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La Suisse au banc des accusés de la fiscalité

Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE (à gauche), avec les ministres allemand Peer Steinbrück et français Eric Woerth, tous deux très critiques envers la Suisse. Keystone

La France et l'Allemagne ont organisé mardi à Paris une réunion de l'OCDE associant 17 pays pour discuter des paradis fiscaux. Ce symposium intervient dans un contexte de crise où se pose la question de l'assainissement du système financier international. La Suisse est dans la ligne de mire.

Au ministère français de l’Economie et des Finances, deux absents ont déclenché l’ire des participants à la réunion internationale sur les paradis fiscaux. Suisse et Luxembourg avaient en effet décliné l’invitation conjointe du ministre français du Budget et de son homologue allemand des Finances.

Motif de cette absence: «Les discussions sur les échanges d’informations fiscales se font dans le cadre strict de l’OCDE (Organisation de coopération et de Développement économiques). Cette conférence, c’est plus ou moins l’OCDE. Et l’autre motif de l’absence de la Suisse, c’est qu’elle n’aurait pas pu souscrire aux conclusions qui vont au-delà du consensus trouvé jusqu’ici», rappelle-t-on à l’ambassade de Suisse à Paris.

Initialement, la Suisse devait pourtant participer à la rencontre. Elle s’est désistée la semaine dernière, au motif officiel qu’elle ne reconnaît que l’OCDE comme instance de discussion pour les questions de fiscalité internationale. Les Etats-Unis, le Canada et l’Autriche étaient aussi absents de cette réunion à Paris. La Suisse se sent donc en bonne compagnie.

De toute façon, elle dispose au sein de l’OCDE d’un droit de veto. En 2003, elle s’était déjà retrouvée sur une liste noire d’un rapport préliminaire du Forum de l’OCDE concernant les pratiques fiscales dommageables. On avait cependant trouvé un terrain d’entente début 2004 et la Suisse avait été rayée de la liste.

Le mouton noir

La réponse des dix-sept participants à cette absence n’en sonne pas moins comme un avertissement: «La Suisse devrait être sur la liste noire et non sur la liste verte», a martelé Peer Steinbrück, ministre allemand des Finances, à l’issue du symposium parisien.

Une «liste noire» réactualisée chaque année par l’OCDE, qui englobe les paradis fiscaux «non coopératifs», lesquels sont au nombre de trois dans la liste actuelle sur 40 Etats recensés comme paradis fiscaux: Andorre, Liechtenstein et Monaco.

La Suisse, mouton noir et symbole des dérives du système financier? La Suisse est l’un des 35 pays qui se sont engagés à plus de transparence. La Confédération helvétique est à ce titre classée comme «pays à secret bancaire excessif» par l’OCDE.

Un secret bancaire que le ministre français du Budget Eric Woerth juge également «excessif». Eric Woerth, au diapason de son homologue allemand, a proposé d’élargir cette liste noire «à tous les pays qui offrent un secret bancaire excessif». Les paradis fiscaux «coopératifs» sont donc en ligne de mire.

En première ligne également, le secret bancaire helvétique. Un secret protégé par la Loi fédérale de 1934, au titre de secret professionnel. Les informations concernant les clients des banques suisses ne peuvent ainsi être divulguées qu’en cas de procédure pénale.

Or, l’évasion fiscale n’est pas considérée comme un délit dans la législation helvétique et n’est donc pas soumise au droit pénal.

Souveraineté et enjeux politiques

Le sujet est par contre brûlant pour l’Allemagne, confrontée en février dernier à une vaste affaire d’évasion fiscale vers le Liechtenstein mettant en cause 1400 contribuables germaniques.

Peer Steinbrück, le ministre allemand des Finances, l’un des deux instigateurs du symposium, a toutefois tenu à ne pas froisser les relations diplomatiques entre les deux pays: il ne «remet pas en cause la souveraineté de la Suisse ou du Liechtenstein». Mais précise que «c’est la souveraineté de la République fédérale d’Allemagne qui est mise à mal par les conditions offertes par certains pays.»

