
Le suspense reste entier autour de l’identité électronique

Contre toute attente, l’incertitude demeure totale concernant la loi sur l’e-ID, selon la première projection de gfs.bern. Une surprise de taille, alors que les derniers sondages annonçaient un net avantage pour le camp du oui.
À ce stade, nul ne sait si les citoyennes et citoyens suisses pourront disposer d’une carte d’identité numérique sur leur smartphone dès le troisième trimestre 2026. La première projection publiée par l’institut montre une égalité parfaite: 50% de oui, 50% de non.
«Ce sera un coude-à-coude», a commenté le politologue Lukas Golder sur SRF. Depuis la pandémie de Covid-19, il observe une méfiance accrue envers les solutions étatiques, notamment dans les régions conservatrices. «Nous avons reçu beaucoup de votes négatifs des cantons de Suisse centrale. Les premiers signaux en provenance de Suisse romande ne sont pas non plus très clairs. Le résultat sera donc très serré», relève-t-il.
Interviewée par Le Temps, Olga Baranova, secrétaire générale de l’association CH++, qui a fait campagne en faveur de l’e-ID, voit dans le résultat serré un signal clair: «Le numérique doit être négocié de manière beaucoup plus large.»
Selon elle, le sujet reste difficile à appréhender pour une partie de la population. «Indépendamment du résultat final, le réveil a sonné. Il est désormais essentiel que le Conseil fédéral s’engage à mieux expliquer les enjeux du numérique dans notre pays», a-t-elle déclaré. Elle met en garde: sans cet effort, la Suisse risque d’accuser un retard croissant dans ce domaine.
Un fossé entre Parlement et peuple
La surprise est également palpable dans le camp des opposants à l’e-ID. «Des garanties manquaient dans cette loi, et beaucoup de personnes en ont pris conscience », se réjouit Jonas Sulzer, membre du comité référendaire.
Il souligne l’écart entre le vote du Parlement, largement favorable au projet, et celui du peuple, nettement plus partagé. «Pour moi, cela montre que certains milieux économiques espéraient tirer profit des abus que cette loi aurait permis», affirme-t-il.
Jonas Sulzer tient toutefois à préciser que le comité référendaire n’est pas opposé à la numérisation: «Nous allons continuer à avancer, mais vers une numérisation qui protège les citoyens.»
La peur a pris le dessus
Les partisanes et partisans du projet avaient constitué une large alliance pour défendre la loi sur l’e-ID, mais cette stratégie ne semble pas avoir convaincu. «Les référendaires ont pu jouer avec les peurs de la population», a déploré le conseiller national vert Gerhard Andrey au micro de la télévision publique francophone RTS.
«La numérisation, c’est un fait: elle est présente dans notre vie professionnelle, personnelle, et aussi dans le monde politique», a également affirmé celui que l’on considère comme le père du projet d’e-ID. Selon lui, si la Suisse ne développe pas ses propres solutions dans ce domaine, elle risque de laisser trop de pouvoir aux grandes entreprises technologiques.
Une e-ID typiquement suisse
Le scrutin constitue un jalon important dans la transformation numérique du pays. Une étape qui permettrait à la Suisse de rattraper son retard sur la plupart des autres pays européens, qui ont déjà introduit une e-ID
La Confédération a toutefois opté pour une approche prudente. L’identité numérique helvétique a été conçue comme une alternative aux documents d’identité physiques. Elle n’offrira pas de fonctionnalités supplémentaires à l’image des systèmes choisis par beaucoup d’autres États, qui permettent par exemple de se connecter aux services administratifs ou de signer des documents en ligne.
En outre, l’e-ID sera gratuite, facultative et entièrement gérée par l’État. Les autorités ont misé sur cette formule pour éviter l’écueil de 2021, lorsque le premier projet avait été rejeté, principalement en raison de sa gestion confiée à des acteurs privés.
>> Regarder notre vidéo pour comprendre les enjeux du projet:
Un projet qui séduit à gauche comme à droite
Ces caractéristiques ont joué un rôle majeur au cours de la campagne. Les sondages ont en effet montré qu’une majorité de votants préfère une solution étatique à une dépendance envers les géants de la technologie, et apprécie son caractère facultatif.
Le projet a également séduit un large éventail de l’échiquier politique. À l’exception de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), tous les partis gouvernementaux l’ont soutenu.
Au cours de la campagne, le comité référendaire, formé de membres du Parti pirate, des Jeunes UDC, de l’UDF et de mouvements opposés aux mesures Covid, a principalement reproché à l’e-ID de porter atteinte à la vie privée des individus. Il estime également que la technologie choisie ne protège pas suffisamment contre les cyberattaques.
Un point pour l’Organisation des Suisses de l’étranger
Si l’e-ID passe l’épreuve des urnes, cela constituera une victoire pour l’Organisation des Suisses de l’étranger, qui milite depuis longtemps pour son introduction. Elle considère que cet outil permettrait aux personnes expatriées d’accéder plus facilement aux services de l’administration fédérale. Le lobby de la Cinquième Suisse estime aussi que l’identité électronique faciliterait l’exercice des droits politiques des expatriés, en ouvrant la voie au vote électronique.
Au début de la campagne, la diaspora s’est pourtant montrée sceptique, comme l’avait révélé le premier sondage de la SSR. Une réserve peut-être liée à des expériences négatives vécues dans leur pays d’accueil, selon la politologue Martina Mousson.
La tendance a cependant évolué au fil des semaines, et le soutien de la Cinquième Suisse a fini par légèrement dépasser celui du peuple dans son ensemble. L’engagement du Conseil des Suisses de l’étranger, qui a voté une résolution en faveur de l’e-ID, pourrait avoir joué un rôle.
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