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Trois regards suisses sur le procès Clearstream

Lundi 12 octobre: Dominique de Villepin arrive au tribunal. Keystone

A l'heure des plaidoiries, les correspondants de la Tribune de Genève, du Temps et de la Radio suisse romande analysent ce procès 100% politique. Où chaque protagoniste tente de jouer les victimes.

Dernière ligne droite au procès Clearstream. Le procureur de la République de Paris a requis mardi 18 mois d’emprisonnement avec sursis et 45’000 euros (68’000 francs) d’amende contre Dominique de Villepin.

Le procureur Jean-Louis Marin a estimé que l’ancien Premier ministre avait pris conscience de la manipulation et s’en était rendu «complice» par son silence. Poursuivi notamment pour «complicité de dénonciation calomnieuse», il risquait jusqu’à cinq ans de prison et dix ans d’inéligibilité.

Pour le verdict par contre, il faudra patienter plusieurs mois: le jugement sera mis en délibéré, comme c’est traditionnellement le cas en France pour les procès en correctionnelle.

«Ces longs mois d’attente ne sont pas nécessairement propices à une justice équitable, estime Jean-Noël Cuénod, correspondant à Paris de la Tribune de Genève. Durant cette période, les juges peuvent faire l’objet de toutes sortes de pressions.»

Inimaginable en Suisse

Cuénod n’a pas raté une seule des journées importantes du procès. Des déclarations fracassantes de Dominique de Villepin dans la salle des pas perdus au témoignage clé du général Rondot, éminence grise des services secrets, le Genevois en a suivi toutes les péripéties.

A ses côtés, serrés sur les quatre petits bancs réservés aux journalistes, au fin fond de la 11ème chambre correctionnelle, Sylvain Besson, correspondant du Temps, et Malika Nedir, de la Radio Suisse romande, ont aussi troqué un mois durant la correspondance pour la chronique judiciaire.

Pas simple de relater une affaire inimaginable en Suisse. D’ailleurs, comment la définir ? Politico-financière ? «Politico-dingue», résume Jean-Noël Cuénod. «Le procès est biaisé dès le départ, vu que tout le monde a menti lors de l’instruction», ajoute le journaliste. Les débats à l’audience n’ont de loin pas dénoué tous les fils de l’histoire.

«On a parfois l’impression de se perdre dans les détails, regrette Sylvain Besson. Cent fois, Imad Lahoud et Jean-Louis Gergorin [tous deux accusés d’avoir falsifié les listings, ndlr] se sont renvoyé la balle, sans que cela serve le procès. Tandis que des questions importantes sont restées sans réponse. Par exemple, Dominique de Villepin a multiplié les versions contradictoires pour justifier son intérêt, en 2004, pour cette prétendue affaire de listings. Les juges, curieusement, n’ont guère tenté d’en savoir plus.»

Victime vengeresse

C’est le rôle de victime vengeresse que tient le Président Sarkozy dans cette affaire qui choque le plus les correspondants suisses, notamment Jean-Noël Cuénod. Nicolas Sarkozy figurait certes sur les faux listings. Il pouvait donc à juste titre saisir la justice, comme des dizaines d’autres personnalités du monde politique et économique français mentionnés sur les faux.

Mais, devenu chef d’Etat, il était logique qu’il reste en dehors de ce procès. Sage, même sur le plan politique. «Sans Sarkozy, le procès se serait concentré sur Villepin et son rapport trouble avec la vérité», note le correspondant de la Tribune de Genève.

Mais le président s’est obstiné, faisant preuve d’une «naïveté confondante». «Sarkozy a voulu transformer Villepin en Judas, il l’a transformé en Saint Sébastien transpercé de flèches», résume Cuénod.

