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L’initiative anti-minarets inquiète les experts de l’ONU

Keystone

La Suisse a présenté son troisième rapport périodique au Comité des droits de l'homme. Celui-ci s'inquiète de l'initiative anti-minarets (en votation en novembre), de l'assistance au suicide et de l'interdiction du mariage pour les sans-papiers.

«L’initiative sur les minarets n’est pas compatible avec le Pacte international sur les droits civils et politiques. Et la publication d’affiches qui donnent une image sinistre des musulmans pose problème au regard de la liberté d’expression», relevait Michael O’Flaherty, membre du Comité des droits de l’homme, lors de l’examen du troisième rapport périodique de la Suisse, mardi à l’ONU.

Une dizaine de membres de l’administration fédérale avaient fait le déplacement de Genève pour répondre aux questions du comité, composé de 18 experts du monde entier. Un exercice d’universalité qui oblige la Confédération et les cantons à passer au crible le système législatif suisse et à expliquer au monde les subtilités du fédéralisme et de la démocratie directe – et ses possibles atteintes au droit international.

Probable rejet de l’initiative

L’initiative populaire contre les minarets posait problème aussi au Tunisien Abdelfattah Amor et à l’Américaine Ruth Wedgwood qui s’inquiétait, par la même occasion, des incidents à caractère antisémite et du peu d’empressement de la police à mener des enquêtes et arrêter les coupables.

«Le Conseil fédéral est confiant que l’initiative sera rejetée par le peuple et que le problème de la compatibilité entre notre constitution et le droit international ne se pose que sur le plan théorique, a répondu Philippe Gerber, de l’Office fédéral de la justice. Jusqu’à présent, aucune norme constitutionnelle n’est entrée en conflit avec les traités internationaux, mais si cela arrivait la question devrait être tranchée par les tribunaux.»

Assistance au suicide

L’assistance au suicide – autre particularité helvétique qui a déjà fait couler beaucoup d’encre – a longuement interpellé les experts. «Qu’en est-il du consentement? s’est inquiétée Ruth Wedgwood. Comment la loi suisse peut-elle s’assurer qu’il est manifeste et notifié? Et qu’en est-il des mineurs? Le consentement des parents est requis jusqu’à l’âge de 16 ans mais, au-delà, ils ne sont que consultés.»

«Je ne considère pas la vie comme une obligation, a renchéri un autre expert, mais comment être sûr que la personne a donné son plein accord, surtout s’il s’agit de personnes âgées, qui peuvent se sentir un fardeau pour leur famille?»

Michael Leupold, directeur de l’Office fédéral de la justice, a répondu que la question de l’assistance au suicide est un «processus en cours» et que le Conseil fédéral étudie actuellement deux options: la restriction législative ou l’interdiction pure et simple de l’assistance organisée au suicide.

«Pour se donner la mort, il faut passer par un médecin qui va prescrire le NAP, la drogue létale, a expliqué Alexis Schmocker, de l’Office fédéral de la justice. Les médecins sont soumis à des règles déontologiques, dont le critère du consentement éclairé, répété et mûrement réfléchi. Et s’il y a abus, les autorités sanitaires cantonales peuvent prendre des mesures. De plus, tout suicide est considéré comme une mort violente et il est systématiquement suivi de l’ouverture d’une enquête pénale.»

Des explications qui ne semblaient pas convaincre les experts, qui ont continué à se demander pourquoi il n’existe pas un mécanisme étatique d’autorisation.

Discrimination des étrangers

Sans surprise, une bonne partie des questions ont porté sur les droits des étrangers – 21.4% de la population en décembre 2008. «J’ai eu un choc intellectuel lorsque j’ai entendu qu’une personne en situation irrégulière n’avait pas le droit de se marier! s’est exclamé le Mauricien Rajsoomer Lallah. C’est en violation totale du Pacte, une négation pure et simple de la personnalité juridique.»

L’Office fédéral des migrations a dû s’expliquer aussi sur la gratuité de l’accès à la justice pour les requérants d’asile. Il a argumenté que celui-ci est assuré dans la procédure d’asile ordinaire et que des avances allant de 600 à 1200 francs peuvent être demandées, mais seulement pour les réexamens «manifestement infondés ou abusifs».

Concernant la décision de la Suisse de ne pas indemniser les victimes de stérilisations forcées – pratiquées sur des femmes mentalement malades pendant la première moitié du 20e siècle –, certains experts ont regretté que la Suisse ne leur ai offert ni excuses officielles ni soutien psychologique.

Parmi les problèmes identifiés par la coalition des ONG suisses figure la mise en œuvre du Pacte dans tous les cantons, malgré la structure fédéraliste du pays.

Le comité s’est réjoui du mécanisme d’enquête indépendante sur les violences policières instauré à Genève. Mais il a épinglé le canton pour la surpopulation de la prison de Champ-Dollon.

Isolda Agazzi, swissinfo.ch

Le Pacte international sur les droits civils et politiques a été ratifié par 165 Etats. Il reconnaît entre autres l’égalité devant la loi, le droit à un procès équitable, la présomption d’innocence, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’opinion et d’expression, la participation aux affaires publiques et aux élections, la liberté de circulation et la protection des droits des minorités.

Tous les quatre ans, les Etats doivent présenter un rapport au Comité des droits de l’homme, chargé de superviser la mise en œuvre du Pacte. Le comité est composé de 18 experts indépendants, dont une Suissesse actuellement.

La Suisse a ratifié le pacte en 1992 et a présenté trois rapports à ce jour. Elle n’est pas partie au 1er protocole facultatif, qui permet de déposer des plaintes individuelles. Mais elle est partie au 2e protocole facultatif sur l’interdiction de la peine de mort.

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