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Les Lombards inquiétés par le Tessin

Une place de Porlezza, financée avec la ristourne des impôts des frontaliers. Nicole della Pietra

Inquiétude et colère. Tels sont les sentiments dans la plupart des communes italiennes frontalières, après le gel partiel de l’impôt sur les frontaliers décidé par le Tessin. Le financement futur des infrastructures de ces communes est en danger. Reportage.

En cette chaude après-midi d’été, Porlezza, en Lombardie, a des airs de station balnéaire. Des voitures immatriculées en Hollande et en Allemagne sont stationnées dans les ruelles du bourg de 4500 habitants. Située dans la province de Côme, Porlezza se trouve aux confins nord-est du lac Ceresio.

Le maire de la ville, Sergio Erculiani, fait visiter l’école primaire. Des accords de violon s’échappent de la salle de musique. Il est fier de sa commune et des efforts consentis ces dernières années pour améliorer les infrastructures et les espaces publics, mais aussi pour enrichir l’offre culturelle et les activités sociales de la municipalité.

Plus d’infrastructures et de services

«La part de la ristourne de l’impôt sur les frontaliers nous a permis d’agrandir et de rénover l’école, et de construire une salle polyvalente de sport», explique-t-il, soucieux de montrer le bon usage fait des quelque 700’000 francs payés chaque  année par Bellinzone, et reversés par Rome après déduction.

Fait non négligeable pour une petite ville qui veut doper le tourisme, la ristourne fiscale tessinoise – conjuguée avec des fonds européens – a aussi servi à réaménager la promenade du bord du lac.

Plus loin, plus au sud, à Valmorea, une commune de 2700 âmes, nichée dans les collines verdoyantes et sauvages de la province de Varèse, le maire, Mauro Simoncini, tient lui aussi à prouver «qu’on ne gaspille pas l’argent de la ristourne». Ici, presque toute la population active travaille au Tessin.

Cet homme jovial indique plusieurs exemples d’infrastructures financées grâce à l’impôt des frontaliers. En voiture, il longe le dispensaire flambant neuf de Valmorea, et poursuit sa route en direction de l’école, sans manquer le petit giratoire, inauguré l’an dernier, grâce «à l’argent qui vient de Suisse, et qui a permis de mettre fin à une longue série de collisions à cet endroit», se réjouit-il.

Invitation ?

Mauro Simoncini, qui avoue son penchant pour le Tessin et s’y promène d’ailleurs le dimanche avec son épouse, préfère ne pas commenter la décision du gouvernement tessinois – à savoir geler la moitié de l’impôt à la source prélevé sur le salaire des frontaliers. «Le travail, c’est en Suisse qu’on le trouve. Dans la région, nous n’avons pas beaucoup d’emplois à offrir».

L’homme sait de quoi il parle. Propriétaire d’un chantier naval, en quelques années, il a été obligé de licencier plus des trois quarts de son personnel et l’avenir reste incertain. «Ici, l’argent ne circule plus, personne n’achète rien», confie-t-il.

Débat houleux ou démagogie?

A Côme, chef-lieu de la province du même nom, le ton du conseiller communal, Luigi Bottone est plus combatif. Il veut organiser une réunion des syndicats au début du mois de septembre «pour unir nos forces et nous défendre». Le  politicien ignore combien de ses concitoyens travaillent au Tessin. Peu importe.

Le contentieux fiscal italo-tessinois autour du gel des quelque 30 millions de francs d’impôts destinés à l’Italie a permis à ce jeune coordinateur de «I popolari di Italiadomani » (centre droite) de multiplier ses apparitions dans la presse et sur Internet, notamment en rétorquant aux propos belliqueux de Giuliano Bignasca. Le bouillonnant patron de la Lega a fait du dossier de l’impôt sur les frontaliers son principal cheval de bataille.

«Certains politiciens italiens en profitent pour faire leur campagne personnelle. En réalité, rares sont ceux qui connaissent les noms des ministres tessinois et encore moins le mécanisme politique helvétique», regrette cette journaliste lombarde, spécialiste du traité bilatéral italo-suisse de 1974 sur la redevance aux communes de frontière, et qui préfère garder l’anonymat.