Outre les enjeux de politique intérieure, la lutte contre les paradis fiscaux est devenue en quelques semaines une illustration criante de la nécessité de refonte du système financier.

Vaches maigres

Déjà le 14 octobre dernier, le Premier ministre français François Fillon lance, face aux parlementaires français : «Des trous noirs comme les centres off shore ne doivent plus exister. Leur disparition doit préluder à une refonte du système financier international.»

En prélude de cette refonte, les Etats injectent des milliards pour soutenir leurs établissements financiers. Ainsi la France débloque 360 milliards d’euros pour fluidifier le système financier, et encore 10,5 milliards cette semaine, injectés dans le capital de six grandes banques privées françaises.

Une goutte d’eau par rapport aux sommes qui échapperaient aux Etats concernés. Selon les estimations de la branche française de Transparency International, une ONG qui traque notamment la corruption, les sommes qui échappent à la fiscalité des Etats concernés donnent le tournis: «Plus de 4000 banques, deux tiers des 2000 hedge funds [fonds spéculatifs, ndlr] et deux millions environ de sociétés-écran y sont hébergés et gèreraient, selon les dernières informations disponibles, des actifs financiers pour près de 10’000 milliards d’euros.»

En période de vaches maigres pour les budgets publics, ces milliers de milliards de manque à gagner accentuent l’urgence de la lutte.

swissinfo, Aurélie Boris, Paris

Les grands absents de la réunion de Paris: Suisse, Etats-Unis, Canada, Autriche, Luxembourg.
Les présents: France, Allemagne, Royaume Uni, Belgique, Pays-Bas, Norvège, Suède, Danemark, Irlande, Australie, Finlande, Islande, Italie, Japon, Corée du Sud, Mexique, Espagne, soit 17 pays sur 30 pays membres, ainsi que le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria.

Les déclarations du ministre allemand des finances ont fâché le gouvernement helvétique.

Mercredi, l’ambassadeur d’Allemagne à Berne Axel Berg a été reçu par le secrétaire d’Etat suisse Michael Ambühl.

Il lui a expliqué que les déclarations du ministre des finances allemand étaient «inacceptables dans leur forme et leur contenu», a indiqué le ministère suisse des Affaires étrangères.

De son côté, Axel Berg a expliqué que la réunion de mardi ne concernait pas uniquement la Suisse.

«Par ailleurs, aux côtés de l’Allemagne, 17 autres pays de l’OCDE étaient représentés», indique l’ambassade allemande dans un communiqué.

Le différend fiscal entre la Suisse et l’Union européenne (UE) sera abordé lors d’une rencontre en décembre entre le président de la Confédération Pascal Couchepin et celui de la Commission européenne José-Manuel Barroso.

Le paradis fiscal est un pays où la législation en matière d’impôts est très faible. L’OCDE, qui fait référence en matière de lutte contre l’évasion fiscale, retient quatre critères pour définir le paradis fiscal.

– L’absence ou l’insignifiance de fiscalité est le premier critère. L’OCDE souligne toutefois que chaque juridiction reste souveraine en matière d’impôts. C’est pourquoi, ce critère doit s’accompagner de trois autres critères:

– Ce pays manque-t-il de transparence ?

– Les échanges d’informations concernant des contribuables qui bénéficient de cette fiscalité inexistante ou insignifiante sont-ils freinés par des lois ou pratiques administratives ?

– Et enfin, les activités des contribuables concernées sont-elles «substantielles», soit réelles, un critère ajouté il y a dix ans.

Un paradis fiscal est dit «non coopératif» quand il répond pas au critère de transparence. L’actuelle liste «noire» de l’OCDE des paradis fiscaux non coopératifs comporte trois noms: Andorre, Monaco et le Liechtenstein.

(source: OCDE)

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