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Colombie: les ONG mettent des conditions

© Luca Zanetti

Les ONG suisses exhortent Berne, qui investit chaque année 7 millions de francs pour les droits de l'homme et l'humanitaire dans ce pays, à mettre des conditions à la ratification de l'accord de libre-échange entre l'AELE et Bogota.

Schizophrénique! D’un côté, notre ministre des Affaires étrangères se profile comme figure de proue de la défense des droits de l’homme dans le monde, de l’autre notre ministre du commerce signe des accords avec un pays où l’impunité et les violations des libertés font rage. C’est en ces termes crus que la société civile suisse dénonce l’accord de libre-échange signé en novembre dernier entre les pays de l’AELE (Association européenne de libre-échange: Islande, Suisse, Norvège, Liechtenstein) et la Colombie.

Alliance Sud – l’organisation faîtière des six principales ONG suisses de développement–, la Déclaration de Berne et le Groupe de travail Suisse-Colombie ont invité cette semaine le sénateur colombien Jorge Enrique Robledo, farouche opposant de la libéralisation, à rencontrer des parlementaires suisses.

Poser des conditions

Le 25 mai, en effet, la Chambre basse du parlement doit se prononcer sur la ratification de l’accord. Les ONG suisses exhortent Berne, qui investit chaque année plus de 7 millions de francs pour les droits de l’homme et l’humanitaire en Colombie, à poser des conditions à Bogota.

L’accord d’une centaine de pages touche à tous les secteurs – produits industriels et agricoles, services, investissements, propriété intellectuelle, marchés publics. Seule une formulation non contraignante sur les droits de l’homme figure dans le préambule.

«La Colombie est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les syndicalistes et les défenseurs des libertés, rappelle Bastienne Joerchel de Alliance Sud. La DDC (coopération au développement suisse) et le DFAE (département fédéral des affaires étrangères) reconnaissent explicitement l’existence d’une importante crise humanitaire et des graves violations dans ce pays. Comment, en ces circonstances, la Suisse peut-elle en toute quiétude signer un accord de libre-échange?»

Cohérence de la politique suisse

«Aux Etats-Unis et au Canada, des milieux politiques et la société civile ont bloqué la ratification d’accords semblables avec la Colombie en raison des abus sur place. En mars 2009, c’est le gouvernement norvégien, partenaire de la Suisse au sein de l’AELE, qui a retardé la ratification de l’accord pour les mêmes raisons.»

Atteinte par téléphone, Marie Gabrielle Ineichen, déléguée fédérale aux accords commerciaux, s’insurge contre cette lecture.

«La politique suisse est tout à fait cohérente, soutient-elle. Cela ne sert à rien de mettre des conditions sur les libertés dans un traité de libre-échange. Nous sommes convaincus que ce genre d’accord, qui abolit entre autres les tarifs douaniers, permet d’améliorer le niveau de vie des Colombiens, et donc la situation dans le pays. Quand au gouvernement norvégien, il attend les élections de septembre pour soumettre l’accord à ratification.»

La mission norvégienne à Genève confirme que des questions de droits de l’homme en Colombie ont fait l’objet de débats au sein du parlement, et que l’accord devrait être ratifié cet automne.

Complémentarité de deux économies

De son côté, Didier Chambovey, secrétaire général adjoint de l’AELE à Genève, explique: «Notre politique de coopération et de libre-échange permet à nos partenaires de s’extraire de la pauvreté et, du coup, d’améliorer leurs institutions. Les deux économies sont complémentaires. Les pays de l’AELE exportent des produits sophistiqués, comme les montres, les médicaments, les instruments médicaux. La Colombie exporte les bananes, des produits tropicaux, des minerais et des métaux précieux. Pour ce qui est de la propriété intellectuelle liée aux questions des génériques, par exemple, ce sont les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) qui sont appliquées.»

Des arguments que le député socialiste Carlo Sommaruga conteste: «l’accord de libre-échange avec la Colombie illustre la situation depuis le cycle de Doha en 2001 où les négociations de l’OMC ont été bloquées, explique-t-il. Les pays en développement font, dans les services, les investissements et la protection de la propriété intellectuelle, des concessions, au détriment de leurs ouvriers et paysans.»

Concentration des richesses

Jorge Robledo confirme: «Certes, l’exportation des produits agricoles, des agro-carburants et des extractions minières ont augmenté, mais leur valeur a diminué à cause du marché international, souligne-t-il. La libéralisation du commerce est censée générer une activité économique qui augmente la richesse du pays et renforce les structures démocratiques. En réalité, ces dernières décennies ont montré que la concentration des richesses favorise le système de répression. Les travailleurs se retrouvent en situation de plus en plus précaire et lorsqu’ils protestent, il se heurtent à une réponse policière. Aujourd’hui en Colombie, les syndicalistes sont systématiquement accusés de faire partie de la lutte armée.»

Entre 1986 et 2008, plus de 2’500 syndicalistes ont été assassinés en Colombie. Nombre d’entre eux ont reçu des menaces de mort, ont été arrêtés ou ont disparu. La Colombie compte aujourd’hui plus de 20’000 disparus et 4 millions de déplacés sur une population de 43 millions d’habitants. Selon la Commission Colombienne de Juristes, de juillet 2002 à juin 2007 (période Uribe), plus de 12’500 personnes ont été assassinées ou ont été victimes de disparitions forcées. Des investigations montrent clairement la responsabilité des groupes paramilitaires. Pourtant, 30’000 paramilitaires ont été mis en liberté et laissés en toute impunité pendant cette période.

Et Robledo de rappeler les pressions des milieux démocrates aux Etats-Unis pour bloquer l’accord de libre-échange avec la Colombie en raison des abus des libertés. Selon lui, Bogota tenterait d’utiliser les pays européens comme levier pour obtenir l’accord des Américains.

swissinfo: Carole Vann/InfoSud

La Colombie est le troisième marché d’exportation de la Suisse en Amérique du Sud, après le Brésil et l’Argentine.

En 2007, les exportations vers la Colombie ont représenté 307 millions de francs (pharmas, machines et produits chimiques) et les importations plus de 450 millions de francs (métaux et pierres précieuses, produits agricoles tels que bananes et café).

Le montant des investissements directs suisses en Colombie atteignait en 2006 plus d’un milliard de francs.

Secteurs. Outre l’industrie, de nombreuses entreprises suisses du secteur des services sont représentées sur place (banques, assurances, logistique, vérification des marchandises, services aux entreprises).

Pilier. Les accords de libre-échange avec des partenaires commerciaux en dehors de l’Union européenne représente, avec le statut de membre à l’OMC et les accords bilatéraux avec l’UE, un des trois piliers de la politique économique extérieure de la Suisse, axée sur l’ouverture des marchés

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