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Première épreuve du feu pour l’harmonisation scolaire

Malgré la virulence de l'affiche, la manif des opposants à HarmoS est apparue bien clairsemée.

Lucerne est le premier canton à voter sur le concordat d'harmonisation scolaire HarmoS ce dimanche. Si les opposants n'accusent pas directement l'Etat de leur voler leurs enfants, c'est bien - en la grossissant un peu -, la crainte qu'ils expriment.

Sarah, bientôt cinq ans, grands yeux et sourire espiègle, aurait bien voulu entrer à l’école enfantine cette année. Même sa maman, Julia Muri, l’admet. «Mais c’est trop tôt, explique-t-elle. Ce n’est pas qu’elle soit lente, au contraire, elle est très vive.»

Pourquoi alors attendre encore une année et n’avoir qu’une seule année d’école enfantine? «Dans le canton de Lucerne, nous avons eu de meilleurs résultats aux tests Pisa que Zurich, qui a deux ans d’école enfantine. C’est bien la preuve que nous faisons juste, non ?»

Mercredi dernier, la jeune maman, Sarah et son petit-frère Simon (2 ans), avaient fait le déplacement de Dagmersellen, à une demi-heure de train de Lucerne. Ils étaient venus pour la «grande manifestation» des opposants à HarmoS.

Les Lucernois sont en effet les premiers à voter sur l’Accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire. Déjà opposée au texte lors de sa ratification au Parlement cantonal, l’UDC (droite nationaliste) a ensuite lancé le référendum, comme à St-Gall, en Thurgovie, dans les Grisons, à Zurich et à Nidwald.

En fait de «grande manifestation», il n’y avait qu’une trentaine de personnes devant le théâtre de la ville à 15 heures. Moins de manifestants pour porter les pancartes que de pancartes elles-mêmes, qui clamaient «Non à une éducation étatique», «Où va la responsabilité éducative ?», et bien sûr le jeu de mots «HarmoS ist nicht harmlos» («Harmos n’est pas inoffensif»).

Affiches avec enfants en larmes

Julia Muri trouve qu’à quatre ans, on n’arrive pas encore à quitter sa maman (personne ne parle des pères) sans pleurer. «Quatre heures à l’école tous les matins, c’est trop long», affirme-t-elle. Les affiches des opposants montrent d’ailleurs des enfants en larmes parce qu’ils doivent aller à l’école…

Dans les discours des opposants, les grands thèmes de politique sociale se suivent dans un mélange étourdissant: «HarmoS oblige à créer des structures de jour et les enfants sont loin de leur maman toute la journée», dit Agnès.

Cette souriante grand-maman se dit de centre-gauche. Elle qui a élevé quatre enfants, elle regrette que les femmes, aujourd’hui, «ne savent plus coudre et rachètent un habit dès qu’il est abîmé».

En réalité, le texte du concordat prévoit les structures d’accueil à titre explicitement facultatif. Mais Agnès poursuit: «Je ne suis pas si sûre que toutes les femmes soient obligées, financièrement, de travailler… Nous en voyons qui travaillent pour se payer des choses luxueuses…»

Bien sûr, elle comprend les femmes qui ont suivi une bonne formation et qui ne veulent pas abandonner leur travail. Mais comme on ne peut pas tout faire, avoir un bon travail et des enfants… C’est un voisin de manifestation qui souffle la réponse: «Alors ces gens-là devraient renoncer à avoir des enfants.» Agnès, comme gênée, n’a pas l’air convaincue.

La liste des critiques continue. «Le bon allemand obligatoire est aussi inacceptable, dit Ingrid Meier, enseignante membre du groupement conservateur Chance 21. HarmoS nous oblige à nous adapter aux étrangers.»

Que dirait Pestalozzi?

