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Les deux visages de Holcim, géant suisse du ciment

Holcim
Keystone / Steffen Schmidt

Le jour même où Holcim était convoqué au tribunal de Zoug pour une plainte climatique, le groupe faisait la promotion de son plan «zéro émission nette» lors d'un congrès à quelques kilomètres de là. Que vaut cette promesse écologique?

Conséquence du changement climatique, la montée du niveau de la mer frappe durement l’île de Pari, au large des côtes indonésiennes. Quatre de ses habitants ont porté plainte en Suisse contre Holcim.

L’argumentation des plaignants et plaignantes est la suivante: l’industrie du ciment est responsable de 8% des émissions mondiales de CO2, et Holcim est l’un des plus grands producteurs de ciment au monde. Le cimentier a donc été désigné co-responsable dans la plainte, soutenue par des ONG.

L’accusation peut sembler arbitraire. Mais des responsables doivent pouvoir être désignés même dans des systèmes complexes, selon la logique compréhensible de la plainte.

Si la justice entrait en matière sur la responsabilité du cimentier dans une partie des dommages causés à Pari, cela ouvrirait la voie à d’autres procédures. C’est ce qui explique l’intérêt suscité par le procès. Holcim constitue la première ligne de défense pour toutes les entreprises du monde dont les activités nuisent au climat.

Holcim dit viser la neutralité carbone

Le premier acte s’est déroulé mercredi dernier à Zoug, où Holcim, comme de nombreux groupes internationaux, a son siège. Le géant du ciment a contesté la recevabilité de la plainte. Selon lui, la question de la responsabilité n’a pas à être jugée par les tribunaux.

Le tribunal cantonal de Zoug n’a pas encore communiqué sa décision. Celle-ci ne devrait de toute façon pas être définitive. Il est probable que les deux parties utiliseront toutes les voies de recours.

procès Holcim
Les plaignants indonésiens, Ibu Asmania (au centre à gauche) et Arif Asmania (au centre à droite) devant le tribunal de Zoug. Keystone / Urs Flueeler

Un recours à Strasbourg paraît même possible. La Cour européenne des droits de l’homme est vue comme progressiste sur les questions climatiques: en 2024, elle a reconnu la plainte des «Aînées pour le climat» contre la Suisse.

La communication de Holcim sur l’affaire est succincte. Des discussions en vue d’un accord à l’amiable avec les plaignants se sont-elles tenues? Un tel accord serait-il envisageable? Le groupe renvoie à sa déclaration officielle.

«Nous attendons désormais la décision du tribunal, mais quelle qu’elle soit, Holcim est déterminé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, la durabilité étant au cœur de notre stratégie», stipule celle-ci.

Le problème des 44%

C’est l’image que le groupe souhaite véhiculer à l’extérieur. Le même jour, Clemens Wögerbauer, responsable du développement durable chez Holcim Suisse, s’exprimait à Winterthour, à une heure de route seulement du tribunal cantonal de Zoug.

procès Holcim
La délégation de Holcim à Zoug. Keystone / Urs Flueeler

Son intervention s’est tenue dans le cadre du Swiss Green Economy Symposium (SGES), lors duquel entreprises, responsables politiques et ONG se rencontrent pour échanger sur le développement durable et réseauter.

Nous avons tous besoin de béton: tel a été, en substance, le message de Clemens Wögerbauer. «Nous avons tendance à l’oublier, mais le béton est le fondement de notre prospérité. Il est durable et bon marché», a-t-il plaidé. Le problème, a-t-il poursuivi, est que le béton est principalement fabriqué à partir de la combustion de calcaire, un processus qui génère du CO2 et nécessite beaucoup d’énergie.

Dès lors, a anticipé le responsable du développement durable, comment son groupe peut-il devenir neutre en CO2 d’ici 2050? Réponse: «en actionnant tous les leviers tout au long de la chaîne de valeur», a-t-il poursuivi, évoquant le recyclage du béton, le remplacement du clinker comme liant et les nouvelles dalles de béton CPC en carbone précontraint, qui peuvent être démontées et réutilisées.

Le problème qui subsiste a été illustré par un graphique de Holcim sur la trajectoire de réduction, c’est-à-dire la feuille de route de réduction progressive prévue des émissions de CO2. Holcim devra capter et stocker, ou valoriser autrement, les 44% restants d’ici 2050. Le concept-clé est ici celui des technologies dites CCUS, pour Carbon Capture, Utilisation and Storage (captage, stockage et utilisation du carbone).

