La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935
Les meilleures histoires
Démocratie suisse
Les meilleures histoires
Restez en contact avec la Suisse

La grippe aviaire est-elle une menace pour les fromages suisses? 

un homme en combinaison de protection blanche
Exercice de protection civile visant à se préparer à une épidémie de grippe aviaire à Glaris, en Suisse, le 4 mai 2023. Keystone / Gian Ehrenzeller

Les vaches laitières en Suisse ont échappé jusqu’ici au virus H5N1. Mais si la grippe aviaire frappait des cheptels, la production de fromages indigènes comme la raclette ou le vacherin serait menacée.

En Suisse, la plupart des fromages traditionnels sont produits à partir de lait non pasteurisé (lait cru), une méthode de fabrication qui les rend aussi plus risqués pour la consommation, a fortiori pour les personnes avec un système immunitaire déficient. Car la pasteurisation tue bactéries et virus.  

Contenu externe

Si des mesures ont déjà été prises par l’industrie fromagère et le gouvernement suisse pour limiter les risques pour les consommatrices et les consommateurs, une menace pèse toutefois sur ce procédé séculaire.

En mars 2024, une souche du virus de la grippe aviaire hautement pathogène (HPAI) et mortelle pour les oiseaux, et éventuellement pour les humains aussi, a été détectée pour la première fois sur des vaches aux Etats-Unis. Bien que ces bovins n’aient développé qu’une forme bénigne de la maladie, l’émergence possible d’une épidémie inquiète quant aux risques qu’elle fait peser sur le monde agricole et la sécurité alimentaire.

Grippe aviaire

Des donnéesLien externe datant de juillet dernier et qui émanent du gouvernement américain ont révélé de nouveaux cas de H5N1 dans plus d’un millier de troupeaux dans dix-sept Etats américains. Au total, 41 personnes actives dans ce secteur et exposées à des vaches malades ont été infectées. 

En décembre 2024, la Californie, premier Etat producteur de lait aux Etats-Unis avec un cinquième de la production nationale, a déclaré pour sa part l’état d’urgence afin d’anticiper et d’accélérer les réponses des institutions publiques pour contrer ce fléau. Et en juillet dernier, le Département américain de l’agriculture (USDA) a adopté un décret fédéral qui permet, en cas d’urgence, de contourner les procédures réglementaires en place.

Ce décret exige que des échantillons de lait non pasteurisé soient prélevés dans les silos que les compagnies de transformation du lait utilisent à l’échelle nationale. Ces échantillons sont ensuite transmis pour des tests à l’USDA dans le cadre de sa stratégie nationale de contrôle du lait (NMTS).

C’est après que des agriculteurs ont remarqué que leurs vaches perdaient l’appétit et produisaient un lait anormal et décoloré que des scientifiques fédéraux ont confirmé la présence de ce virus transmis apparemment par des oiseaux sauvages contaminés. En avril 2024, la souche HPAI a pu être détectée par des chercheurs sur 57,5% des 275 échantillons de lait cru prélevés sur les cheptels de quatre Etats touchés (Texas, Kansas, Idaho, Nouveau-Mexique). D’autres tests ont démontré qu’un quart de ces échantillons contenaient la souche H5N1. En outre, une étude a confirmé que la pasteurisation neutralisait l’agent pathogène dans le lait cru affecté.    

Le fromage aussi touché

L’Agence américaine de régulation de l’alimentation et des médicaments, la Food and Drug Administration, a poussé les investigations plus loin pour savoir si le H5N1 était présent dans des fromages au lait cru avec affinage à soixante jours. Sur les 110 échantillons analysés au début de cette année, 96 se sont révélés négatifs. Mais les résultats des quatorze derniers échantillons sont toujours attendus. Si ces premiers résultats laissent à penser que le fromage au lait cru affiné échapperait au virus, une autre étudeLien externe financée par la FDA et menée par l’Université Cornell conclut qu’il peut survivre dans des fromages affinés si le niveau d’acidité est trop faible.

«Notre étude met en évidence les potentiels risques pour la santé publique en consommant des fromages au lait cru. Elle souligne également que des mesures supplémentaires sont nécessaires dans le cadre de la production fromagère pour prévenir ces risques et éviter que des humains s’exposent à ce virus infectieux», résument ses auteurs dans un article publié en mars dernier sur la plateforme bioRxiv. Un site qui diffuse des articles sur des recherches avant leur évaluation par des pairs et leur publication officielle.   

Plus

En Suisse, la première étudeLien externe sur l’impact que pourrait avoir la grippe aviaire sur des produits fabriqués à base de lait cru n’a été publiée qu’en juin dernier. Elle est le fruit de deux instituts fédéraux, celui de la recherche agricole (Agroscope) et de la virologie et de l’immunologie (IVI). Les scientifiques ont testé du fromage fabriqué à partir de lait cru dans lequel du virus H5N1issu du lait des vaches infectées au Texas, isolé, a été injecté. Leurs travaux ont pu établir que dans le lait non pasteurisé, le virus peut survivre aux étapes de production si la température reste inférieure à 50 °C.  

