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Impact de la libre circulation sur l’économie suisse: ce que disent les chiffres

Des frontaliers frontaliers traversent le lac Léman pour se rendre au travail en Suisse.
Des frontaliers frontaliers traversent le lac Léman pour se rendre au travail en Suisse. (KEYSTONE/Jean-Christophe Bott) Source: KEYSTONE Created Date: Tue May 21 02:00:00 CEST 2013 Keystone / Jean-Christophe Bott

L’immigration européenne en Suisse répond dans l’ensemble aux besoins du marché de l’emploi et une suppression de la libre circulation coûterait cher à l’économie helvétique, concluent diverses études menées ces dernières années.

Une immigration «modérée», sans libre circulation: c’est ce que réclame l’Union démocratique du centre (UDCLien externe), dont l’initiative populaire sera soumise au vote des Suisses le 27 septembre. Le parti de droite conservatrice réclame l’abrogation de l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) et souhaite rendre impossible la conclusion de nouveaux traités qui accorderaient un régime similaire à des ressortissants étrangers en Suisse.

Sur le plan économique, quel bilan peut-on tirer de l’ALCP vingt ans après sa conclusion? La Suisse a-t-elle gagné à ouvrir son marché de l’emploi aux travailleurs européens? Éléments de réponse en chiffres.

Signé le 21 juin 1999 entre la Suisse et l’Union européenne, l’accord sur la libre circulation des personnesLien externe facilite les conditions de séjour et de travail en Suisse des citoyens de l’Union européenne (UE) et des États de l’Association européenne de libre-échange (AELE). L’accord est en vigueur depuis le 1er juin 2002, et a été étendu en 2006, en 2009 et en 2017 aux ressortissants des nouveaux États de l’UE. Le droit à la libre circulation des personnes est complété par des dispositions sur la reconnaissance mutuelle des diplômes, l’acquisition de biens immobiliers et la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Quel a été l’effet de la libre circulation sur l’immigration?

L’ALCP a dopé l’immigration en provenance des pays de l’Union européenne (UE) et des États de l’Association européenne de libre-échange (AELE). En 2002, année d’entrée en vigueur de l’accord, un peu moins de 900’000 ressortissants de ces zones résidaient en Suisse. Leur nombre a depuis bondi de près de 60%, pour atteindre 1,4 million de personnes.

La Suisse est le 2e pays européen comptant la part la plus importante d’étrangers de l’UE/AELE dans sa population active (près de 20%), derrière le Luxembourg. Le nombre de travailleurs frontaliers actifs en Suisse a quant à lui plus que doublé entre 2002 et 2019, passant de 162’000 à près de 330’000.

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L’immigration nette de résidents en provenance de l’UE –la différence annuelle entre les arrivées et les départs-, est en revanche en baisse depuis 2013 et se situe actuellement à un peu plus de 30’000. Le solde migratoire est étroitement lié aux évolutions conjoncturelles: les phases de croissance s’accompagnent en général d’une hausse des excédents migratoires et vice versa, relève l’Observatoire sur la libre circulation des personnes, dont le dernier rapportLien externe est paru fin juin.

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Dans quels secteurs les ressortissants UE/AELE travaillent-ils?

L’industrie, le soin, le commerce et les métiers scientifiques/techniques sont les principaux secteurs de l’économie suisse dans lesquels ils sont actifs. En proportion, les immigrés européens sont moins nombreux que les Suisses dans l’administration publique et dans l’agriculture, mais plus nombreux dans l’hôtellerie/restauration et la construction. Ils pèsent respectivement 30% et 25% du total des personnes actives dans ces deux secteurs.

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S’intègrent-ils sur le marché du travail au détriment des Suisses?

Le travail est le principal motif d’immigration pour la majorité des immigrés UE/AELE, ce qui se traduit par une participation au marché de l’emploi supérieure à la moyenne. L’an passé, leur taux d’activité, c’est-à-dire la proportion d’actifs occupés et de chômeurs calculée par le Bureau International du Travail (BIT)- était de 87,7%, contre 84,3% en moyenne et 84,6% pour les ressortissants suisses.

Autre indicateur de l’intégration sur le marché du travail: le taux de chômage. Pour les ressortissants de l’UE, ce taux a évolué depuis 2012 au rythme de la conjoncture, et il est resté à un niveau supérieur à la moyenne suisse (mais nettement inférieur à la moyenne de l’UE). Le fait qu’une partie de cette immigration se concentre dans des secteurs plus menacés par le chômage et/ou plus soumis aux aléas saisonniers, contribue à l’expliquer.

