Plus gras, plus sucré, comment l’industrie alimentaire tente de séduire la génération Z
Les géants de l’alimentaire misent sur les «Gen Z» pour doper leurs ventes. Pour ce faire, ils exploitent à la fois l’appétence des jeunes pour la malbouffe et les tendances lancées sur les réseaux sociaux.
Située entre les millennials (nés entre 1981 et 1995) et la génération Alpha (2010-2025), la génération Z (1997-2010) constitue aujourd’hui un quart de la population mondiale.
Cette tranche d’âge est la plus consommatrice de l’histoire. Publié l’an passé, un rapport rédigé par trois bureaux scrutant les habitudes de consommation (NielsenIQ, GfK, World Data Lab) et intitulé «Spend ZLien externe» («dépenses Z»), prédit que son pouvoir d’achat pourrait avoisiner les 12 trillions de dollars (9,7 trillions de francs suisses) d’ici 2030, soit 18,7% des dépenses mondiales.
Ce document avance également qu’elle deviendra la génération la plus riche de toutes, et que le niveau de ses dépenses dépassera celui des baby-boomers (nés entre 1946 et 1964) d’ici 2029. Les dépenses des «Gen Z» devraient ainsi progresser de 4% au cours de la prochaine décennie, soit deux fois plus vite que les générations précédentes.
Bien que son pouvoir d’achat représente un potentiel de croissance immense pour les géants de l’alimentaire tels que le Suisse Nestlé, la génération Z ne devrait pas être aussi facile à séduire que ses prédécesseuses. Le même rapport explique en effet que les «Gen Z» ne sentent pas liés aux marques, et que les deux tiers d’entre eux jugent les produits de marques confidentielles tout aussi bons que ceux des marques les plus établies.
En quête de réconfort alimentaire
L’une des clés pour ouvrir le porte-monnaie de la génération Z, c’est sa faiblesse pour les petites gourmandises, surtout en période de stress. Un rapportLien externe du Conseil international d’information sur l’alimentation (International Food Information Council) publié en 2022 montre qu’un tiers des «Gen Z» américains interrogés se décrivent comme «très stressés» (33%). C’est plus que les millennials (29%), la génération X (25%) et les baby-boomers (10%). En janvier 2025, une autre enquêteLien externe portant sur les comportements en matière de santé et de bien-être a conclu que 6 «Gen Z» sur 10 se tournent vers la malbouffe pour apaiser leur stress.
Pour cette génération, faire les bons choix alimentaires est en soi une source de stress. Selon l’agence de branding Method 1, spécialisée dans les marques de produits dits «plaisir», la génération Z subit une pression considérable pour aligner ses choix d’aliments et de boissons sur son identité et ses valeurs.
Paradoxalement, cette même anxiété la pousserait à consommer plus de produits gourmands et culpabilisants. C’est ce qu’affirme l’agence dans sa récente analyse intitulée «Being Good by Being BadLien externe» (comprendre: se faire du bien en se faisant du mal),qui explore le tiraillement de la génération Z entre bien-être et plaisir.
Plus de gourmandise… et de calories
«Cette génération publie sur Instagram ses photos de smoothies verts et ses routines fitness, mais en privé elle grignote pour compenser le stress, résume Allison Arling-Giorgi, responsable chez Method 1. Le jour, ils et elles suivent de près leurs apports nutritionnels et leurs séances de méditation, mais recherchent des expériences savoureuses et caloriques le soir, quand les pressions existentielles les submergent.»
Certaines entreprises ont déjà commencé à exploiter ce filon au goût de culpabilité. La glace Cornetto Max, lancée par Unilever en août, en est un exemple. Le géant de l’alimentaire ne fait pas mystère de la cible de ce produit.
«Cornetto Max a été conçu pour flatter l’amour de la génération Z pour le maximalisme, une tendance où l’excès est de mise», indique la compagnie sur son siteLien externe.
Garnie d’un dôme de chocolat et de plusieurs couches de sauces gourmandes, cette nouvelle glace compte aussi plus de calories. Cent grammes d’un Cornetto Max Noisettes et Chocolat contiennent en effet 349 calories et 19 grammes de lipides, contre 272 calories et 15 grammes de lipides pour un Cornetto classique Chocolat Vanille.
Unilever n’est pas la seule à miser sur l’hyper-gourmandise. Exträaz, la nouvelle gamme de Häagen-Dazs (une marque du groupe Nestlé) contient elle aussi de généreux morceaux de desserts, comme des cookies ou des brownies au beurre.
«Lancés au Canada, les nouveaux parfums Exträaz de Häagen-Dasz ont été spécialement conçus pour offrir des goûts excitants et une expérience multisensorielle captivante aux jeunes consommateurs de crème glacée», explique Nestlé dans son rapport annuel 2024.
L’Exträaz est elle aussi très riche: compter 430 calories pour les trois quarts d’un pot d’Exträaz Cookie Butter Crumble, contre 370 calories pour une portion équivalente de la glace au chocolat standard de la même marque. Soit environ 15% de calories en plus par portion.
De jeunes ambassadeurs alimentaires sur les réseaux
Une autre caractéristique de la génération Z est d’être la première dont le pouvoir d’achat provient pour plus de la moitié de pays émergents. L’Europe et l’Amérique du Nord représentent seulement 10% de cette génération et 44% de ses dépenses.
Etudiant en 3e année d’économie à l’Université de Malaya à Kuala Lumpur, en Malaisie, Lock Chun Yie, 22 ans, appartient à ces nouveaux consommateurs. Il a été sélectionné par la succursale malaisienne de Nestlé pour devenir l’an passé l’un des douze influenceurs de Nestlé Youth, officiant comme ambassadeur de cette marque sur les campus du pays.
«Mon produit préféré de Nestlé est la boisson chocolatée Milo», déclare-t-il à Swissinfo.
Ces jeunes influenceurs ne reçoivent pas d’argent en contrepartie, mais des sacs remplis de cadeaux de Nestlé et ont la priorité lorsque des emplois se libèrent dans l’entreprise. Leur rôle est de générer du buzz autour de la marque sur les campus en utilisant leurs comptes personnels sur les réseaux sociaux.
«Je fais le pont entre Nestlé et la communauté universitaire, explique Lock Chun Yie. Je participe à l’organisation d’événements tels que des bourses à l’emploi, et je fais la promotion d’événements de Nestlé dans mes stories Instagram pour attirer du monde et des bénévoles.»
«Dirty soda» et autres tendances TikTok
Les entreprises de l’alimentaire misent de plus en plus sur le pouvoir des réseaux sociaux pour atteindre la génération Z et satisfaire ses envies d’aliments réconfortants.
Fin 2021, la fondation britannique indépendante Nesta a mené un projet au Royaume-Uni auprès de 284 jeunes âgés de 13 à 16 ans, afin de recueillir des données sur les publicités alimentaires qu’ils reçoivent. Cette étude a montré que plus de 70% du marketing ciblant cette tranche d’âge émanait de seulement quatre plateformes de réseaux sociaux. De plus, sur les 4879 publicités collectées, plus de 70% concernaient des produits peu sains.
Nestlé fait partie des entreprises utilisant les réseaux sociaux pour vendre aux jeunes consommateurs des produits au faible intérêt nutritionnel. Le géant suisse de l’agroalimentaire tente par exemple de capitaliser sur la tendance TikTok du «dirty soda», qui consiste à rendre un soda glacé encore plus malsain en y ajoutant des sirops et de la crème.
@whoslulugirl_2Lien externe New fav drink!!🫶🏻🥤 #drpepperLien externe #dirtysodaLien externe #coffeemateLien externe #coffeematedirtysodaLien externe #sonicLien externe #swigLien externe #makeadrinkwithmeLien externe #vlogLien externe #dirtydrpepperLien externe #coconutlimeLien externe #creamerLien externe @Coffee mate @Dr Pepper ♬ original sound – Bella💞Lien externe
Pour ce faire, Nestlé s’est associé à la marque de boissons Dr Pepper afin de créer une «crème» – généralement un produit non laitier avec une durée de conservation plus longue- pour ces sodas revisités.
Dans son rapport 2024 publié en février, Nestlé confirme que «le nouveau Coffee Mate Dirty Soda Coconut Lime développé avec Dr Pepper capitalise sur la tendance virale du ‘dirty soda’ sur TikTok, ouvrant une nouvelle perspective pour la marque iconique en termes de consommation».
Mais 15 millilitres de cette crème, soit l’équivalent d’une cuillère à soupe, ajoutent encore 35 calories à cette boisson déjà peu saine et contiennent, en prime, des ingrédients génétiquement modifiés.
«Les profits avant la santé des enfants»
«Ce partenariat entre Nestlé et Dr Pepper, qui surfe sur la tendance du ‘dirty soda’, montre que l’industrie alimentaire fera toujours passer ses profits avant la santé de nos enfants, dénonce Kathryn Backholer, co-directrice du Centre mondial pour la santé préventive et la nutrition (GLOBE) à l’Université Deakin, en Australie. Une mauvaise alimentation est un facteur de risque majeur pour diverses maladies chroniques. Ce type de marketing en ligne insidieux sabote l’avenir de nos enfants.»
Kathryn Backholer a collaboré avec d’autres scientifiques à la première étudeLien externe sérieuse sur le marketing d’aliments et de boissons proposés sur TikTok.
Cette étude, intitulée «Turning users into ‘unofficial brand ambassadors» («Des usagers transformés en ambassadeurs officieux pour les marques»), a révélé que 92% des vidéos de ce type étaient produites par des internautes non rémunérés par les marques, et que 73% d’entre elles véhiculaient une impression positive.
Les consommateurs et consommatrices seraient ainsi, à leur insu, devenus publicitaires par le biais de leurs contenus sur les réseaux.
Nestlé dit appliquer un marketing responsable
Nestlé nie exploiter les tendances virales sur les réseaux sociaux pour cibler les mineurs avec ses nouveaux produits.
«Nestlé a pris des mesures depuis des années en faveur d’un marketing responsable avec des normes strictes concernant les enfants, déclare un porte-parole du groupe. Nous limitons la publicité payante aux moins de 16 ans sur tous les canaux, y compris les réseaux sociaux. Cette politique s’applique également aux partenariats avec les influenceurs, et nous n’engageons pas d’influenceurs de moins de 18 ans.»
Il existe cependant des moyens de toucher le jeune public sans enfreindre les règles d’un marketing responsable. Exemple: embaucher un influenceur de 35 ans avec beaucoup de followers.
En mai, NestléLien externe a officialisé un partenariat avec le magicien américain Zach King, qui compte 82 millions d’abonnés sur TikTok et détient le recordLien externe mondial de la vidéo la plus vue sur ce réseau. Zach King a été recruté pour devenir le tout premier influenceur mondial de Nescafé.
«La communauté de fans de Zach King est jeune et diversifiée, à l’image de l’esprit de notre nouveau café froid Nescafé Espresso Concentrate», a déclaré David Rennie, vice-président exécutif de Nestlé et directeur des unités d’affaires stratégiques ainsi que du marketing et des ventes, lors de l’annonce officielle du partenariat.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin/ts, traduit de l’anglais par Alain Meyer/ptur
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