu ironiser à propos de la Légion d’honneur, mais j’ai tout de même pu grâce à elle faire de nombreuses rencontres, au sein de la société d’entraide qui nous réunit chaque année», confie l’ethnologue. Un organisme de solidarité qui permet de venir en aide aux membres en difficulté.

Seulement un honneur

Les titulaires suisses gardent souvent un souvenir très ému de la cérémonie. Surtout quand celle-ci s’est tenue à Paris. C’est des mains de François Mitterrand que le journaliste Jean-Marie Vodoz a reçu son insigne d’officier de la Légion d’honneur.

Officier, directement, sans même passer par le grade de chevalier. Petite grâce présidentielle? «Quand Napoléon a créé la Légion, les personnes décorées devaient prêter serment à l’Empereur, rappelle Agnès Chateaubon. La tradition a disparu, mais les titulaires français de la Légion sont membres de l’Ordre de la Légion d’honneur, très hiérarchisé. Pas les étrangers, qui sont décorés à titre honorifique.»

«Juste avant la remise de la Légion, témoignait Jean-Marie Vodoz il y a quelques années, un huissier m’a demandé de la part du président si je souhaitais que mon nom fût prononcé à la «suisse» ou à la française. Politesse oblige, j’ai choisi la seconde version et son «z» bien marqué. Alors que nous étions une quinzaine à recevoir l’insigne, Mitterrand sut trouver pour chacun de nous quelques mots bien sentis.»

Pour d’autres, la cérémonie se déroule à Berne, à l’ambassade de France. C’est plus banal, mais la charge émotionnelle d’une telle décoration ne l’est jamais. Quand Charles-Henri Favrod est décoré dans la fin des années 90, c’est tout un passé qui ressurgit. Ses années à la tête du musée de l’Elysée bien sûr, mais aussi une période beaucoup plus lointaine: quand il oeuvrait pour trouver une issue à la guerre d’Algérie. «On avait envisagé de me décorer à l’époque, mais j’avais refusé. Cela pouvait être compromettant, aux yeux de la partie algérienne.»

Contingentement

Le journaliste François Gross, lui, est chevalier de l’ordre national du mérite. «Il a été créé par De Gaulle, qui estimait que trop de Français arboraient la Légion d’honneur, rappelle l’ancien rédacteur en chef du quotidien La Liberté. Le Général a donc ressuscité un vieil ordre créé par je ne sais quel roi pour récompenser les mérites distingués».

Distingués, mais point «éminents». Désormais, la Légion d’honneur est contingentée: elle compte aujourd’hui moins de 100’000 membres, au lieu de 300’000 dans les années 1960.

Paris a voulu récompenser chez François Gross son combat pour la langue française, «dans un canton où elle est souvent menacée», précise l’intéressé. «J’ai gardé une très forte affection pour la France, confie l’éditorialiste. Cela date sans doute de mes années de correspondant à Paris, entre 1960 et 1965.»

Mais François Gross ne porte plus sur l’insigne. «Depuis que Sarkozy est au pouvoir. Il m’inquiète», confie-t-il.

Mathieu van Berchem à Paris, swissinfo.ch

Jacques Pilet est né en 1943.

Ce journaliste a travaillé à la fois pour la Télévision Suisse Romande (TSR) ainsi que pour plusieurs quotidiens romands.

Il est plus spécialement connu pour avoir fondé et dirigé l’hebdomadaire L’Hebdo en 1981 et le quotidien le Nouveau Quotidien (devenu depuis Le Temps) en 1991.

Il est membre de la direction du groupe de presse suisse Ringier depuis 2000 et écrit encore dans L’Hebdo au titre d’éditorialiste.

Jacques Pilet est depuis de nombreuses années un ardent défenseur de la construction européenne.

La légion d’honneur a été créée le 19 mai 1802 par Napoléon Bonaparte.

Elle récompense des mérites civils ou militaires rendus à la France. Elle honore des personnes physiques, françaises ou étrangères, mais également des personnes morales comme des régiments, des écoles, des associations ou encore des entreprises.

La Légion d’honneur comporte plusieurs grades: Grand maître (le président de la République), Grand-croix, Grand officier, Commandeur, Officier et Chevalier.

Il est possible d’être radier de l’ordre de la Légion d’honneur en cas d’atteinte à l’honneur ou à la dignité. Cette radiation est notamment automatique en cas de condamnation à plus d’un an de prison pour crime.

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