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Bosnie: élections pour un pays miné par les nationalismes

Des élections dimanche en Bosnie pourraient renforcer les divisions ethniques alors qu'un nationaliste serbe pro-russe Milorad Dodik (gauche sur la photo) se présente à la présidence du pays, composée de trois membres. KEYSTONE/AP/RADIVOJE PAVICIC sda-ats

(Keystone-ATS) Les élections générales dimanche illustrent les maux persistants de la Bosnie, 25 ans après le conflit intercommunautaire. Un pays pauvre et divisé où politiques bosniaques, croates et serbes, jouent sur la corde nationaliste et identitaire.

“L’impossibilité de sortir de ce cercle vicieux du nationalisme représente un problème réel pour la Bosnie”, écrit dans le quotidien de Sarajevo Oslobodjenje, l’historien Dragan Markovina. L’hymne du pays, par exemple, n’a pas de parole faute d’accord sur ce point.

Il est diffusé dans les meetings des Bosniaques (musulmans), qui, selon le recensement de 2013, représentent la moitié des 3,5 millions d’habitants. De leur côté, les Serbes forment un tiers de la population et les Croates environ 15%. Dans ces deux autres communautés, ce sont les hymnes de la Serbie et de la Croatie qui sont entonnés.

Les accords de Dayton avaient mis un terme au conflit de 1992-95, qui a fait 100’000 morts. Le pays avait ensuite été divisé en deux entités, la Republika Srpska (serbe) et une fédération croato-musulmane, dotées d’une forte autonomie et reliées par des institutions centrales faibles.

Depuis les citoyens de Bosnie votent le même jour mais pas vraiment ensemble. Chacun désigne ses députés et son représentant dans la présidence tripartite collégiale.

‘Pas un Etat’

Le favori pour le poste serbe, Milorad Dodik, d’abord apprécié des Occidentaux, s’est mué en nationaliste prorusse. Il a rencontré Vladimir Poutine en Russie une semaine avant le scrutin.

Il brandit régulièrement la menace d’un référendum d’indépendance de la Republika Srpska, qu’il dirige depuis 2006. Il méprise ouvertement l’État central bosnien qu’il pourrait bientôt représenter, un “concept raté”.

“La Bosnie n’est pas un État, c’est une union étatique. Quand vous parlez d’elle, ne parlez pas d’un État, parlez d’un territoire!”, a-t-il dit lors d’un meeting à Zvornik (est), ville frontalière de la Serbie de l’autre côté de la Drina. Celle-ci “est juste une rivière, pas une frontière entre nous”, a-t-il poursuivi.

Il a reçu la visite du ministre serbe des Affaires étrangères, Ivica Dacic, venu le 2 octobre de Belgrade inaugurer une autoroute. Celui-ci s’est dit “toujours quelque part mal à l’aise de venir en Republika Srpska en qualité de ministre des Affaires étrangères”.

Son adversaire Mladen Ivanic, membre serbe sortant de la présidence collégiale, un modéré, se pose en garant de “la stabilité”: “Dans quelle direction Dodik nous conduit-il? Vers l’incertitude, vers le risque, vers les conflits, vers l’isolement, il ne fait que parler de patriotisme”.

‘Prisonniers’ du nationalisme

Milorad Dodik n’est pas la seule force centrifuge. Le favori pour le poste croate, le conservateur Dragan Covic, demande la création d’une entité propre pour sa communauté qui serait soumise, selon lui, à la domination politique des Bosniaques dans leur fédération commune.

Cette troisième entité “signifie un conflit inévitable”, prévient son adversaire social-démocrate Zeljko Komsic: “On ne peut pas redessiner les frontières en Bosnie sans la guerre et le sang”.

Le conservateur Bakir Izetbegovic, patron du principal parti bosniaque, a prévenu ceux qui voudraient “déchirer la Bosnie”: “S’ils détruisent l’accord de paix (de Dayton), qu’ils soient conscients qu’ils détruiront la paix aussi”.

Bosnie: 2ème pays le plus pauvre d’Europe

“Le schéma de ces élections est immuable. Nous sommes prisonniers des matrices ethno-nationalistes, dans la fabrication et l’attisement de la peur des autres”, soupire l’analyste politique bosnienne Tanja Topic. “Et pas un mot sur la pauvreté. La Bosnie est le deuxième plus pauvre pays d’Europe, devant l’Albanie”, regrette l’économiste Zarko Papic.

La Bosnie est en butte à un exode massif. Le chômage y touche un tiers de la population (20,5% si le travail clandestin est pris en compte), selon l’institut des statistiques. Le millefeuilles administratif né de Dayton aboutit à la paralysie.

Selon un sondage récent de l’association nationale des journalistes, seuls 20% des Bosniens ont confiance dans leurs politiques.

Le comédien Sanin Milavic résume en un Tweet le sentiment de beaucoup: “Les élections en Bosnie c’est comme remplacer les meubles pourris dans une chambre pour se donner l’illusion du changement. Alors tu te mens en te disant que c’est quand même un peu mieux”.

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