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«Nous devons consommer moins d’eau, et de manière plus intelligente»

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Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l'eau, estime que les eaux usées devraient être réutilisées pour la production alimentaire et agricole. © Keystone / Christian Beutler

Il est temps de passer du gaspillage à la réutilisation de l'eau, affirme Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l'eau. Dans un entretien avec swissinfo.ch, il parle des solutions à la pénurie d'eau, de l'utilisation des eaux usées et de la «grande révolution» de ce siècle.

swissinfo.ch: L’eau se fait de plus en plus rare dans différentes parties du monde. Faut-il s’attendre à voir des guerres de l’eau?

Loïc Fauchon: Dans l’histoire, il n’y a jamais eu de véritables guerres pour l’eau. On se bat pour l’accès à un puits, à une oasis, mais ce ne sont pas des guerres. Il y a tout au plus des tensions quand il pleut moins ou quand les ressources en eau sont exploitées de manière excessive.

Je suis plutôt optimiste sur la gestion de l’eau. L’année dernière, j’ai assisté au sommet du G20 en Indonésie et, pour la première fois, j’ai entendu des chefs d’État parler de l’eau. Après les graves sécheresses qui ont frappé les États-Unis et l’Europe, nous assistons depuis deux ans à une véritable prise de conscience.

L’eau se fait rare dans de nombreuses parties du monde. Bien que détenant une bonne partie des eaux européennes, la Suisse doit elle aussi repenser sa gestion de l’eau et se préparer à des sécheresses plus fréquentes. Cette série explore les conflits potentiels liés à la consommation de l’eau et aux solutions pour une meilleure gestion de cette ressource précieuse.

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Quelles sont les menaces principales qui pèsent sur l’approvisionnement en eau?

Il y a d’une part, l’évolution relativement imprévisible du climat, avec des retards dans les précipitations, des sécheresses plus intenses et des inondations excessives, comme cela s’est produit l’année dernière au Pakistan. Et il y a aussi la croissance démographique.

Comment assurer qu’une population mondiale en augmentation ait suffisamment d’eau?

Nous devons en consommer moins, et de manière plus intelligente. Par le passé, nous en avons gaspillé beaucoup. Aujourd’hui, il faut faire preuve d’intelligence, d’esprit d’innovation et utiliser les technologies les plus avancées pour réduire la consommation d’eau. Par exemple, il suffit de quelques petites mesures dans la vie quotidienne et d’un peu de bon sens pour économiser 10 à 15%.

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Loïc Fauchon a été président du Conseil mondial de l’eau de 2005 à 2012, et il a été réélu en 2018. World Water Council

Mais il y a des régions de la planète qui deviennent de plus en plus arides.

Nous devons mettre de l’eau en quantité suffisante, idéalement de qualité, à la disposition de toutes les populations qui n’en ont pas assez. Pour cela, il faut construire des canaux et transporter l’eau sur de grandes distances. Ce n’est pas nouveau, cela se faisait déjà avant Jésus-Christ en Mésopotamie.

Une autre solution est le dessalement de l’eau de mer et des eaux saumâtres. Grâce à la technique de l’osmose inverseLien externe, le coût du dessalement est passé d’environ dix dollars par mètre cube à moins d’un dollar en 20 ans. L’eau dessalée est abordable pour tout le monde et actuellement, environ 70 pays, dont plusieurs États pauvres, produisent de l’eau douce de cette manière.

Mais les usines de dessalement consomment beaucoup d’énergie…

C’est vrai, mais elles en consomment de moins en moins et sont alimentées par des énergies renouvelables , comme le solaire ou la géothermie.

L’inconvénient est plutôt ailleurs: on se retrouve avec de grandes quantités de sel dont on ne sait que faire. Dans la région du Golfe Persique, où les eaux sont relativement peu profondes, les usines de dessalement du Koweït, de Dubaï, du Qatar et de l’Arabie saoudite ont entraîné une augmentation de la salinité de la mer, avec des conséquences pour la biodiversité et les écosystèmes. La situation est différente en Méditerranée, par exemple le long des côtes libanaises ou espagnoles, où les fonds marins sont plus profonds.

C’est une organisation internationale basée à Marseille, en France, qui rassemble des agences des Nations unies, des institutions académiques, des gouvernements, des groupes de la société civile et des entreprises du secteur privé. Son objectif est de promouvoir des initiatives à tous les niveaux autour des questions liées à l’eau afin d’améliorer la sécurité, l’adaptation et la durabilité de l’eau dans le monde. Il est à l’origine du Forum mondial de l’eau, l’événement international le plus important sur le sujet, qui a lieu tous les trois ans. Wikipedia rapporte que le Conseil mondialLien externe de l’eau a été critiqué pour avoir encouragé la privatisation de l’approvisionnement en eau.

Comment réduire la pression humaine sur les ressources en eau ?

Une option est de réutiliser les eaux usées. Grâce à des traitements de plus en plus performants, l’eau qui sort des stations d’épuration est souvent propre à la consommation.

Un pays à l’avant-garde est Singapour, qui réutilise depuis des années les eaux usées pour alimenter les ménages en eau. En Europe, il n’est pas encore possible de réutiliser cette eau pour la production alimentaire ou agricole. Mais les choses changent lentement et ce sera la grande révolution de ce siècle.

L’autre grande opportunité est l’utilisation des eaux souterraines, un domaine relativement peu connu. Nous disposons d’énormes réserves, en France, en Suisse et même sous le désert du Sahara. L’Unesco estime que nous n’utilisons que 5% de ces ressources souterraines.

La Suisse veut construire davantage de barrages. Est-ce la bonne stratégie?

Nous avons besoin de plus de réserves pour avoir de l’eau quand nous en avons besoin. C’est le devoir de celles et ceux qui gouvernent. Que dirait-on si, par exemple, un gouvernement ne stockait pas suffisamment de médicaments ou de denrées alimentaires? Il en va de même pour l’eau.

Traduit de l’italien par Marc-André Miserez

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