Rudi Berli, un Suisse de l’étranger et maraîcher bio au Parlement fédéral
Rudi Berli fera figure d’élu atypique sous la Coupole fédérale. Le maraîcher bio, qui succédera à Nicolas Walder, deviendra le quatrième Suisse de l’étranger à siéger au Conseil national. Le Vert vit en France et travaille dans la campagne genevoise, mais ce n’est pas son unique singularité. Portrait.
Première particularité: Rudi Berli n’a que six semaines pour changer de vie. Le maraîcher de 61 ans a appris le 19 octobre, lors de l’élection du Vert Nicolas Walder au gouvernement genevois, qu’il allait lui succéder au Conseil national (Chambre basse). Il commencera à siéger le 1er décembre déjà.
Le contre-la-montre a commencé: il doit démissionner de son poste de secrétaire syndical auprès de l’organisation paysanne Uniterre, trouver un logement à Berne et diminuer son taux d’activité dans la ferme communautaire où il travaille.
Pas question cependant de troquer définitivement ses outils de maraîcher pour se fondre dans le costume de conseiller national. «Je tiens à continuer à travailler, afin de garder un contact avec le terrain et un équilibre entre travail physique et intellectuel», confie Rudi Berli, installé au soleil, à côté de serres de légumes qui se retrouveront dans les paniers livrés chaque semaine à 400 ménages genevois.
Seul un vignoble paré de couleurs d’automne sépare la ferme de la frontière française. Rudi Berli la traverse tous les jours: il vit dans la petite commune française de Pougny, à quelques centaines de mètres du territoire suisse.
Une singularité qui fait de lui le quatrième Suisse de l’étranger à siéger au Parlement fédéral. Le dernier représentant de la Cinquième Suisse sous la Coupole fédérale était l’ancien ambassadeur à Berlin Tim Guldimann. Élu en 2015, ce dernier avait jeté l’éponge après deux ans, invoquant la difficulté d’assumer son mandat à Berne tout en résidant à l’étranger. Dans les années 1990, Ruedi et Stephanie Baumann, en couple, avaient déménagé en France lors de leur dernière législature au Conseil national.
Sous la Coupole, Rudi Berli compte s’engager pour défendre les intérêts de la diaspora, notamment en faveur du vote électronique. «Cela permettrait de résoudre le problème de beaucoup d’expatriés qui reçoivent leur matériel de vote après les échéances électorales», dit-il.
Frontaliers: des tensions à désamorcer
Toutefois, il se considère davantage comme un travailleur frontalier. «Je m’engage pour une gouvernance transfrontalière que ce soit à Genève, Bâle, Schaffhouse ou au Tessin, et pour le respect des droits sociaux des personnes qui vivent dans ces régions», affirme-t-il.
Ironie du sort: au sein de la délégation genevoise au Conseil national, Rudi Berli côtoiera les élus du Mouvement citoyen genevois (MCG), une formation connue pour ses prises de position contre les frontaliers.
L’un d’eux, Daniel Sormani, se dit pourtant prêt à collaborer avec le nouvel élu. «Je l’ai épinglé sur Facebook, mais j’irai lui serrer la main pour lui souhaiter la bienvenue», affirme-t-il. Selon lui, Rudi Berli n’est pas «un vrai frontalier», puisqu’il est suisse. «Je trouve cocasse qu’on puisse être élu au Parlement en résidant à l’étranger, mais c’est tout à fait légal et démocratique, donc je l’accepte.»
De son côté, Rudi Berli qualifie les remarques sur son lieu de domicile de «désagréables». «J’essaierai cependant de montrer par mon action que je suis complètement inséré dans la réalité nationale», annonce-t-il.
Le politicien met aussi en avant la problématique de la pénurie de logements et l’explosion des prix de l’immobilier dans l’Arc lémanique. «Nous ne voulions pas quitter la Suisse, mais nos revenus ne nous permettaient pas de nous loger à Genève», affirme ce père de trois enfants âgés de 6 à 20 ans. Il compte bien amener au Parlement cette problématique qui touche de nombreuses personnes.
