La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935
Les meilleures histoires
Démocratie suisse
Les meilleures histoires
Restez en contact avec la Suisse

Décombres et drones: dans la zone interdite entre le Liban et Israël

Des personnes en gilet bleu surplombent un paysage, une voiture blanche à côté d'eux
Était-ce une frappe aérienne ou une mine qui a explosé? L’équipe «Zulu» de l’Observer Group Lebanon a entendu une détonation et scrute l’horizon à la recherche de fumée. Giannis Mavris / SWI swissinfo.ch

La ligne de démarcation entre le Liban et Israël est devenue, après la guerre de 2024, un no man’s land dévasté. Nous avons accompagné un groupe d’observateurs militaires de l’ONU, dont un Suisse, lors d’une patrouille du côté libanais.

À peine descendus des véhicules, nous entendons au loin une forte détonation. À environ dix kilomètres au sud-est, une colonne de fumée s’élève. Le capitaine Julien prend ses jumelles et décrit ce qu’il voit, tandis que le chef de patrouille, le capitaine Leighton, note ses observations. Impossible pour l’instant de savoir si la détonation est due à une attaque ou à une opération de déminage. Au-dessus de nous – bien audible – un drone survole la zone.

C’est la première halte de la patrouille d’une équipe de l’Observer Group Lebanon, qui fait partie de la plus ancienne mission des Nations Unies dans le monde. Le groupe de quatre personnes est composé aujourd’hui du capitaine suisse Julien, du chef de patrouille et capitaine Leighton, originaire de Nouvelle-Zélande, du capitaine russe Anton et du traducteur libanais Ali.

Ils font partie de la mission de l’Organisation des Nations Unies pour la supervision de l’armistice (ONUST) au Liban et, comme c’est l’usage, ils sont appelés uniquement par leurs prénoms.

L’Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve (ONUST) est la plus ancienne mission de l’ONU dans le monde. Il a été créé en 1948 pour surveiller le cessez-le-feu entre Israël et ses États arabes voisins.

388 militaires et membres du personnel civil opèrent au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Égypte et en Israël. Certains effectuent des missions de patrouille comme celle décrite dans cet article, dans plusieurs pays. Au Liban, ils collaborent étroitement avec la mission de la FINUL, qui devrait être dissoute à la fin de 2026.

À l’heure actuelle, 14 membres de l’armée suisse sont engagés dans l’ONUSTLien externe. Ils sont présents dans toutes les stations et dans les cinq États couverts par le mandat. Le chef de la mission est également suisse: il s’agit du divisionnaire Patrick Gauchat, le plus haut officier suisse à l’ONU. Au total, environ 300 militaires suisses participent actuellement à des missions de promotion de la paixLien externe dans le monde entier.

Nous nous trouvons à Al-Qaouzah, un village chrétien situé à deux kilomètres de la Ligne bleue, la ligne de démarcation entre le Liban et Israël. Les observateurs militaires, toujours désarmés, fixent un drapeau bleu de l’ONU sur une barre de fer qui dépasse d’un amas de décombres. Il y a peu, cet amas était une maison – détruite lors de la guerre de 2024. C’est ici qu’ils installent aujourd’hui leur première position d’observation temporaire.

Le drapeau sert à les identifier clairement. En effet, eux aussi sont observés: le drone qui nous survole nous suivra probablement pendant toute la patrouille. Il n’est toutefois pas signalé: «Pour le faire, deux observateurs de deux États différents doivent le voir et pas seulement l’entendre; c’est ce que prévoient nos règles.» Ce matin de début novembre est assez brumeux, la visibilité est réduite. À qui appartient le drone? «Même si nous ne le voyons pas, nous estimons très probable qu’il soit israélien», dit le capitaine Julien.

Il est évident qu’il s’agit d’un drone des Forces de défense d’Israël (IDF). Israël maintient une surveillance serrée sur son voisin du nord. Les drones israéliens opèrent dans tout le Liban: dans la capitale Beyrouth, dans la vallée de la Bekaa à l’est et surtout dans le sud, près de la frontière.

Ces vols violent l’accord de cessez-le-feu entre le Liban et Israël de novembre 2024. Le mandat de l’Observer Group Lebanon prévoit d’enregistrer et de signaler ces violations. Les observateurs respectent strictement l’impartialité de l’ONU: pendant la patrouille, on n’entend aucune supposition et le langage qu’ils utilisent lorsqu’ils me parlent reste prudent.

La région est une forteresse du groupe chiite Hezbollah. Après l’attentat terroriste du Hamas du 7 octobre 2023, le Hezbollah a commencé à lancer des roquettes contre Israël, qui a réagi: lors d’une guerre courte et sanglante en 2024, il a décimé la direction du Hezbollah et détruit une grande partie de son arsenal. Depuis, l’organisation est militairement affaiblie, mais continue d’influencer la politique libanaise.

Tout ce qui est vu est consigné

Nous poursuivons vers la ligne de démarcation. Depuis le point d’observation, on voit quelques villages et, partout, des bâtiments détruits. Mais rien de comparable à Ramiyah, où nous venons d’arriver: le village est complètement rasé, il ne reste que des squelettes de béton, des amas de décombres partout et de nombreuses routes sont impraticables. Il y a encore de nombreux engins non explosés.