Moins de chômeurs

A l’évidence, Claudio Pozzetti ne fait pas partie de cette catégorie. Consultant  auprès du Conseil général des Italiens de l’étranger à Côme, il est chargé de veiller aux intérêts des travailleurs italiens employés au Tessin. Il récite scrupuleusement chaque étape du bras-de-fer, et connaît chacune des déclarations des membres du Conseil fédéral dans ce dossier.

Lui aussi s’indigne de «la campagne humiliante dont les travailleurs frontaliers ont été la cible», notamment au travers de la campagne dites des rats, orchestrée par l’UDC (Union démocratique du centre, droite conservatrice).

Mais il s’empresse aussi de souligner: «Si ces dizaines de milliers de travailleurs n’avaient pas un emploi bien rémunéré en Suisse, une grande partie d’entre eux serait sans doute au chômage et pèserait lourdement sur les petites communes qui n’auraient pas les moyens de subvenir à de telles charges».

Spectre d’une baisse

Mais plus que le gel, qui ne se fait d’ailleurs pas sentir pour l’heure dans les communes frontalières – l’argent versé par Bellinzone à Rome n’est rendu aux entités communales que deux ans plus tard – c’est un autre danger qui fait trembler les municipalités lombardes et piémontaises. En effet, rares sont les maires à oser évoquer la question de la baisse du taux de ristourne.

Fixé à 38,8% dans le traité bilatéral italo-suisse de 1974, le gouvernement tessinois et les partis bourgeois exigent un abaissement du taux. Ils rappellent le pourcentage appliqué à l’Autriche. Vienne ne perçoit que 12,5% de l’impôt à la source de ses citoyens salariés en Suisse. Longtemps réfractaire à l’idée de modifier à la baisse ledit traité, même la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, ministre de tutelle, admet désormais que la question mérite d’être examinée.

De quoi faire trembler les communes de domicile des frontaliers italiens. «Rome multiplie les coupes budgétaires et le plan d’assainissement de la dette, voté il y a quelques semaines par le Parlement italien, ne laisse présager de bon. C’est pourquoi, nous comptons plus que jamais sur l’argent qui nous revient de Suisse», s’inquiète Mauro Simoncini.

Le traité bilatéral conclu entre la Suisse et l’Italie sur la compensation financière des communes de frontière date de 1974.

Il prévoit que 38,8% de l’impôt prélevé à la source sur le salaire des travailleurs frontaliers, est reversé par le Tessin (et le Valais) à l’Italie. 

A leur tour, les communes ne perçoivent leur part de cette redevance que deux ans plus tard. Ainsi, elles viennent de percevoir la ristourne de 2009.

Les 340 communes dites de frontière en Lombardie et dans le Piémont se situe dans un rayon approximatif de 20 km de la frontière avec le Tessin.

50’500 travailleurs frontaliers franchissent chaque jour la douane pour venir travailler au Tessin.

Une partie de cette main d’œuvre est non qualifiée et les salaires pour cette catégorie de travailleurs, souvent des femmes, ne dépassent parfois pas le seuil des 2600 francs mensuels brut.

Le fisc italien a lancé lundi une campagne publicitaire à la télévision pour dénoncer les «parasites humains» coupables d’évasion fiscale.

Objectif: collecter davantage d’impôts dans un pays rattrapé par la crise de la zone euro en raison de son énorme dette. Il veut réunir onze milliards d’euros sur toute l’année 2011, soit un milliard de plus que l’an passé

PIB. Les experts estiment que les Italiens omettent de déclarer au fisc des sommes énormes équivalent chaque année à environ 8% du PIB. La dette italienne représente 120% du PIB.

Images. L’un des spots publicitaires montre en enfilade les photos de parasites du poisson, du chien, et vivant aux dépens d’autres animaux avant de s’arrêter sur le visage d’un homme à la barbe mal taillée avec l’inscription «parasite humain».

Source : agences

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