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Le Bhoutan met un pied dans la démocratie

Jour d'élections au Bhoutan, le 24 mars dernier. Keystone

Le royaume du dragon tonnerre a renoncé en mars à sa monarchie absolue lors d'élections législatives. Terrain de longue date de l'aide au développement helvétique, ce pays himalayen grand comme la Suisse vit sa transition démocratique.

«S’il est un pays dans la région qui peut introduire et vivre la démocratie, c’est le Bhoutan», assure le chef du bureau d’Helvetas sur place, après les élections législatives qui ont mis fin le 24 mars à un siècle de monarchie absolue.

Ces élections (officiellement plus de 79% de participation) ont vu la victoire du Parti unifié du Bhoutan (DPT), mené par un ex-Premier ministre formé aux Etats-Unis. Une victoire écrasante: 45 sièges contre seulement deux pour le Parti démocratique du peuple (PDP), conduit par un oncle du roi.

Ce raz de marée est une surprise, selon Werner Kuelling. Pour lui, la population n’a pas voulu d’un parti proche de la famille royale qui monopolise le pouvoir économique. Sur le fond toutefois, les programmes des deux partis étaient très proches: infrastructures et développement économique au menu.

Cette quasi-absence d’opposition «n’est pas bonne pour la démocratie au Bhoutan, mais elle résulte du jeu démocratique», constate Werner Kuelling, qui reste optimiste sur la suite des événements.

Après certification officielle des résultats, le parti vainqueur devra constituer un gouvernement et son leader devenir le premier Premier ministre du pays choisi à travers le suffrage universel. Une nouvelle constitution sera aussi votée. Le roi transmettra ensuite une grande part de ses pouvoirs.

«Son influence restera très forte, au moins aussi forte que celle du roi en Thaïlande», précise Walter Meyer, chef de la division Asie de l’Est à la Direction du développement et de la coopération (DDC).

La volonté du roi

Dans ce pays enclavé et longtemps coupé du monde, la transition vers la démocratie résulte de la volonté du père du jeune roi actuel couronné en 2006. «Une révolution par la haut, un peu contre l’avis de la population», explique Werner Kuelling.

Dans un article récent, le Français Thierry Mathou, grand spécialiste du Bhoutan, estimait que «la réticence au changement affichée par la population et la bureaucratie montre que la vie politique du Bhoutan reste à inventer.»

A travers un réformisme maîtrisé, la monarchie bhoutanaise cherche à répondre à de nombreux défis, explique Thierry Mathou: exode rural, élévation du niveau d’instruction, essor du consumérisme, développement des médias, (faible) criminalité…

Autre problème: la minorité d’origine népalaise. Dans un système où les valeurs bouddhistes tiennent lieu d’idéologie, les Lhotsampas essentiellement hindouistes ont subit de nombreuses pressions au fil des ans.

Plusieurs dizaines de milliers ont dû quitter le pays et beaucoup sont venus s’entasser dans des camps du HCR au Népal. Une question qui, aux dires de Werner Kuelling, serait en phase de résolution avec la volonté affichée de pays comme les Etats-Unis de les accueillir en partie chez eux.

Exilés et minorités

Plusieurs agences de presse répercutent aussi les critiques d’exilés assurant que des Lhotsampas établis dans le sud du Bhoutan n’ont pu voter lors des législatives, faute de carte d’identité. Précision: neuf Bhoutanais d’ascendance népalaise ont été élus le 24.

«Sur la question des minorités et de la citoyenneté, le Bhoutan a des progrès à faire, reconnaît Walter Meyer, de la DDC. Et apparemment, la volonté de trouver des solutions n’a pas été là jusqu’à présent.»

Amnesty International pour sa part ne suit plus de près la situation intérieure du Bhoutan depuis au moins cinq ans. Ce n’est «pas parce que nous ne publions rien qu’il ne se passe rien», précise Daniel Bolomey, secrétaire général de la section suisse.

Reste que selon les intervenants suisses sur le terrain, le Bhoutan est une «success story» en matière d’aide au développement.

«C’est un succès, car la bonne gouvernance s’impose, explique Walter Meyer. Les chantiers sont très avancés en matière d’éducation, de gestion des ressources naturelles ou de développement rural.»

Une aide qui baisse

Les premiers coups de main apportés par la Suisse datent des années soixante. La DDC et Helvetas ont ouvert un bureau dans la capitale dès 1983 pour y développer un très vaste spectre de projets allant de l’agriculture à la formation d’enseignants en passant par le droit constitutionnel.

Pays prioritaire de la DDC jusqu’en 2006, le Bhoutan a fait les frais de la stagnation des budgets, au profit de pays plus pauvres et problématiques. Mais la Suisse officielle entend accompagner la transition démocratique actuelle.

Berne continuera à engager environ 3 millions de francs par an jusqu’à l’orée de 2012 (contre 6,2 millions en 2006). Une approche adoptée d’entente avec Helvetas, qui évaluera alors les besoins et aspirations des bhoutanais.

A travers Helvetas, la Confédération restera active dans le domaine de la construction de ponts suspendus et de la gestion viable des forêts. En bilatérale avec le gouvernement, elle planifie des projets dans le domaine de la gouvernance – guichet unique, institution anti-corruption, appui à la mise en place d’un système judiciaire autonome.

«Les affinités entre la Suisse et le Bhoutan sont fortes et à l’avenir, les relations stratégiques se poursuivront, assure Walter Meyer. Reste à les définir.»

swissinfo, Pierre-François Besson

L’étroite relation symbolique et émotionnelle entre la Suisse et la Bhoutan a commencé dans les années 40 avec la rencontre durant leurs études à Cambridge de la reine mère Ashi Kesang Choden Wangchuck et de la fille de l’industriel suisse Fritz Von Schulthess.

Entre la fondation créée par Von Schultess, Helvetas et la Direction du dévelopement de la coopération (DDC), quelque 150 millions de francs ont été investis jusqu’ici par la Suisse au Bhoutan.

Montagnards et de taille similaire, les deux pays entretiennent des relations d’amitié au plus haut niveau et ont tendance à se soutenir mutuellement au sein des instances internationales.

Selon le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), une vingtaine de Suisses sont installés au Bhoutan. La société Suisse-Bhoutan s’apprête à publier un ouvrage autour des relations entre les deux pays.

Petit royaume bouddhiste de 46’500 km2 stratégiquement situé entre la Chine (Tibet) et l’Inde, le Bhoutan a toujours craint pour sa sécurité, même s’il a largement échappé à la colonisation.

Mené par la dynastie des Wangchuk, qui a pris le pouvoir en 1907, le pays compte entre 800’000 (selon les autorités) et 2,3 millions d’habitants (CIA). La différence est en partie liée à la question de la minorité d’origine népalaise.

Sans routes ni téléphone jusque dans les années soixante, il s’est depuis modernisé mais reste rural et relativement isolé. Son économie repose sur l’agriculture, l’exploitation forestière, un peu de tourisme et la vente d’électricité d’origine hydraulique à l’Inde.

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