Sur la même période, le taux de chômage des ressortissants suisses, lui, n’a que peu varié et s’est maintenu à un faible niveau.

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Ces indicateurs font dire à l’Observatoire sur la libre circulation des personnes que cette immigration «semble avoir répondu aux besoins du marché du travail». Selon sa synthèse, «aucun élément n’indique que l’immigration aurait entraîné des répercussions négatives sur les perspectives d’emploi de la population indigène». Au contraire, les immigrés européens ont contribué à la flexibilité du marché du travail.

Plusieurs études menées ces dernières années pour le compte du Secrétariat d’État à l’économie (SECO) se sont penchées sur d’éventuels «effets d’éviction» qui affecteraient la population locale. La plupart s’accordent à dire qu’ils sont pratiquement imperceptibles au niveau global -grâce notamment aux mesures d’accompagnementLien externe– et que la main-d’œuvre étrangère est davantage un complément à la main-d’œuvre locale qu’une concurrence.

Certaines identifient toutefois des sous-groupes de population qui seraient légèrement pénalisés, notamment les personnes très qualifiées nées en Suisse, d’après une étudeLien externe parue en 2013.

Les immigrés de l’UE/AELE sont-ils plus ou moins qualifiés?

D’après cette étude, les immigrés européens très qualifiés «peuvent se substituer à des personnes établies en Suisse ayant le même niveau de formation», mais cela est compensé au niveau global car ils peuvent aussi «créer des emplois pour d’autres moins qualifiées».

La part de personnes ayant fait des études supérieures est en effet élevée parmi les effectifs de l’UE/AELE mais, à l’autre extrémité du spectre, un quart d’entre eux se sont arrêtés au niveau de l’école obligatoire.

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L’Observatoire sur la libre circulation des personnes estime que ces différents niveaux de formation répondent aux besoins de l’économie: l’immigration très qualifiée «a permis de contribuer à la transition structurelle de l’économie suisse vers des activités à forte valeur ajoutée», tandis que pour les postes peu qualifiés boudés par les Suisses, «les entreprises satisfont leurs besoins en personnel en recourant principalement à la main-d’œuvre de l’UE/AELE».

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L’immigration a-t-elle tiré les salaires vers le bas?

Plusieurs recherches menées ces dernières années, pour la plupart sur mandat du SECO, ont distingué des impacts sur les salaires de certains groupes professionnels, mais leurs conclusions varient. Certains chercheurs ont constaté une pression sur les salaires des personnes très qualifiéesLien externe, d’autres ont conclu que les limitations de salaires avaient surtout impacté les moins qualifiésLien externe. Une étude impute à l’immigration une croissance des salaires pour les Suisses très qualifiésLien externe, une autre estime que ce sont plutôt les travailleurs suisses faiblement qualifiésLien externe qui ont profité de l’ALCP. Certains travaux, enfin, ne constatent aucun effet statistiquement significatifLien externe de l’immigration sur les salaires.

Au niveau global, le salaire médian des Suisses et de tous les étrangers (le détail pour l’UE/AELE n’est pas disponible) a quoi qu’il en soit progressé de manière constante et quasiment dans les mêmes proportions entre 2008 et 2018 (respectivement +0,84% et 0,87% par an).

L’Observatoire sur la libre circulation des personnes estime donc qu’il n’y a eu «aucune répercussion négative» de l’immigration sur l’évolution salariale générale.

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Que coûterait la fin de la libre circulation à l’économie suisse?

Après l’acceptation le 9 février 2014 de l’initiative UDC «contre l’immigration de masse», qui faisait craindre aux autorités une remise en cause de l’accord sur la libre circulation, le SECO a commandé deux études pour évaluer les conséquences économiques à long terme d’un tel scénario.

Ces rapports parus en 2015 affirment notamment que la croissance de la population active induite par l’ALCP a entraîné à la fois une augmentation du potentiel de production de l’économie, mais aussi une hausse globale de la demande, favorisant la croissance.

Et les économistes sont unanimes: selon eux, la fin de la libre circulation coûterait cher à la Suisse. À l’horizon 2035, ils évoquent un PIB inférieur de 3 à 4%, un commerce extérieur affaibli et un revenu du travail de la population active inférieur de près de 400 millions de francs par rapport à un avenir où la libre circulation est toujours en vigueur.

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