
Face au recul des ventes d’emmental, la région bernoise tente de surmonter la crise du fromage

L’emmental est dans une mauvaise passe. Cette crise touche de plein fouet la région de l’Emmental (BE), berceau du célèbre fromage à trous: des fromageries ferment, des paysans changent d’activité et même la fromagerie de démonstration a arrêté sa production.
On dirait que plus personne ne veut d’emmental. En Italie, principal marché d’exportation, la consommation a chuté de 18% en une année. Cremo, l’une des plus grandes laiteries suisses, a cessé sa production. Il y a dix ans, la Suisse produisait plus de 19’000 tonnes d’Emmental AOP chaque année. Aujourd’hui, ce n’est plus que 12’000 tonnes.On dirait que plus personne ne veut d’emmental. En Italie, principal marché d’exportation, la consommation a chuté de 18% en une année. Cremo, l’une des plus grandes laiteries suisses, a cessé sa production. Il y a dix ans, la Suisse produisait plus de 19’000 tonnes d’Emmental AOP chaque année. Aujourd’hui, ce n’est plus que 12’000 tonnes.
À la fin juin, la fromagerie de démonstration d’Affoltern im Emmental (BE) a mis un terme à sa production. Pendant des décennies, les visiteurs et visiteuses pouvaient observer la fabrication du fromage derrière des vitres. C’est de l’histoire ancienne. Des députés et députées du Grand Conseil bernois, tous partis confondus, ont cherché désespérément une solution, mais sans succès.

La production laitière ne rapporte plus
La crise de l’emmental pousse les gens de la région à chercher de nouvelles solutions. «Avec un tel effondrement des ventes, c’est clair que tout ne s’est pas bien passé», soupire Heinz Kämpfer. Pour ce paysan bernois, l’innovation et le marketing ont été négligés. «Prenez l’appenzeller, avec ses trois vieux messieurs dans la pub: on s’en souvient.» C’est ce qui manque, selon lui, à l’emmental.
Le prix payé aux producteurs de lait destiné à l’emmental est relativement bas, ce qui a des conséquences pour les agriculteurs. Chaque matin, Heinz Kämpfer est à l’étable, devant les collines verdoyantes de l’Emmental. Pendant des décennies, ce paysan de 62 ans a nourri ses vaches uniquement avec du foin et de l’herbe, comme l’exige l’appellation d’origine protégée (AOP). Mais depuis un an, il ne livre plus son lait à la filière Emmentaler AOP.
Aujourd’hui, le lait de ses 20 vaches sert à produire du lait dit «industriel», avec de l’ensilage. «Je ne sais plus ce qu’on en fait», indique Heinz Kämpfer. Les exigences sont moindres, le prix par litre est presque le même, explique-t-il. Mais sur le plan émotionnel, c’est autre chose: «Avant, j’avais un lien avec le produit fabriqué à partir de mon lait. Aujourd’hui, plus du tout.»

Cette évolution lui brise le cœur. La crise du fromage fait perdre une partie de son identité à la région. «L’emmental s’est fait connaître dans le monde entier à partir d’ici. Il a fait connaître la Suisse et notre agriculture.» Mais quand les chiffres ne sont plus au rendez-vous, il faut réagir.
Caoutchouteux et fade?
C’est le fromage qui a apporté la prospérité à l’Emmental. Les anciennes demeures majestueuses des marchands de fromage, par exemple à Langnau, en témoignent. Au musée régional «Chüechlihus», une carte du monde avec des dizaines d’épingles montre où le fromage était exporté au XIXe siècle – jusqu’à Nairobi, au Kenya. Aujourd’hui, comme la marque n’est pas protégée, l’emmental peut être fabriqué n’importe où dans le monde. Ironiquement, ce sont souvent des fromagers de l’Emmental qui ont exporté leur savoir-faire à l’étranger.
L’emmental est aussi souvent tourné en dérision. Son goût doux et sa texture caoutchouteuse ne correspondent plus à l’air du temps. «Moi, je l’aime toujours autant», rétorque Frank Jantschik. Ce citoyen allemand dirige depuis dix ans la fromagerie de démonstration. La mauvaise image dont souffre l’emmental est, selon lui, injustifiée. «Chaque fois que nos hôtes goûtent un Emmentaler AOP affiné pendant plusieurs années, ils sont épatés.» La diversité de goût de l’emmental est méconnue, déplore-t-il.
En 2024, la fromagerie a accueilli 265’000 visiteurs. Pourtant, elle a fini l’année dans les chiffres rouges. Le tourisme et la restauration fonctionnaient, mais pas la production. C’est pourquoi la direction a décidé, à contrecœur, de l’arrêter. Mais ce n’est pas la fin de la fromagerie: le public pourra encore la visiter, même sans production. Reste à voir si cela attirera toujours autant de monde. La vue sur les douces collines vaut le détour, même sans fromage, estime Frank Jantschik.
Moins de production autorisée
Le fromage sans doute le plus célèbre du monde est en crise depuis des années. La production décline depuis la dissolution de l’Union suisse du commerce du fromage (USF) à la fin des années 1990. Autrefois, on en fabriquait près de 50’000 tonnes par an. L’USF garantissait prix et volumes. Les excédents étaient exportés avec des subventions ou transformés en fromage fondu.
Dans la fromagerie du village de Dürrenroth (BE), Urs Kämpfer montre sa presse à fromage: «En principe, je pourrais fabriquer 24 meules d’Emmentaler par jour.» Actuellement, il en produit 12. En raison de la crise, la quantité autorisée par l’interprofession a été revue à la baisse. «Aujourd’hui, je ne peux plus produire que 39% de ce qui m’était permis autrefois», explique le fromager, qui n’a aucun lien de parenté avec l’agriculteur du même nom.

«Nous espérons toujours avoir touché le fond, mais il y a toujours un nouveau coup dur», note Urs Kämpfer à propos de l’ambiance dans la branche. En Suisse, le nombre de fromageries qui produisent de l’Emmentaler a fondu d’un tiers en dix ans. «À l’époque, on pensait que tu étais quelqu’un si tu produisais une certaine quantité d’emmental. Ce n’est plus le cas.»
La réponse d’Urs Kämpfer à la crise: le Mammutkäse, un fromage corsé à pâte dure. Avec d’autres fromagers de la région, il le fabrique et le propose à la vente directe. Grâce à cette diversification, il peut continuer à valoriser tout le lait des paysans de la coopérative. Ainsi, sa fromagerie ne devrait pas connaître le même sort que celle du village d’Arni, qui a dû fermer au printemps après que le groupe laitier Cremo a cessé d’acheter son Emmentaler.
L’emmental toujours dans les cœurs
Malgré les mauvaises nouvelles, l’emmental continue de faire parler de lui. La disparition des fromageries a nourri de nombreuses discussions, souligne Urs Kämpfer. «La population de l’Emmental est toujours attachée à son fromage.» Une lueur d’espoir: pour la première fois depuis longtemps, la consommation d’Emmentaler AOP a augmenté l’an dernier en Suisse. Il est donc trop tôt pour le déclarer mort.
Sur nos téléphones portables, dans nos applications et nos réseaux sociaux, l’émoji du fromage représente un emmental. Et comme le rappelle Urs Kämpfer: «Si tu demandes à un enfant de dessiner un fromage, il dessinera un fromage avec des trous.»
>> Écoutez le reportage de SRF dans l’Emmental :

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