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Une pénurie d’enseignants menace la Suisse

Un tiers des enseignants suisses prendront leur retraite ces cinq à dix prochaines années. Et dans certaines régions, la relève tarde à venir. swissinfo.ch

Les enseignants suisses passent bien plus d’heures face à leurs classes que leurs collègues des pays voisins. Et la menace de pénurie pousse les responsables à prendre des mesures. Constats tirés du Rapport sur l’éducation 2010, paru début février.

La Suisse est le seul pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) qui forme ses enseignants en trois ans, au lieu de quatre. C’est aussi le pays où les «profs» donnent le plus de leçons: entre 28 et 32 par semaine, contre un standard européen de 20 à 24 heures…

Ces comparaisons, les enseignants les brandissent pour pousser les autorités politiques à prendre des mesures. Surtout lorsqu’une pénurie se dessine. Or, dans de nombreux cantons, des enseignants sont déjà appelés à la rescousse et engagés à des postes pour lesquels ils ne sont pas formés.

«La pénurie la plus grave touche les classes difficiles, les adolescents du niveau secondaire 1, dans les mathématiques et les sciences naturelles, explique Anton Strittmatter, spécialiste de pédagogie de l’Association alémanique des enseignants (LCH). Le fait que moins d’hommes choisissent ce métier augmente la difficulté.»

Selon le Rapport sur l’éducation 2010, paru début février, les «taux de recrutement inadéquats» (enseignants ne disposant pas des qualifications requises pour le niveau considéré) varient de moins de 1% (Jura) à environ 16% (Lucerne). Genève ne connaîtrait pas le problème du tout et Vaud n’a pas fourni de données.

Un tiers de départs à la retraite

«On sait qu’un tiers des enseignants suisses prendront leur retraite ces cinq à dix prochaines années, précise Georges Pasquier, président du Syndicat des enseignants romands. Mais le problème ne se pose pas avec la même acuité partout. Il est plus accentué en Suisse alémanique, selon les régions.»

Les raisons des fluctuations sont diverses. L’introduction de nouveaux cours, une réduction des effectifs par classe, l’état du marché du travail ou encore une nouvelle réglementation peuvent influencer le besoin en professeurs. Sans compter, bien sûr, l’évolution démographique, très différente, elle aussi, d’une région, d’une ville à l’autre.

Beat Zemp, président de l’association LCH, s’inquiète également. Il a assisté, le 18 mars, à l’assemblée plénière de la Conférence suisse des directeurs de l’instruction publique (CDIP) où le sujet a été abordé. Selon les enseignants, les responsables politiques ont donné quelques signes positifs. «Mais j’ai quand même l’impression que certains responsables cantonaux n’ont pas encore reconnu la gravité de la situation dans toute sa mesure», note Beat Zemp.

Nouvelle formation

A la CDIP justement, Heinz Rhyn, chef du Département «développement de la qualité» réfute vivement la critique: «nous prenons le problème au sérieux! La crainte de pénurie est justifiée, surtout pour le secondaire 1.»

L’instruction étant l’affaire des cantons, et les problèmes étant très fortement marqués par les différences démographiques régionales, la CDIP ne peut pas cependant mener de campagne nationale pour le recrutement des enseignants.

En revanche, «pour ce qui relève de nos compétences, nous prenons des mesures, poursuit Hans Rhyn. Par exemple, l’élaboration d’une base légale pour la reconnaissance d’une formation qui permettrait aux diplômés du degré primaire d’enseigner au secondaire 1.

La Haute Ecole pédagogique de Zurich prépare déjà ce nouveau cursus, mais la CDIP part de l’idée qu’il sera aussi mis sur pied ailleurs. La conférence ne détermine pas les offres des écoles pédagogiques, mais peut assurer la reconnaissance des diplômes.

Salaires et formation

Selon Anton Strittmatter, il faut néanmoins des réformes encore plus profondes pour augmenter l’attractivité du métier d’enseignant. «Les salaires ne sont plus concurrentiels pour une jeunesse qui pense avec des critères économiques.»

La formation des enseignants reste une grande pierre d’achoppement entre les enseignants et les cantons. «C’est navrant, mais la CDIP ne veut pas aller au-delà des trois ans de formation actuels, fustige Georges Pasquier.» Genève est actuellement le seul canton à former ses enseignants en 4 ans.

«Nous réclamons aussi le master professionnel comme titre de sortie des HEP (hautes écoles pédagogiques), qui devraient devenir de véritables instituts de formation tertiaire. En Finlande, pays qui obtient d’excellents résultats dans les études Pisa, tous les enseignants, même ceux de l’école enfantine, doivent avoir un master.»

«Je crois surtout, conclut Georges Pasquier, que nous continuons à bricoler le modèle de base, qui est toujours l’école du 19e siècle, avec un maître pour une classe. Ce modèle visait à former une élite. Le système reste sélectif, alors qu’on devrait tout faire pour ne pas laisser les enfants sur le bord de la route.»

Ariane Gigon, Zurich, swissinfo.ch

Le système scolaire suisse comprend – pour l’heure – une scolarité obligatoire de neuf ans. L’harmonisation en cours dans les cantons intégrera le niveau actuellement pré-scolaire (école enfantine) au cursus, qui sera alors porté à 12 ans.

Actuellement, l’école dite «primaire» dure six ans dans la majorité des cantons. Mais elle dure quatre ans dans les cantons de Bâle-Ville et de Vaud et cinq dans ceux d’Argovie, Berne, Neuchâtel et Tessin.

Les trois dernières années d’école obligatoire forment le secondaire I, avec des distinctions entre filières à exigences élémentaires et filières à exigences élevées.

Le secondaire II comprend les maturités gymnasiales, les écoles professionnelles, les maturités professionnelles et les écoles de culture générale.

Ce qui suit éventuellement ces formations (universités, formation continue, hautes écoles spécialisées, hautes écoles pédagogiques, etc.) est regroupé sous l’appellation de formation «tertiaire».

On estime qu’un tiers des enseignants prendront leur retraite en Suisse ces 5 à 10 prochaines années. Dans les régions à forte progression démographique – sans compter l’immigration – une pénurie se dessine.

Selon le Rapport sur l’éducation en Suisse 2010, publié en février, la proportion d’enseignants de plus de 50 ans s’est accrue partout en Suisse et continue d’augmenter. Elle devrait atteindre 35% d’ici 2010.

Pour l’heure, c’est au Tessin que la proportion d’enseignants de plus de 50 ans est la plus forte (plus de 40%), suivie par Zurich (près de 40%) et le Plateau alémanique (33% environ). La région lémanique affiche un taux légèrement supérieur à 30%. (Chiffres 2007).

Selon le Rapport sur l’éducation, le choix d’une carrière dans l’enseignement résulte aussi de la situation conjoncturelle. En période de forte conjoncture, un plus grand nombre d’enseignants abandonnent leur métier.

En période précaire, davantage d’étudiants optent pour une carrière d’enseignant.

Toutes les Hautes écoles pédagogiques n’ont pas les mêmes critères d’accès aux études pour devenir aux enseignants.

La proportion d’étudiants titulaires d’une maturité gymnasiale varie de 30% à 90%.

Les enseignants réclament la maturité gymnasiale comme condition sine qua non. Certains partis voient dans un abaissement des critères d’admission une possible solution au problème de la pénurie.

«C’est un cercle vicieux d’engager des enseignants peu formés, dit un responsable de l’association des enseignants alémaniques. Car il faut que les maîtres maîtrisent leur branche pour que leurs élèves fassent de bons résultats…»

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