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Comment le Jura s’est forgé en prenant le suisse allemand en grippe

(Keystone-ATS) De 1959 à 1979, l’identité jurassienne s’est forgée à l’aide d’une rhétorique insistant sur le danger encouru par la minorité francophone sous la tutelle bernoise. La dépréciation du suisse allemand y a acquis le statut de posture politique, selon une thèse de doctorat défendue mercredi à l’Université de Neuchâtel (UniNE).

Pour sa thèse de sociolinguistique historique sur la Question jurassienne, Sara Cotelli a exploré la façon dont les organisations séparatistes jurassiennes ont utilisé le discours sur les langues dans leurs efforts pour construire une identité francophone visant à la création d’un nouveau canton.

Ce travail montre comment le discours indépendantiste a cristallisé l’identité jurassienne autour du français depuis l’initiative cantonale de 1959 sur l’autodétermination, perdue par le Rassemblement jurassien (RJ), jusqu’à l’entrée en souveraineté du canton du Jura le 1er janvier 1979.

Durant cette période, les forces séparatistes développent une rhétorique qui insiste sur le danger encouru par la minorité linguistique sous la tutelle bernoise. Elles avancent la menace d’une germanisation des districts jurassiens francophones et offrent une vision très négative du suisse allemand ainsi que du bilinguisme.

Idéologies langagières rabâchées

Souvent considéré comme novateur et progressiste par opposition aux anti-séparatistes taxés de rétrogrades, le mouvement séparatiste met pourtant en avant des idéologies langagières banales, rabâchées et parfois dépassées, qui sont typiques du discours sur le français dans la francophonie, explique Sara Cotelli dans sa thèse.

Les séparatistes s’inscrivent ainsi dans un mouvement plus large de mythification du français et de dépréciation du suisse allemand assez répandu en Suisse romande, tout en réinterprétant ce discours en véritable posture politique dans le contexte de la Question jurassienne. Il s’agit de construire une “muraille de Chine” entre Bernois et Jurassiens, comme le soutiennent alors les partisans de la séparation.

Sara Cotelli a étudié un corpus de textes publiés de 1959 à 1978, constitué notamment de l’hebdomadaire “Le Jura libre”, de publications du RJ ou de certains de ses membres et d’autres documents d’archives. Elle a également procédé à une série d’entretiens, indique l’UniNE dans un communiqué.

Dans sa thèse, elle se livre en outre à une réflexion théorique sur la sociolinguistique historique, un domaine qui est en plein essor. Mme Cotelli est actuellement directrice du Centre de langues de l’UniNE et chargée de cours à l’Institut de langue et civilisation françaises (ILCF).

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