Les enseignants sont-ils nombreux parmi les opposants? «Oui, mais ils n’osent pas le dire, estime Ingrid Meier, car notre direction fait pression». Pour ce jeune homme, membre de l’UDC, dont les deux parents, enseignants, militent contre le concordat, «c’est aussi parce qu’ils en ont marre des réformes.»

«En fait, intervient Pat Meyer, également membre de Chance 21, HarmoS a été conçu par des fonctionnaires de l’éducation au service de l’économie et non des familles. S’il voyait ce qui se passe, Pestalozzi se retournerait dans sa tombe !», dénonce-t-il.

Référendums: seulement en Suisse alémanique

Les Lucernois figurent parmi les cinq cantons à n’avoir encore qu’une année d’école enfantine. Pour Anton Strittmatter, responsable du dossier à l’Association alémanique des enseignants (LCH), majoritairement favorables à HarmoS, c’est une des raisons qui expliquent le succès du référendum.

Les familles alémaniques seraient-elles aussi, globalement, plus sceptiques face à l’école? «Non, c’est l’UDC qui a monté sa base contre HarmoS avec une campagne dénonçant le «vol des enfants», répond Anton Strittmatter.

«C’est bête et cynique, à l’égard des enfants, poursuit l’expert, mais aussi des parents qui sont économiquement obligés de recourir à une garde extérieure et qui passent pour de mauvais parents. On voit dans cette campagne la marque de l’égoïsme des couches privilégiées.»

Pas une question d’image

Spécialiste de la famille en tant que secrétaire générale de Pro Familia, la députée au Parlement fédéral Lucrezia Meier-Schatz ne pense pas que l’image de la famille soit si différente d’une région à l’autre.

«Le taux d’occupation professionnelle des femmes ayant des enfants en bas âge ne varie pas énormément entre les régions du pays, explique-t-elle. En revanche, la prise en charge extérieure des enfants est plus beaucoup plus répandue en Suisse romande et au Tessin»

Le vote lucernois sera suivi attentivement dimanche prochain. Les observateurs s’attendent en effet à un résultat très serré.

swissinfo, Ariane Gigon, Lucerne

L’accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire (concordat HarmoS) met en œuvre l’obligation constitutionnelle, acceptée le 21 mai 2006 en votation fédérale, d’harmoniser entre cantons des éléments fondamentaux de l’instruction publique en Suisse.

Le Concordat prévoit notamment 11 ans d’école, dont 8 pour l’école enfantine et le primaire. Les enfants commenceront l’école s’ils ont eu 4 ans au plus tard le 31 juillet avant la rentrée.

Actuellement, dans cinq cantons, la majorité des enfants ne suivent qu’une année d’école enfantine: Obwald, Fribourg, Uri, Schwytz et Lucerne.

Le texte du concordat reprend le compromis de 2004 sur les langues étrangères, soit une première langue étrangère au plus tard en 5e année (3e sans l’école enfantine) et une deuxième au plus tard en 7e (5e), dont une langue nationale.

Les compétences des enfants doivent être les mêmes à la fin de la scolarité et un «monitorage» de l’acquisition des connaissances est prévu.

Les différentes régions linguistiques adoptent un seul plan d’étude.

Six cantons (Schaffhouse, Glaris, Vaud, Jura, Neuchâtel et Valais) ont d’ores et déjà adhéré à HarmoS, après vote au Grand conseil (Parlement) et écoulement du délai référendaire sans annonce d’opposition.

Outre Lucerne, cinq cantons doivent voter sur un référendum: Thurgovie, Grisons, Saint-Gall et Zurich le 30 novembre, Nidwald le 8 février 2009.

Dans le canton de Berne, le Grand conseil a approuvé HarmoS le 8 septembre. Le délai référendaire court jusqu’à début décembre.

En Suisse romande, le référendum lancé par l’UDC a échoué dans le canton du Jura.

Le Concordat entrera en vigueur à la rentrée 2014 si dix cantons y ont adhéré d’ici fin 2008.

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