Un parcours atypique pour fédérer
Si Rudi Berli n’a jamais siégé, son parcours original devrait l’aider à défendre ses dossiers sous la Coupole. Premier atout: la langue. L’allemand et ses dialectes suisses n’ont pas de secrets pour celui qui a grandi dans la campagne zurichoise. «Cela devrait m’aider à faire entendre la voix de Genève à Berne», confie-t-il.
Il connaît bien les rouages de la politique, qu’il a commencé à apprivoiser dès l’adolescence dans les mouvements de jeunesse des années 1980 à Zurich. À 18 ans, il s’installe à Genève pour suivre une formation au centre d’horticulture de Lullier. Tombé amoureux de la région, il ne l’a plus quittée et y a poursuivi son engagement militant, notamment à travers le syndicalisme.
Plus de vingt ans d’activité au sein du syndicat agricole Uniterre lui ont permis de se familiariser avec les arcanes du pouvoir. «Je connais bien l’architecture politique et beaucoup de gens à Berne», souligne-t-il.
Rudi Berli est également un Vert atypique. Il considère que son parti est parfois «un peu dogmatique» sur certains dossiers, par exemple sur la consommation de viande. «Personnellement, j’en mange en tenant compte de son origine et des conditions d’élevage et je trouve que ce n’est pas incompatible avec un engagement écologiste», dit-il.
L’Europe, oui… mais avec prudence
S’il soutient la voie bilatérale pour gérer les relations entre la Suisse et l’Union européenne, Rudi Berli se montre sceptique face au nouveau paquet d’accords négocié par la Confédération avec Bruxelles. «J’ai un problème avec l’approche par paquets, explique-t-il. Elle empêche la population de mesurer la portée de ces traités», déplore-t-il.
Il craint principalement les conséquences des accords sur l’agriculture suisse et préconise le renforcement de la protection indigène. «La libéralisation du marché du fromage en 2007 a par exemple été préjudiciable à l’économie laitière suisse. Près de la moitié des fermes laitières ont disparu», alerte-t-il.
Ce scepticisme ne froisse pas ses collègues de parti. «C’est un super collègue», assure la députée verte genevoise Delphine Klopfenstein Borggini. Si les Vert-e-s défendent le paquet d’accords avec Bruxelles, elle relativise la prudence du nouvel élu. «S’il prend un peu de distance sur le sujet, cela n’affaiblira pas la position claire du parti», affirme-t-elle. Elle salue également l’arrivée d’un représentant de l’agriculture supplémentaire au sein du groupe des Vert-e-sLien externe au Conseil national.
L’agriculture comme projet de société
Rudi Berli veut placer l’agriculture au cœur de son action politique. En 1985, lorsqu’il a rejoint les Jardins de Cocagne, où il travaille encore aujourd’hui, la ferme figurait parmi les pionniers de l’agriculture biologique. «En tant que jeune apprenti, j’étais choqué de devoir porter un masque à gaz pour traiter les légumes qui allaient finir dans nos assiettes», dit-il.
Des noix, du pain et du fromage trônent sur la table de la petite cabane en bois, qui sert de cuisine et de bureau aux employés de l’exploitation. La nourriture est une composante importante de l’engagement de Rudi Berli. «Il faut construire un projet commun entre la population et l’agriculture: garantir une alimentation de qualité et permettre aux paysans de vivre de leur travail», plaide-t-il.
Farouche opposant aux accords de libre-échange, il les qualifie de «paquets idéologiques». «Nous voulons d’abord nourrir les populations autour de nos fermes avant de nourrir les marchés internationaux. Sinon, ce sont la nature et le social qui paieront le prix», alerte-t-il.
Pour relancer son parti dans les sondages, Rudi Berli estime que le projet vert doit rester avant tout social. «Sans cette composante, nous ne parviendrons jamais à construire une société plus durable», affirme-t-il.
Devra-t-il faire des sacrifices pour son nouveau mandat? «Il y aura des périodes où je ne verrai pas ma famille. Cela va être un grand changement, aussi pour mes enfants», confie-t-il en jetant un regard aux nombreuses photos qui ornent les murs de la cabane.
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Relu et vérifié par Pauline Turuban
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