Ramiyah est l’un des nombreux villages détruits par l’armée israélienne. Tout ce qui se trouvait à environ un kilomètre de la Ligne bleue n’existe plus. «Les bâtiments ont été frappés d’abord par des raids aériens et de l’artillerie, puis démolis avec des charges explosives», explique le capitaine Julien.

Israël a créé cette zone tampon le long de toute la Ligne bleue, où aucune reconstruction n’est autorisée. Alors que la population est en partie revenue dans les villages plus éloignés, des lieux comme Ramiyah sont devenus des zones interdites d’accès. Ceux qui tentent de revenir sont repoussés par des tirs d’avertissement ou par des drones qui larguent des grenades assourdissantes. Des images de martyrs et des drapeaux pendent encore parmi les décombres de Ramiyah; le Hezbollah veut faire comprendre qu’il n’a pas l’intention de s’en aller.

Depuis Ramiyah, nous pouvons également voir un avant-poste israélien. L’armée israélienne maintient encore cinq avant-postes illégaux en territoire libanais – ce qui constitue aussi une violation de l’accord de cessez-le-feu. Nous voyons également des tours radio et un mur frontalier qui s’étend le long de toute la Ligne bleue. Ce mur sert à empêcher des attaques depuis le territoire libanais.

Contenu externe

Augmentation de la pression sur le Liban

Avant la guerre, environ 3000 personnes vivaient à Ramiyah; toutes ont fui vers le nord. Un retour semble impossible, du moins tant qu’aucune solution politique n’aura été trouvée.

Dans les jours précédant la patrouille, l’armée israélienne a attaquéLien externe des objectifs dans le sud du Liban et dans la vallée de la Bekaa. Plusieurs personnes ont été tuées et beaucoup blessées. Israël a déclaré qu’il s’agissait de membres du Hezbollah et accuse l’organisation de reconstituer son arsenal, ce qui est interdit par l’accord de cessez-le-feu.

Selon les médias israéliens, depuis la signature de l’accord, plus de 300 membres du Hezbollah auraient été tués, tandis que l’ONU parle de plus de 100 victimes civiles.

Un officier suisse habillé par l'ONU
Le capitaine suisse Julien est stationné au Liban pour l’ONUST depuis cet été. Giannis Mavris / SWI swissinfo.ch

À Beyrouth, beaucoup craignent un nouveau conflit: maintenant que la situation est plus calme à Gaza, Israël pourrait porter le coup final contre le Hezbollah. Ce serait un scénario cauchemardesque pour un pays déjà durement éprouvé. En 2024, des milliers de personnes ont été tuées et plus de 1,2 million déplacées, soit presque un cinquième de la population. Encore aujourd’hui, des dizaines de milliers de civils n’ont pas pu retourner chez eux.

Selon l’accord, le Hezbollah doit se retirer du sud du Liban et remettre ses armes au gouvernement libanais. Les avis sont partagés sur le degré d’application de cette mesure. «La présence de l’armée libanaise dans le sud a toutefois augmenté au cours de l’année écoulée», affirme le capitaine Julien.

Les attaques israéliennes et la pression diplomatique croissante des États-Unis pour désarmer le Hezbollah représentent un grave problème pour le gouvernement libanais: le pays redoute un nouveau conflit civil en cas d’affrontement ouvert.

Les observateurs militaires resteront encore longtemps

Notre patrouille se poursuit à travers plusieurs villages de la région. Lorsque c’est possible, les observateurs interagissent avec la population, rencontrent les autorités locales, parlent de la récolte avec les agriculteurs. «L’ONU jouit d’une bonne réputation dans la région. Pour les gens qui vivent ici, sa présence signifie que le monde regarde», dit le capitaine Julien.

À midi, nous mangeons dans un restaurant: on nous sert des lahm bi ajeen tout juste sortis du four, une sorte de focaccia garnie de viande hachée. Dans l’établissement, on est habitué à la présence des soldats de l’ONU; quelques jeunes demandent à prendre une photo seulement avec moi. Enverront-ils l’image de ce visage inconnu au Hezbollah? À ma question, le capitaine Julien répond par un haussement d’épaules.

À la fin de la patrouille, les observateurs militaires rédigent leur rapport à la base de l’ONU à Naqoura. Entre-temps, on a appris que la détonation que nous avions entendue au début de la patrouille était due à une attaque de l’armée israélienne contre une voiture dans un village voisin. La cible aurait été un membre du Hezbollah. Il y a eu un mort et plusieurs blessés. D’autres attaques similaires auront lieu au cours des jours suivants.

Quel avenir pour l’UNTSO? Le mandat de la mission de la FINUL, la Force d’interposition des Nations Unies au Liban, beaucoup plus large, dure jusqu’à la fin de 2026, puis sa présence au Liban sera progressivement réduite. Par conséquent, l’UNTSO prendrait davantage d’importance, dans une région soumise à de fortes tensions depuis des décennies.

Mais personne n’ose faire de prévisions: ici, un an est un laps de temps très long.

Texte relu et vérifié par Benjamin von Wyl, traduit de l’allemand à l’aide de l’IA/op 

Plus

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision