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Sauvetage d’UBS: quand Berne agit avant de parler

Keystone

Face à l'agitation mondiale autour des plans de sauvetage des banques, le silence observé par la Suisse jusqu'au 16 octobre a beaucoup fait jaser. En réalité, Berne surveillait depuis longtemps l'état de santé de sa plus grosse banque et a pris le temps de peaufiner son plan avant d'en parler.

On a cru y voir de l’amateurisme, c’était du professionnalisme: alors qu’Américains et Européens ont commencé dès la mi-septembre à étaler leurs plans de sauvetage, le gouvernement suisse a longtemps affiché la placidité de ceux à qui rien ne semble pouvoir arriver.

C’est qu’en coulisses, Berne travaillait sur le sujet depuis presque deux ans déjà, comme l’a révélé la semaine dernière une enquête du magazine romand L’Hebdo.

Le plan de sauvetage à 68 milliards de francs dévoilé ce 16 octobre est donc le fruit d’une longue phase d’élaboration, au cours de laquelle le Conseil fédéral (gouvernement) a respecté jusqu’à la dernière minute ses consignes de silence.

Une parcimonie de la parole qui force l’admiration d’Uli Windisch, sociologue à l’Université de Genève. «Le Conseil fédéral a en fait pris les choses très au sérieux, et depuis longtemps. Il a fait ce que typiquement devrait faire le politique: prévoir», note ce spécialiste de la communication et des médias.

Réunions secrètes

Décembre 2006: alors que le terme «subprime» fait ses débuts dans les médias, la Commission fédérale des banques (CFB) écrit à UBS pour lui demander des éclaircissements sur les risques qu’elle a pris aux Etats-Unis. «Tout est en ordre, nous sommes sur-assurés», répond la banque.

En avril 2007, la CFB revient à la charge. UBS tarde à répondre, ses chiffres ne sont pas encore consolidés. Au mois d’août, Hans-Rudolf Merz, ministre des finances, Jean-Pierre Roth, président de la Banque nationale suisse (BNS) et Eugen Haltiner, président de la CFB, se rencontrent pour la première fois dans le plus grand secret.

«C’est à ce moment que j’ai senti que quelque chose ne jouait plus», dira plus tard le ministre. Personne n’est encore au courant de ces réunions, que chacun des trois hommes peut convoquer à chaque fois qu’un élément nouveau le justifie.

En décembre 2007, UBS parvient à lever 13 milliards d’argent frais. Tout le monde espère que l’orage est passé…

Mais il n’en est rien. En mars 2008, face à l’aggravation de la crise, Hans-Rudolf Merz informe pour la première fois ses collègues du Conseil fédéral. Dès lors, ils en reparleront au moins deux fois par mois. Parallèlement, on commence à élaborer le plan de sauvetage.

UBS est tenue à l’écart de ces discussions. Berne espère toujours qu’elle arrivera à s’en sortir seule, et se prend même à y croire lorsqu’à fin avril, la banque réussit sa seconde recapitalisation, à hauteur de 15 milliards.

L’histoire s’emballe

Mais en septembre, l’histoire s’emballe brusquement: faillite de Lehman Brothers, effondrement des bourses, sauvetages de banques en déroute un peu partout dans le monde. On commence à parler d’une crise comparable à celle de 1929.

C’est dans ce contexte tendu qu’Eveline Widmer-Schlumpf doit reprendre au pied levé le portefeuille d’Hans-Rudolf Merz, hospitalisé après une crise cardiaque. Désormais, les réunions à trois se tiennent en présence des dirigeants d’UBS.

La suite est connue: c’est la banque elle-même qui finira par appeler au secours. Le 15 octobre, le Conseil fédéral adopte le plan de sauvetage, puis le présente à une délégation de parlementaires et aux ministres des finances des cantons. Mais à personne d’autre.

Et le lendemain matin, c’est l’annonce publique.

Responsables et irresponsables

«On a là tout un processus à la fois politique et de communication, analyse Uli Windisch. Les deux sont indissociables. Il y a eu prévention, préparation, anticipation – et là il n’y avait pas besoin de communiquer -, puis lorsqu’il a fallu dévoiler sa stratégie, on l’a fait en essayant d’éviter au maximum de déclencher l’affolement».

Rien n’a filtré. Aux journalistes, de plus en plus pressants au fil des jours, les conseillers fédéraux se bornaient à répondre qu’ils suivaient la situation de près et qu’aucune des deux grandes banques suisses n’allait faire faillite.

Un mode de communication qu’Uli Windisch juge «à la fois véridique et responsable. Je pense que pas mal de gens n’en ont rien cru, et pourtant, on sait aujourd’hui que c’était vrai. Mais imaginez le discrédit si cela avait été faux…»

«Ou alors, essayez d’imaginer ce qui se serait passé si certains médias avaient su ce que le Conseil fédéral savait», poursuit le sociologue.

Uli Windisch en est persuadé: dans ce cas, on aurait eu «reportage sur reportage, avec un discours alarmiste, qui aurait créé un processus d’affolement sans doute sans fin, avec des conséquences inimaginables».

Au lieu de cela, le sociologue se réjouit de voir le monde politique «intervenir de manière massive devant l’irresponsabilité totale de certains acteurs économiques et financiers». Pour lui, «cette réaffirmation du politique sur l’économie, là où on pensait qu’on n’avait plus prise, est une attitude à la fois adéquate et rassurante».

swissinfo, Marc-André Miserez

En juillet 2007, le directeur Peter Wuffli démissionne après l’effondrement de Dillon Read Capital Management, le hedge fund («fonds alternatif», soit fonds d’investissement visant le rendement maximal) de la banque, qui admet en décembre une première perte de 726 millions de francs.

En janvier 2008, UBS annonce le premier exercice déficitaire de son histoire. Sur l’ensemble de l’année 2007, elle a perdu 4,4 milliards.

En avril, le président Marcel Ospel jette l’éponge. Outre les dizaines de millions de bonus qu’il s’est octroyé, on lui reproche d’avoir orienté UBS vers les marchés à risques.

Le 24 septembre 2008, la Commission fédérale des banques boucle un rapport très critique. UBS n’aurait pas porté suffisamment d’attention aux «risques cachés liés à la croissance du bilan» et a trop fait confiance aux mécanismes de mesure des risques existants, soit «un grave manquement». Ce document ne sera publié que le 16 octobre, le jour de l’annonce du plan de sauvetage.

En 2008, la banque a encore dû abandonner certaines activités aux Etats-Unis et présenter ses excuses au Sénat, qui l’accusait d’avoir aidé de riches clients américains à frauder le fisc.

En une année, UBS a vu son action perdre plus de 60% et a dû annoncer la suppression de 6000 emplois. Malgré deux recapitalisions successives, la banque a encore dans ses portefeuilles pour près de 60 milliards de francs d’«actifs illiquides» (invendables pour l’instant). Ces titres seront transférés à la nouvelle «société de portage», à créer par la Banque nationale.

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