Pourquoi les athlètes suisses peinent à s’en sortir
Roger Federer est une exception. En Suisse, la majorité des athlètes ont du mal à vivre de leur sport. Des politiciens réclament désormais un soutien plus important. Mais pour d’autres, il n’appartient pas à l’Etat de financer un «passe-temps».
Selon le magazine ForbesLien externe, Roger Federer a gagné 56,2 millions de dollars (54 millions de francs) entre juin 2013 et juin 2014, faisant de lui le joueur de tennis le mieux rémunéré de la planète ATP. Xherdan Shaqiri, le footballeur suisse le plus en vue, empoche quant à lui 2,5 millions de dollarsLien externe (3 millions de francs) par an avec son club du Bayern de Munich.
Mais la plupart des athlètes suisses vivent dans une tout autre réalité. Près de la moitié d’entre eux gagnent moins de 14’000 francs par an. Et seule une petite centaine parvient à vivre de son sport, d’après un rapportLien externe publié en 2013 par l’Office fédéral du sport.
Vivre ou non du sport d’élite en Suisse
Revenus totaux: seuls 16% des sportifs d’élite suisses ont gagné plus de 70’000 francs en 2010. Les sports d’hiver sont mieux lotis que les sports d’été. Dans la première catégorie, plus de 70% des athlètes doivent toutefois vivre avec moins de 70’000 francs. Près de 40% doivent même composer avec moins de 14’000 francs par an.
Revenus des sports d’élite: La grande majorité des athlètes ne tirent qu’un revenu modeste de leur activité sportive. Le revenu médian des athlètes professionnels se monte à 25’000 francs par an. Seule une poignée d’athlètes deviennent millionnaires grâce au sport.
Ailleurs: Les Pays-Bas soutiennent 352 athlètes en leur versant 120% du salaire minimum défini et en signant avec eux des accords spéciaux qui leur permettent de mieux concilier le sport avec les études et un emploi. La Finlande et le Danemark versent des subventions supplémentaires aux athlètes dans le cadre des systèmes de bourse pour étudiants. D’autres pays offrent aux athlètes une sécurité financière et un emploi à travers l’armée, les gardes-frontières, la police ou les pompiers. En termes de soutien financier direct aux athlètes, la Suisse se situe dans le bas de l’échelle au niveau international.
Le Parlement veut désormais changer la donne. Fin septembre, le Conseil national (Chambre basse) a adopté un postulatLien externe qui exige une plus grande reconnaissance des sportifs d’élite et une meilleure conciliation entre sports et études. Cet appel fait écho aux revendications de Swiss OlympicLien externe, l’association faîtière du sport suisse, qui demande 30 millions de francs supplémentaires par an pour maintenir les standards sportifs actuels.
«Nous ne devrions pas être éblouis par les revenus de Roger Federer et Xherdan Shaqiri. La plupart des athlètes professionnels vivent sous le seuil de pauvreté», a souligné le député UDC (droite conservatrice) Jürg Stahl lors des débats parlementaires. De nombreux athlètes ont une famille à nourrir et sont donc contraints de travailler à temps partiel, a-t-il relevé.
Sport d’Etat?
Chargé de présenter des mesures, le gouvernement estime que cette demande pourrait être englobée dans son concept consacré au sport d’élite, en cours d’élaboration. Reste que tous les parlementaires – notamment au sein du parti de Jürg Stahl – ne sont pas d’accord avec ce postulat. «Cela ressemble à une initiative sur le salaire minimum pour les athlètes d’élite», s’est plaint son collègue de parti Peter Keller. «Le sport d’Etat ne fait pas partie de la culture suisse, nous ne sommes pas en Chine», a-t-il poursuivi, soulignant la responsabilité individuelle de chaque athlète. Et de questionner: «L’Etat doit-il être impliqué lorsque quelqu’un veut faire de son passe-temps sa profession?»
Président de Swiss Olympic et ancien membre de l’équipe nationale de handball, Jörg Schild a déjà maintes fois été confronté à ces arguments: «Le sport de compétition n’est pas pleinement reconnu par la société suisse. C’est ce que j’ai pu constater au travers de ma propre expérience et en observant la pratique des autres pays.»