Un pari perdant-perdant, estime le journaliste: si Villepin est relaxé, Sarkozy aura perdu la partie. S’il est condamné, Villepin pourra jouer les martyrs et dénoncer une justice «aux ordres». D’ailleurs, note Malika Nedir, l’«effet Clearstream» profite déjà à l’ancien premier ministre. Dans les sondages, il fait désormais figure d’opposant le plus populaire en France…

Haine et intrigue

L’analyse de Sylvain Besson est un peu différente. «L’action en justice de Sarkozy a une fonction dissuasive: montrer qu’il se défendrait becs et ongles face à toute accusation malveillante.» On songe notamment à cette affaire de rétro-commissions sur des ventes d’armes au Pakistan, où le nom de Sarkozy a été récemment cité. «Désormais, au moindre soupçon, le président pourra répondre. ‘Tout cela est sans fondement, voyez Clearstream!’», note le correspondant du Temps.

A l’audience, Dominique de Villepin a passé de mauvais quarts d’heure. «On voit bien qu’il ne dit pas toute la vérité et qu’il a voulu exploiter cette affaire», remarque Sylvain Besson.

«Villepin ment, mais avec panache», ajoute Malika Nedir, tout de même impressionnée par l’éloquence et la ténacité de l’ancien premier ministre. Malgré les assauts du procureur et en dépit du témoignage accablant du général Rondot, l’ancien lieutenant de Jacques Chirac ne s’est jamais écarté de sa ligne de défense.

Pour autant, il semble difficile de le condamner pour dénonciation calomnieuse. Sur ce point, les trois correspondants sont parfaitement d’accord: rien n’indique que l’ancien premier ministre savait que les fichiers Clearstream étaient faux.

«Si Villepin le savait, pourquoi aurait-il conseillé de saisir le juge Renaud Van Ruymbeke, le magistrat le plus compétent en France pour ce type d’affaires? Ça ne tient pas», estime Jean-Noël Cuénod.

Quelles traces laissera cette affaire ? «L’image d’un Sarkozy haineux, mu par la vengeance», pointe Cuénod. Celle aussi d’un Dominique de Villepin intriguant, n’hésitant pas à s’écarter de la vérité, ajoute Sylvain Besson.

Conséquences? «L’actualité montre malheureusement que les Français s’accomodent assez bien des pratiques les plus douteuses de la République», note Malika Nedir.

Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch

Judiciairement, l’affaire Clearstream commence en 2004. Le juge Renaud van Ruymbeke reçoit une lettre anonyme évoquant un réseau de corruption, ainsi que des extraits de comptes présentés comme issus de la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream.

L’ancien vice-président du groupe aéronautique EADS, Jean-Louis Gergorin, a reconnu être le «corbeau» qui a adressé ces dénonciations, de la véracité desquelles il se dit convaincu.

C’est un jeune auditeur chez Artur Andersen, Florian Bourges, qui a récupéré en 2001-2002 des listings lors d’une mission chez Clearstream. Il les a ensuite transmis au journaliste Denis Robert, auteur d’une enquête sur Clearstream en 2001, ainsi qu’à l’informaticien Imad Lahoud.

Ce dernier, qui a brièvement travaillé pour les services secrets en 2003 et été embauché chez EADS par Gergorin, est soupçonné d’avoir falsifié les listings en y ajoutant des noms de responsables politiques, dont celui de Nicolas Sarkozy.

Jean-Louis Gergorin et le général Philippe Rondot sont réunis le 9 janvier 2004 dans le bureau de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères. Celui-ci aurait fait état d’instructions de Jacques Chirac pour poursuivre discrètement l’enquête. «Six ou sept» rendez-vous, selon Gergorin, auraient ensuite été organisés chez Villepin, ce que ce dernier nie.

Ce lundi 19 octobre, au dernier jour des plaidoiries des parties civiles, Me Thierry Herzog, avocat du chef de l’Etat, s’est appliqué quatre heures durant à démontrer le rôle d’«instigateur» qu’aurait joué Dominique de Villepin dans toute cette affaire, afin «d’empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à la présidence de l’UMP, première marche vers la présidence de la République».

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