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Transparence des liens d’intérêts: les élus suisses font de la résistance

Une vue du Conseil national pendant la session parlementaire d automne.
Une vue du Conseil national pendant la session parlementaire d'automne. Keystone / Alessandro Della Valle

Particularité politique suisse, près de 200 élus du Parlement (quasiment 80%) ont au moins une fonction extra-parlementaire rémunérée. Depuis décembre, les élus sont tenus de dire pour quels mandats ils reçoivent de l’argent, mais la transparence sur les montants se heurte à de fortes résistances. Notre enquête.

Un rejet par 113 voix contre 67Lien externe. Une nette majorité de la chambre basse du Parlement suisse (Conseil national) a ainsi décidé de ne pas donner suite à l’initiative parlementaireLien externe du député socialiste Mathias Reynard «Liens d’intérêts des parlementaires. Pour une déclaration transparenteLien externe» au premier jour de la session parlementaire d’automne.

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Le texte, soutenu par le Parti socialiste (PS) et les Verts, réclamait notamment que soit introduite l’obligation pour les élus de déclarer tous les montants perçus dans le cadre de leurs liens d’intérêts. Cela afin de «protéger la démocratie des lobbys» et d’éviter que ne se développe «une suspicion généralisée».

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Les liens d’intérêts désignent les fonctions que les parlementaires suisses peuvent occuper parallèlement à leur mandat politique, que ce soit auprès d’entreprises privées, de groupements économiques, d’organisations non gouvernementales, de syndicats ou encore d’institutions publiques.

Ces mandats, bénévoles ou rémunérés, ne se résument pas à l’activité professionnelle principale. Sous cette dénomination générique, on retrouve aussi bien la présidence du conseil d’administration d’une grande entreprise que l’aide volontaire à une association locale.

Les liens d’intérêts sont légaux, et souvent présentés comme indissociables de l’exception helvétique que constitue le système de milice – le fait qu’en Suisse, contrairement aux autres pays, les parlementaires ne sont pas des politiciens professionnels et sont supposés conserver une activité rémunératrice.

Les mandats doivent cependant être déclarés par les élus lorsqu’ils entrent en fonction et au début de chaque année. Ils figurent sur le site du Parlement et dans le Registre des intérêtsLien externe. L’objectif est de garantir une certaine transparence face à de potentiels conflits d’intérêts.

Près de la moitié des liens d’intérêts sont rémunérés

Les 246 parlementaires suisses (200 «députés» au Conseil national et 46 «sénateurs» au Conseil des États, la chambre haute) comptabilisent un total de 1688 liens d’intérêts, soit une moyenne de presque 7 par élu, d’après un décompte des déclarations figurant sur le site du Parlement réalisé par SWI swissinfo.ch (état au 8 septembre).

Un peu plus de 900 de ces liens d’intérêts sont présentés comme bénévoles, et 780 (46%) comme rémunérés. Quarante conseillers aux États (87%) et 155 conseillers nationaux (77,5%) ont au moins un mandat payé*. En moyenne, les élus du Parti libéral-radical (PLR, droite) et du Parti démocrate-chrétien (PDC, centre droit) en comptent le plus.

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La rémunération fait-elle le conflit d’intérêts?

L’obligation de préciser si les mandats sont exercés à titre gracieux ou contre rémunération n’a été introduite qu’au début de la nouvelle législature, en décembre dernier. La NZZLien externe avait alors fait un décompte similaire et obtenu des chiffres légèrement inférieurs – ce qui n’a rien d’étonnant, car les députés se voient souvent proposer de nouveaux mandats une fois installés sous la Coupole.

Appelant à rejeter l’initiative de Mathias Reynard, la majorité de la commission des institutions politiques (CIP) du National a argué que ses objectifs étaient déjà en partie atteints avec la nouvelle règle. Mais ce n’est pas suffisant pour Transparency International (TI) Suisse, qui réclame aussi que les montants perçus puissent être connus du public.

«Les parlementaires sont devenus les principaux lobbyistes à cause des nombreux mandats qu’ils exercent et donc défendent l’organisation qui les a mandatés. Cela implique un risque de conflit d’intérêts, plus important encore lorsqu’il y a de l’argent en jeu», souligne le directeur de TI Suisse Martin Hitli. Pour l’organisation, «plus on est rémunéré, plus on est dépendant».

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Le conseiller national PLR Frédéric BorlozLien externe estime à l’inverse que «savoir ce que les élus gagnent n’informe pas vraiment sur le risque de conflit d’intérêts».

L’élu affirme qu’il ne faut pas confondre les personnes qui, comme lui, ont beaucoup de mandats dans des conseils d’administration mais «pas de lien prépondérant», et celles qui ont un seul mandat dans l’industrie pharmaceutique, par exemple. Dans un tel cas, a-t-il insisté, il n’est pas nécessaire que la rémunération soit dévoilée pour qu’on devine qu’elle est élevée.

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«Incompatible avec un parlement de milice»

«Il faut arrêter de penser qu’on est achetés», s’insurge la conseillère nationale Isabelle ChevalleyLien externe, du parti Vert-libéral (centre, écologie). Bien qu’elle accepte de communiquer les revenus globaux tirés de ses mandats, l’élue s’est opposée à ce que la déclaration des revenus devienne la règle.

D’une part, pour respecter le secret d’affaires; et d’autre part parce que, comme une majorité de parlementaires, elle considère que ce serait incompatible avec un parlement de milice. «On attend tout des politiciens, mais ce qu’on gagne en tant que parlementaire implique qu’on ait une activité rémunérée à côté, et je trouve malsain d’aller se pencher sur le moindre centime perçu.»

Le revenu des élusLien externe consiste d’une part en une indemnité annuelle de 26’000 francs pour la préparation des travaux parlementaires, et d’autre part en une indemnité de 440 francs pour chaque jour de présence aux séances. Ils reçoivent une indemnité de 440 francs supplémentaire pour chaque séance de commission. Quant aux rapporteurs de commission, ils reçoivent une demi-indemnité de 220 francs pour chaque rapport.

Les députés perçoivent un montant annuel supplémentaire de 33’000 francs à titre de contribution aux dépenses de personnel et de matériel liées à l’exercice de leur mandat parlementaire. Ils sont en outre défrayés pour les nuitées, les repas, les trajets longue distance entre leur domicile et Berne et les déplacements liés à leur mandat parlementaire.

Martin Hitli, de Transparency International Suisse, juge «faux» de dire que les liens d’intérêts sont une conséquence du système de milice. «On mélange deux choses très différentes: le mythe du parlementaire qui fait de la politique à côté de son métier (…) et les mandats qui sont acceptés après l’élection au Parlement. Dans ce cas, les organisations sollicitent les parlementaires justement parce qu’ils sont au Parlement, elles ‘s’achètent’ des élus pour qu’ils deviennent leurs lobbyistes.»

«La très grande majorité des parlementaires se comportent très bien; en général, on s’engage pour des activités extra-parlementaires qui sont proches de ses valeurs», défend Isabelle Chevalley. De son côté, Frédéric Borloz soutient la transparence pour les revenus payés par l’argent public, mais considèrerait comme une «inégalité de traitement» le fait de devoir rendre publics les gains relevant de ses activités professionnelles.

Plus de la moitié des nouveaux élus déclarent leurs revenus

Le directeur de TI Suisse prédit que le blocage au niveau législatif ne changera pas de sitôt. Pour autant, la question de la transparence semble trouver un écho auprès d’une partie grandissante des élus. L’organisation Lobbywatch publie chaque année la liste de ceux qui communiquent les revenus de leurs mandats extra-parlementaires (hors activité professionnelle principale).

Selon la dernière «liste de la transparenceLien externe», publiée en juin, c’est le cas de plus de 58% des nouveaux élus entrés au Parlement en octobre 2019. Alors que près des trois quarts des députés interrogés dans l’édition 2019Lien externe s’y refusaient. Mais le clivage gauche-droite reste très marqué.

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*Ajout du 17 septembre: à noter que des parlementaires qui président le conseil d’administration de leur propre entreprise, et ont dû déclarer cette fonction comme un lien d’intérêt, se retrouvent aussi dans ce cas de figure -c’est par exemple le cas du parlementaire sans étiquette Thomas Minder. 

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