Jörg Schild espère que le feu vert au postulat parlementaire donnera le courage au gouvernement d’augmenter le financement du sport au travers du nouveau concept national en matière de sport d’élite. A l’heure actuelle, Swiss Olympic reçoit en moyenne 38 millions de francs de fonds, dont 25 millions en provenance de la loterie suisse, un peu plus de 10 millions de la Confédération et 3 millions de sponsors privés.
D’autres nations telles que le Japon, le Canada et la Norvège ont investi massivement dans le soutien au sport d’élite. Et la Suisse doit s’assurer de ne pas être à la traîne de ces pays, relève Jörg Schild. Des questions ont notamment émergé à la suite des faibles performances de la délégation suisse aux Jeux olympiques de Londres en 2012. Les 30 millions de francs supplémentaires réclamés par Swiss Olympic ne seraient pas uniquement attribués aux athlètes, mais également destinés à élargir le staff des entraîneurs et à proposer tous les deux ans des contrôles médicaux gratuits aux athlètes, affirme Jörg Schild.
Rôle de modèle
Le député Jürg Stahl, qui est également membre du comité exécutif de Swiss Olympic, estime que donner un coup de pouce supplémentaire aux athlètes suisses ne signifie pas pour autant mettre sur pied un système sportif étatisé. «Je ne veux pas de sportifs qui soient, à l’instar de l’ex-sauteur en hauteur cubain Javier Sotomayor, des vecteurs de l’idéologie d’un pays. Soutenir le sport signifie donner une certaine sécurité à un jeune qui a opté pour cette voie en lui fournissant une assurance et un revenu qui lui permettent de s’affranchir de la pression de ses parents». La culture dispose d’un soutien de l’Etat et le sport pourrait s’en inspirer, estime encore Jürg Stahl. «Les athlètes jouent un rôle d’ambassadeur pour leur pays et de modèle pour les jeunes», avance-t-il.
En englobant toutes les disciplines de l’athlétisme, seuls 5 à 10 sportifs parviennent à vivre de leur sport, selon la Fédération suisse d’athlétisme. Viktor RöthlinLien externe, le marathonien suisse le plus couronné de l’histoire, en a fait partie. Mais c’est seulement après avoir décroché le bronze aux Européens de Göteborg, en 2006, que les sponsors ont commencé à s’intéresser à lui. «Avant cela, j’ai dû me battre tout seul et j’ai pris tous les risques», affirme-t-il.
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Viktor Röthlin, qui a couru son dernier marathon aux Européens de Zurich le 17 août dernier, a été confronté à un autre problème majeur durant ses 15 ans de carrière: le manque de considération dévolu aux sportifs professionnels en Suisse. «Lorsque je disais autour de moi, même après avoir remporté une médaille, que j’étais un marathonien, on me répondait: ‘Très bien, mais comment gagnez-vous votre vie?’ C’est quelque chose que l’on doit travailler. Il faut faire comprendre aux gens que le sport peut aussi être une profession, pas seulement un hobby.»
Aider davantage les athlètes d’élite est un premier pas important, mais la Suisse doit encore décider quelle direction elle veut prendre, souligne Viktor Röthlin: «Si nous voulons décrocher des médailles et nous présenter comme une nation à succès, il faut penser à tout. Il ne s’agit pas seulement d’aider les athlètes lorsqu’ils obtiennent une victoire, mais également sur le chemin qui y mène». Prévoyant, le champion d’Europe 2010 a créé sa propre société de promotion de la santé et de l’exercice physique en 2008. Il y travaille désormais à temps plein.
Financement participatif
Certains sportifs se sont tournés vers d’autres moyens moins conventionnels. A 34 ans et après 20 années à se battre pour financer sa passion, le canoéiste Mike Kurt a décidé de fonder la plateforme de financement participatif (crowfunding) «I believe in you»,Lien externe consacrée à des projets sportifs.
L’idée, empruntée au secteur de la culture, permet à des privés de financer par exemple les frais de déplacement et de matériel d’un adepte de kitesurfing ou de miser sur une jeune tenniswoman prometteuse. «Au total, plus de 500’000 francs ont été récoltés pour 130 projets. Cela prouve que le sport jouit d’un statut élevé en Suisse», a déclaré Mike Kurt au Tages-Anzeiger.
Mike Kurt croit pourtant fermement qu’il appartient à l’Etat de financer davantage les sportifs d’élite suisses. «Le marché est défaillant en ce qui concerne des sports tels que la lutte, l’escrime ou le canoë-kayak. Le gouvernement devrait intervenir dans de tels cas.»
(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)
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