Question de température, mais pas que

Pour les fromages à pâte dure et extra-dure, le lait cru est généralement chauffé entre 51 et 58 °C. Ce qui réduit la présence des agents pathogènes et rend ces produits plus sûrs à la consommation. Mais pour les fromages à pâte molle, la température ne dépasse souvent pas les 35 °C. Elle se situe aussi sous les 50 °C pour la plupart des mi-durs. Avant le caillage du lait, le gruyère est chauffé par exemple autour de 57 °C, l’emmental entre 52-54 °C, l’appenzeller entre 43 et 45 °C et le fromage à raclette à 42 °C.

L’acidité réduit également les chances de survie du virus. Aux Etats-Unis, les travaux de l’université Cornell ont indiqué que celui-ci pouvait rester présent dans le fromage au lait cru contaminé après soixante jours d’affinage avec des niveaux de concentration d’acides (pH, ions hydrogènes) bas (5,8). Mais il n’a pas survécu à un pH plus acide (5,0).

«La température et l’acidité ont une incidence sur la survivance du virus dans le fromage au lait pasteurisé. Mais sa neutralisation complète dépend surtout de la charge virale initiale et de la recette spécifique à chaque fromage», relève Nicole Lenz-Ajuh, principale auteure de l’étude.

Plus

Mais température et acidité ne sont pas les seuls facteurs déterminants pour savoir si du H5N1se camouflerait dans des fromages achetés dans les magasins. D’autres paramètres comme la concentration en sel ou la quantité d’eau pour la croissance microbienne (activité de l’eau) peuvent déterminer aussi si un virus actif a survécu ou non à la transformation.

Les conditions exactes dans lesquelles les fromages suisses sont produits ne sont pas indiquées sur les emballages, mais il est possible de consulter les fiches de spécifications pour chaque fromage dit d’appellation d’origine protégée (AOP) comme le gruyère par exemple. Pour les autres variétés, la clientèle intéressée doit contacter directement les producteurs.

Surveillance des autorités suisses

Switzerland Cheese Marketing dit contrôler la situation. Le lobby suisse du fromage met en garde la clientèle sur des conclusions hâtives basées sur des études expérimentales menées dans des conditions de laboratoire.

«Nous suivons de près les développements scientifiques et restons en contacts réguliers avec les instituts de recherche et les autorités», atteste Desiree Stoker, porte-parole de Switzerland Cheese Marketing. Laquelle rappelle cette règle de base: «la consommation de fromage suisse est généralement sans danger, idem pour ceux fabriqués à partir de lait cru».

L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires a pris note de cette étude. Dans sa réponse à swissinfo.ch, l’OSAV relève qu’il n’est pas nécessaire de prendre des mesures préventives car aucun cas de H5N1 n’a été documenté chez des vaches laitières jusqu’ici en Suisse.

Mais une surveillance accrue pourrait être instaurée si des foyers étaient signalés dans plusieurs élevages de volailles près de cheptels, précise Barbara Wieland, directrice de l’Institut de virologie et d’immunologie.    

La Suisse épargnée?

«Reste que la probabilité qu’une telle situation se produise en Suisse est actuellement nulle puisqu’il faudrait alors une pression infectieuse très élevée pour que le virus se transmette aux vaches. Il n’y a pas d’influenza aujourd’hui parmi les élevages de volailles dans notre pays», confirme-t-elle. Elle précise que «des centaines de millions de poulets et d’oiseaux sauvages ont péri aux Etats-Unis avant que des vaches soient infectées».  

Contenu externe

La Suisse possède aussi un avantage par rapport aux Etats-Unis : un système de contrôle et d’analyse du lait bien rodé. Pour s’assurer de la qualité de ce dernier, chaque exploitation laitière est contrôlée deux fois par mois dans le but de détecter la mastite, l’inflammation des mamelles des vaches. «Ce système pourrait être étendu sans problème, si le besoin se fait sentir, à la détection de la grippe aviaire», avance-t-elle.

Elle avertit aussi qu’il faut rester prudent en prenant uniquement pour référence l’expérience réalisée dans l’industrie laitière aux Etats-Unis. Car le comportement de la souche H5N1y a été différent par rapport à d’autres.

«Nous avons observé des différences dans l’isolation des virus américains. Il est par conséquent difficile de tirer des conclusions générales sur leur survivance dans les produits laitiers», poursuit Barbara Wieland. Qui ajoute que «les souches virales locales devront être réévaluées».

Si la grippe aviaire n’a pas encore été identifiée sur des vaches laitières en Suisse et que le protocole de contrôle du lait semble pouvoir être adapté si nécessaire, quel impact aurait cependant un tel fléau sur le secteur fromager? Après deux ans d’exportations assez médiocres, l’industrie fromagère suisse a connu un sursaut en 2024. Le produit total dans ce secteur s’est monté à 748.5 millions de francs suisses (929 millions de dollars), soit une plus-value de +5,3% par rapport à l’exercice 2023.

Mais l’annonce faite le 1er août dernier par le président des Etats-Unis Donald Trump de relever les taxes douanières de 39 % sur les importations de produits suisses menace de compromettre cette belle reprise. Aujourd’hui, 11 % des exportations de fromage suisse sont destinées au marché américain, une part qui atteint un tiers pour le gruyère. Dans ces conditions, le secteur redoute d’autant l’apparition d’une épidémie.  

Plus

Relu et vérifié par Nerys Avery/ds. Traduit de l’anglais par Alain Meyer/rem

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision