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La lutte contre le dumping mondial des déchets électroniques face à une épreuve décisive

Récupérateur au milieu d une montagne de déchets
Récupération d'un écran d'ordinateur à la décharge d'Agbogbloshie à Accra, Ghana (2019). Keystone / A. Carrasco Ragel

La Suisse fait pression pour modifier un accord international afin que tous les déchets électriques et électroniques expédiés à l’étranger obtiennent le consentement préalable des pays de destination. Mais tout le monde n’est pas d’accord.

La décharge d’Agbogbloshie, dans la banlieue d’Accra, au Ghana, est le lieu où meurent une grande partie des déchets électriques et électroniques du monde. Les récupérateurs fouillent les machines à laver ou les ordinateurs mis au rebut ou cassés dans l’espoir d’en extraire de maigres quantités de cuivre, d’aluminium ou même de plastique qui n’ont pas encore été dépouillées par d’autres. L’extraction consiste souvent à faire fondre les carcasses de micro-ondes et de sèche-linge, ce qui dégage des nuages de fumée et d’émanations toxiques dans l’environnement. Le trésor d’un homme est aussi le poison du même homme.

La plupart des déchets électroniques qui aboutissent à Agbogbloshie étaient autrefois un bien précieux pour un ménage en Europe ou aux États-Unis. En raison du coût élevé du recyclage de ces biens, il est devenu intéressant de les expédier dans les coins les plus reculés du monde en tant qu’équipements électriques et électroniques usagés (EEE). Sur le papier, ils sont destinés à être revendus comme produits d’occasion à des prix abordables dans les pays de destination. En réalité, certains des déchets électroniques expédiés sont défectueux et les fabricants ne veulent pas se donner la peine de les réparer et de les revendre. Ainsi, lorsqu’ils arrivent dans des pays comme le Ghana, les produits récupérables sont réparés et revendus, mais les produits non réparables sont dépouillés de leurs pièces et de leurs métaux et déversés à Agbogbloshie pour que les plus pauvres des pauvres les passent au crible et les brûlent.

Accord mondial

Il y a exactement 33 ans, un accord a été adopté à Bâle pour prévenir ce type de problème. La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination (Convention de Bâle en abrégé) a été adoptée le 22 mars 1989 et est entrée en vigueur le 5 mai 1992.

Elle est née de l’introduction de réglementations environnementales plus strictes en Europe occidentale dans les années 1970 et 1980, qui ont conduit au déversement de déchets dangereux en Europe orientale et au-delà. La Suisse et la Hongrie ont proposé conjointement au Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) d’élaborer un accord international visant à réglementer les mouvements transfrontaliers de déchets dangereux, ce qui a constitué une étape importante dans la réglementation de ce commerce toxique.

Contrairement à aujourd’hui, les déchets électroniques n’étaient pas un problème aussi énorme à l’époque. En moyenne, chaque personne générait environ 7,3 kg de déchets électroniques en 2019, selon le Global E-Waste Monitor. Cela représentait alors un total de 53,6 millions de tonnes, total qui devrait atteindre 74,7 millions de tonnes d’ici la fin de la décennie. Ce qui rend la situation plus inquiétante, c’est que personne ne sait où la majorité des déchets électroniques finissent. Selon le Global E-Waste Monitor 2020, seulement 17,4% des déchets électroniques générés dans le monde sont collectés et traités de manière écologiquement rationnelle, ce qui signifie que le sort de la majorité (82,6%) n’est pas documenté.

Initiative suisse

La Suisse n’autorise pas l’exportation de déchets vers des pays en développement comme le Ghana, mais uniquement vers l’Union européenne (UE) ou un groupe de pays riches constituant l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cela n’exclut cependant pas la possibilité que les déchets électroniques exportés vers l’UE ou l’OCDE soient ensuite réexportés vers l’Asie ou l’Afrique. Une enquête menée en 2009 par Greenpeace a montré que des déchets électroniques provenant de pays comme les États-Unis, la Norvège, le Danemark et les Pays-Bas finissaient dans des décharges ghanéennes.

C’est ce que confirment les conclusions d’un projet intitulé «Countering WEEE illegal trade» (Lutter contre le commerce illégal des DEEE), qui vise à fournir à la Commission européenne, aux autorités chargées de l’application du droit et aux douanes des informations permettant de lutter contre le commerce illégal des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe. Le projet a conclu qu’environ 1,3 million de tonnes de DEEE sont exportées d’Europe chaque année, dont environ 30% constituent des exportations illégales.

La Convention de Bâle autorise actuellement les mouvements transfrontaliers de déchets s’ils sont «nécessaires en tant que matière première pour les industries de recyclage ou de valorisation dans l’État d’importation». Cette exemption offre une échappatoire pour déverser les déchets électroniques dans les pays en développement qui n’ont peut-être pas la capacité de les éliminer de manière écologiquement rationnelle après en avoir extrait les composants ayant de la valeur.

Pour minimiser la possibilité que cela se produise, la Suisse ainsi que le Ghana ont soumis une proposition en 2020 qui veut rendre obligatoire le consentement préalable en connaissance de cause du pays destinataire, même si les déchets électroniques sont classés comme non dangereux. Cette proposition sera débattue en juillet, lors de la 15e Conférence des parties (Cop15) de la Convention de Bâle et adoptée si la majorité des pays membres sont d’accord.

«Si un pays souhaite mieux contrôler l’afflux de déchets électroniques, notre proposition lui permettra d’être mieux informé et d’agir plus efficacement. Il est beaucoup plus difficile de réagir lorsque les déchets électroniques ont déjà atteint le port qu’au stade de la pré-exportation», explique Felix Wertli, chef de la section Affaires mondiales de l’Office fédéral suisse de l’environnement, qui a participé à l’élaboration de l’avant-projet de la proposition.

Felix Wertli ajoute que la proposition helvético-ghanéenne n’est pas différente de celle sur les plastiques qui est entrée en vigueur en 2021. Selon les nouvelles règles, la plupart des déchets plastiques destinés à l’exportation devront obtenir le consentement préalable en connaissance de cause des pays destinataires.

Conséquences inattendues

D’après les commentaires reçus des États membres, il semble que la plupart d’entre eux soutiennent la proposition helvético-ghanéenne sur les déchets électroniques. Toutefois, certains pays craignent que cette mesure n’ait des conséquences inattendues sur l’exportation légitime d’équipements électriques et électroniques usagés à des fins de réparation et de remise à neuf.

«De nombreux pays en développement importent des produits électriques d’occasion (radios, téléviseurs, ordinateurs, etc.). Si cette pratique n’est pas illégale et qu’elle contribue à soutenir l’économie locale, il est alors nécessaire de faire la distinction entre ce qui est obsolète et destiné à la décharge et ce qui est importé pour être réutilisé», a commenté le Zimbabwe.

Cette préoccupation a également été relayée par des segments de l’industrie du recyclage et de la ferraille. L’Institute of Scrap Recycling Industries, basé aux États-Unis, affirme que 20% des activités de ses membres américains du secteur de l’électronique consistent à prendre des appareils électroniques usagés et à les transférer dans un autre pays pour les reconditionner ou les réparer. Les États-Unis ne sont pas membres de la convention de Bâle, mais seront tout de même affectés s’ils exportent des déchets électroniques vers un pays membre.

«Il existe un marché de la seconde main très solide pour tous les appareils électroniques: téléphones, ordinateurs, photocopieuses, etc. Si cette proposition est approuvée, les 20% de leur activité tomberont sous le contrôle de la Convention de Bâle, ce qui signifie qu’ils devront demander l’autorisation du gouvernement destinataire avant de pouvoir procéder à l’échange», a déclaré Adina Renee Adler, vice-présidente de l’ISRI chargée de la défense des intérêts de l’industrie du recyclage.

Selon elle, les gouvernements sont déjà débordés par la mise en œuvre des réglementations existantes en matière de déchets et il y a un retard dans les demandes de notification. Elle a prévenu que l’ajout des déchets électroniques non dangereux à la liste revient à en interdire le commerce en raison de la charge administrative qu’il engendrera.

«Oui, c’est un effort supplémentaire, mais c’est important pour le commerce durable», rétorque Felix Wertli. Selon lui, la proposition helvético-ghanéenne favorisera une meilleure valorisation des ressources, car les pays destinataires pourront dire non à l’importation de déchets électroniques de mauvaise qualité. Cela améliorera également les conditions des recycleurs, même dans le secteur informel.

Déchets contre marchandises usagées

D’autres voix affirment que la proposition helvético-ghanéenne visant à rendre obligatoire le consentement préalable en connaissance de cause pour les déchets électroniques non dangereux ne va pas assez loin.

«Cette idée ne parvient pas à combler la véritable faille à l’origine d’une grande partie de l’exploitation abusive des pays en développement, à savoir l’exportation d’équipements électroniques non fonctionnels, dangereux ou non, en tant que ‘non-déchets’», déclare l’ONG Basel Action Network (BAN).

Ce que l’on appelle «la lacune des réparables» permet aux commerçants d’exporter des équipements électriques et électroniques non fonctionnels en prétendant qu’ils ne sont pas des déchets parce qu’ils ont l’intention de les réparer dans le pays de destination. Cela leur permet de contourner complètement les restrictions de la convention de Bâle. «Trop souvent, ces affirmations s’avèrent fausses et le matériel est simplement mis en décharge ou s’avère non réparable», affirme le BAN.

L’Union européenne a également soumis une proposition qui appelle à la création d’une nouvelle catégorie de déchets appelée «Préparation pour réutilisation». Cette catégorie comprendrait tous les matériaux qui finissent dans les centres de collecte des déchets des pays développés, mais qui sont ensuite exportés dans le but d’être remis à neuf ou réparés, afin de pouvoir être réutilisés dans les pays de destination. En théorie, cette nouvelle catégorie élargirait le type de produits et d’équipements usagés qui seront considérés comme des déchets et relèveraient de la Convention de Bâle.

La proposition de l’UE va plus loin que celle de la Suisse et du Ghana, mais le risque existe qu’elle aille trop loin pour obtenir la majorité des trois quarts requise pour qu’un amendement soit accepté.

«Les pays destinataires sont conscients des impacts des déchets électroniques et veulent des solutions, mais il s’agit d’une question sensible, car des intérêts économiques et des emplois sont en jeu», relève Felix Wertli.

La proposition de l’UE est également basée sur sa propre directive-cadre sur les déchets et pourrait être considérée comme une tentative d’un bloc puissant d’imposer ses normes au reste du monde. Les deux propositions seront soumises à discussion en juillet

«Notre proposition n’est pas la solution parfaite et ne résoudra pas tous les problèmes liés aux déchets électroniques. Toutefois, il s’agit d’un pas progressif, mais significatif dans la bonne direction qui a de bonnes chances d’être accepté», estime Felix Wertli.



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