Une proximité critiquée

Holcim a fait valider ses objectifs de zéro émission nette par l’initiative Science Based Targets (SBTi)Lien externe, qui est notamment soutenue par le WWF. L’organisation environnementale était l’une des rares ONG présentes à Winterthour.

«Les entreprises font partie du problème, mais elles font aussi partie de la solution», selon le porte-parole du WWF Sebastian Obrist, qui participait au symposium. Au vu de l’énorme influence des multinationales, elles sont «des alliées nécessaires dans la lutte contre la crise climatique et l’extinction des espèces».

Selon ses détracteurs, le WWF passe au-dessus des conflits d’intérêts et favorise le greenwashing. La SBTi fait elle aussi l’objet de critiques. En 2024, son directeur général, Luiz Amaral, a démissionné sur fond de controverse interne autour de la décision de l’organisation d’intégrer la compensation carbone dans sa méthodologie.

Les engagements en faveur de la réduction des émissions ne sont-ils au fond qu’une façade destinée à gagner du temps et à éviter les interventions et les contrôles de l’État? En d’autres termes, que vaut la promesse écologique d’entreprises telles que Holcim?

Qui paierait pour ces «rêves»?

Responsable de la communication chez Cemsuisse, l’association suisse de l’industrie du ciment, Lukas Hetzel a également pris part à la table ronde à Winterthour.

Son ton plus sceptique a tranché avec celui des précédents intervenants. «Les rêves et les objectifs sont une bonne chose, mais il nous faut être clairs», a-t-il déclaré.

Selon lui, les coûts de 200 à 500 millions par cimenterie pour le captage du CO2 ne sont pas finançables pour le secteur. De plus, les capacités de transport font défaut. «Et d’où viendrait l’électricité? Nous n’aurions jamais assez d’électricité pour faire fonctionner les mesures CCSU.»

À l’inverse, Holcim a mis l’accent sur ce qui était réalisable et ce qui avait déjà été réalisé. Les critiques formulées en 2021 par Greenpeace Suisse, selon lesquelles le groupe serait à l’origine d’émissions toxiques sur divers sites à travers le monde, ont été prises en compte.

«Tous les cas mentionnés ont été identifiés et entièrement résolus. Nous avons mené à bien plus de 150 projets dans le cadre de nos efforts visant à réduire complètement notre impact environnemental d’ici 2024», écrit le service de presse en réponse à nos questions. En ce qui concerne les émissions de CO2, le groupe indique avoir les avoir réduites de plus de 10% en Suisse depuis 2021.

Dernièrement, la crédibilité du groupe s’est renforcée. La dernière amende pour entente sur les prix remonte à huit ans déjà. Et les accusations de financement du terrorisme liées à une usine en Syrie se sont presque éteintes.

Holcim a toujours insisté sur le fait qu’il n’était pas au courant et que c’est le cimentier Lafarge, qui a fusionné avec Holcim en 2015 – et dont les lettres ont depuis disparu du nom de l’entreprise – qui serait responsable des incidents survenus dans le passé.

Votation dans le canton de Vaud

L’image de Holcim est importante pour le groupe, à fortiori en Suisse, où la population dispose d’un pouvoir important grâce à ses droits démocratiques. Le cimentier va suivre de près la votation cantonale vaudoise du 28 septembre sur l’initiative «Sauvons le Mormont», qui vise à protéger la colline du Mormont, dans la région d’Eclépens.

Holcim
La carrière controversée de Holcim à Éclépens. Keystone / Laurent Gillieron

Entre octobre 2020 et mars 2021, la carrière exploitée par Holcim au Mormont a été occupée par des activistes pour le climat. Là encore, Holcim met en avant ses efforts en matière d’environnement et de climat, ainsi que l’importance de la carrière pour l’industrie de la construction.

Le vote sera également pour Holcim un indicateur de sa popularité auprès du public suisse, et de la confiance que les citoyens et citoyennes placent dans la promesse verte.

Créé en 2013 à Winterthour, le Swiss Green Economy Symposium (SGES)Lien externe n’a cessé de croître. Cet événement de réseautage rassemble en particulier l’industrie traditionnelle et l’industrie durable. Swissinfo était partenaire média de l’événement, qui s’est déroulé du 2 au 4 septembre à Winterthour.

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Modéré par: Luigi Jorio

Que fait votre pays pour vous protéger des effets du changement climatique?

La CEDH a condamné la Suisse pour violation des droits fondamentaux en matière de climat. Pensez-vous que votre droit à un environnement sain est respecté?

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Relu et vérifié Balz Rigendinger, traduit de l’allemand par Albertine Bourget/ptur

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