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Le débat sur le couvre-feu pour ados relancé en Suisse

La jeunesse dans le collimateur des autorités de plusieurs communes suisses. pixsil

La commune zurichoise de Dänikon a déclenché une tempête en édictant une interdiction de rassemblement pour les jeunes de moins de 16 ans. Pour le psychologe Allan Guggenbühl, les interdictions sont contreproductives. Réagir concrètement et directement aux méfaits est par contre essentiel.

1800 habitants, une rue principale, un haut et un bas du village: c’est Dänikon, dans le Furttal zurichois, au nord-ouest de la capitale cantonale. Et c’est ici que les esprits se déchaînent depuis l’assemblée communale du 18 juin.

Ce soir-là en effet, le législatif a décidé, par 28 voix contre 8, d’interdire aux «jeunes en âge scolaire de se rassembler après 22 heures dans les rues ou sur les places publiques, sans être accompagnés d’un de leurs deux parents.» Sollicités dans la foulée par les médias, les maires, les politiciens, les citoyens de tout le canton ont donné leur avis. Très négatif.

«Nous ne comprenons pas ces réactions, s’étonne encore le maire, sans parti, Daniel Zumbach. Nous ne sommes pas les premiers à prendre cette mesure puisque nous nous sommes inspirés d’Interlaken, de nombreuses communes bernoises et de Chiètres dans le canton de Fribourg.»

Le maire veut aussi mettre les points sur les i: la mesure n’est pas une interdiction de sortir, mais de rester au même endroit, sur la voie publique, «en fumant, en buvant et en faisant du bruit», insiste-t-il.

Réclamations et dégâts

«Nous recevions depuis longtemps des réclamations contre le bruit provoqué par les jeunes. Nous avons tout essayé, parler aux parents, écrire, rien n’y a fait», poursuit le maire, admettant que ce sont surtout des personnes âgées qui se plaignent, «mais pas seulement.»

«Les habitants se sentent mal à l’aise face à ces jeunes en bandes. Les gens changent de trottoir.» Mais ce sont surtout les dégâts qui ont conduit la commune à décider de profiter de la révision de son ordonnance sur la police pour rajouter un article interdisant les rassemblements.

Pression sur les parents

«Nous voulons faire pression sur les parents pour qu’ils rappellent leurs enfants à l’ordre», espère Daniel Zumbach. Si la mesure entre en vigueur – la date prévue est le 1er septembre – les forces de police ne seront pas renforcées. Les contrôles se feront dans le cadre normal des patrouilles. Dänikon compte sur l’effet préventif de l’interdiction.

Allan Guggenbühl, psychologue, professeur à la Haute Ecole pédagogique de Zurich et responsable du service cantonal bernois de thérapies de groupe pour enfants et adolescents, voit bel et bien une pression sur les parents. Ce n’est cependant pas celle que les autorités souhaitent…

«Les jeunes ne vont pas d’un seul coup rester à la maison pour lire un livre, car ces rendez-vous de groupes sont très importants pour construire leur identité, explique le psychologue. De plus, l’interdiction est un moyen de pression sur les parents, à qui les enfants peuvent dire: ‘Si je sors, tu auras une amende, alors donne-moi ceci ou cela pour que je ne sorte pas’».

Ne pas exclure les jeunes

Allan Guggenbühl voit même un effet potentiellement contreproductif: «On exclut les jeunes, avec ces couvre-feu. Cela peut déclencher des réactions agressives et donc augmenter les problèmes.»

Selon lui, il est essentiel de montrer aux ados les conséquences de leurs actes au lieu d’édicter des interdictions générales sans lien direct avec de possibles déprédations par exemple. «Il faut les obliger à réparer ce qu’ils cassent ou à payer les dégâts, préconise-t-il. Même un jeune de 13 ans peut travailler à la Coop pendant ses vacances pour rembourser quelque chose.»

Trop de prévention…

Allan Guggenbühl en est persuadé: «On a trop longtemps vanté les mérites d’une éducation axée sur le consensus et censée régler les problèmes sans sanction. Cela ne fonctionne pas.»

Par contre, poursuit le spécialiste, «si un jeune doit se lever à 5 heures du matin pour aller nettoyer les rues de son village parce qu’il a commis des déprédations, l’effet est potentiellement plus grand que de le faire participer à un cours où on lui dit qu’il doit être gentil avec les autres. Dans ces cours, les jeunes se sentent asservis et non pris au sérieux.»

Recours probable

A Dänikon, commune où plus de 50% des citoyens ont voté UDC (droite nationaliste) lors des dernières élections fédérales, une habitante est prête à faire recours contre le nouveau règlement. Le maire confirme et dit même avoir de la «compréhension pour les critiques».

Car pour résoudre les problèmes, il «faut bien plus qu’une interdiction». Fièrement, le maire annonce que les sportifs du village seront honorés en septembre. «Nous ne devons pas toujours pointer du doigt les exemples négatifs mais aussi montrer que les jeunes font des choses très positives.»

En attendant, les jeunes socialistes du canton de Zurich ont dénoncé dans un communiqué une «atteinte intolérable à la liberté personnelle» et appelés les jeunes de Dänikon à la résistance.

Mais en attendant, les rues du village seront de toute façon bientôt désertées… pendant les vacances.

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich

Les couvre-feu imposés aux adolescents en âge scolaire dans certaines communes défraient régulièrement la chronique depuis plusieurs années. La question est également d’actualité en France et en Allemagne, notamment.

Plusieurs communes du canton de Berne connaissent de telles interdictions, de même que Chiètres (canton de Fribourg).

Les législatifs sont régulièrement saisis de motions demandant une interdiction de sorties pour les jeunes, dont les auteurs espèrent ramener le calme dans les rues. Les cantons de Schwyz et d’Uri ont récemment refusé d’y donner suite. La ville de Winterthour a également refusé, en 2006, de recourir à un couvre-feu.

En Argovie, les interdictions existent aussi déjà en plusieurs endroits. Tout un district, celui de Zurzach, qui compte 24 communes, a ainsi édicté en avril une interdiction de sortir sans accompagnement adulte après 23 heures.

La grande majorité des psychologues et autres spécialistes rejettent les couvre-feu et les considèrent comme contre-productifs.

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