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EPFL: les océans étaient plus froids que l’on pensait jusqu’ici

La période de réchauffement supposée il y a 100 millions d'années pourrait ne pas avoir existé, selon cette étude (archives). KEYSTONE/AP/Roberto Candia sda-ats

(Keystone-ATS) Des chercheurs lausannois et français sont parvenus à la conclusion que la température des océans il y a 100 millions d’années a été largement surestimée. Une découverte susceptible de jeter un éclairage nouveau sur le réchauffement climatique.

Selon l’évaluation communément utilisée par la communauté scientifique, la température de l’océan profond et celle de la surface de l’océan polaire était il y a 100 millions d’années une quinzaine de degrés au-dessus de la température actuelle.

Or selon cette nouvelle étude publiée dans la revue Nature Communications, elle serait en réalité restée relativement stable durant toute cette période et était proche de la nôtre, a indiqué jeudi l’Ecole polytechnique fédérale dans un communiqué.

“Si nous avons raison, notre étude remet en question des dizaines d’années de recherche en paléoclimatologie”, souligne Anders Meibom, co-auteur de cette recherche, directeur du Laboratoire de Géochimie Biologique (LGB) de l’EPFL et professeur à l’Université de Lausanne. Elle ferait également du réchauffement actuel un événement sans précédent ces cent derniers millions d’années.

Analyses de fossiles

“Les océans recouvrent 70% de la Terre. Ils sont un acteur clé du climat terrestre. Il nous faut donc absolument connaître l’évolution de leur température au cours des temps géologiques pour comprendre précisément comment ils se comportent et, ainsi, prévoir au mieux les conséquences du dérèglement climatique actuel”, ajoute le spécialiste, cité dans le communiqué.

La communauté scientifique base depuis plus de 50 ans ses estimations sur l’analyse de foraminifères, des fossiles de minuscules organismes marins. Ceux-ci sont récoltés dans des forages de sédiments, au fond des océans.

Les foraminifères fabriquent une coquille calcaire servant de test, car sa teneur en oxygène 18 dépend de la température de l’eau dans laquelle ils vivent. L’évolution de la température des océans au cours du temps a donc été déduite de la teneur en oxygène 18 des tests de foraminifères fossiles retrouvés dans les sédiments.

Sur la base de cette analyse, la température de l’océan aurait baissé de 15 degrés ces 100 derniers millions d’années. Or ces estimations reposent toutes sur le principe que la teneur en oxygène 18 des tests des foraminifères n’a pas été modifiée durant leur séjour sédimentaire.

Du reste, rien ne le laissait croire jusqu’ici: “Rien n’est visible à l’oeil nu ou au microscope”, a indiqué à l’ats Sylvain Bernard, chercheur CNRS à l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie de Paris et premier auteur de l’étude.

“Paléo-températures fausses”

Pour vérifier cette hypothèse, les auteurs de la présente étude ont exposé ces minuscules organismes à des hautes températures dans de l’eau de mer artificielle ne contenant que de l’oxygène 18. Ils ont ensuite suivi l’incorporation d’oxygène 18 dans les coquilles calcaires à l’aide d’un NanoSIMS (Nanoscale secondary ion mass spectrometry), un instrument permettant de réaliser des analyses chimiques à très petite échelle.

Les résultats obtenus montrent que la teneur en oxygène 18 des tests de foraminifères peut changer sans laisser de trace visible, remettant de fait en question la fiabilité de ce “thermomètre”: “Ce qui apparaissait comme des fossiles parfaitement préservés n’en sont pas. Les paléo-températures estimées jusqu’ici sont donc fausses”, résume Sylvain Bernard.

Pour les chercheurs, plutôt qu’une diminution progressive de la température des océans ces 100 derniers millions d’années, c’est l’évolution de la teneur en oxygène 18 des tests des foraminifères fossiles qui aurait été mesurée.

Rééquilibrage

Celle-ci résulterait en réalité d’un rééquilibrage isotopique: lors du processus de sédimentation, la température augmente (de 20 à 30°C) et les tests de foraminifères se rééquilibrent avec l’eau qui les entoure. A l’échelle de dizaines de millions d’années, un tel phénomène a un impact non négligeable sur l’estimation des paléo-températures, en particulier pour les foraminifères ayant vécu dans des eaux froides.

Pour Anders Meibom, “revisiter les paléo-températures de l’océan nécessite à présent de quantifier précisément ce rééquilibrage qui a été trop longtemps négligé. Pour cela, nous devons travailler sur d’autres types d’organismes marins afin de bien comprendre ce qui s’est passé dans les sédiments au cours des temps géologiques”.

Les auteurs de l’article poursuivent déjà leurs travaux en ce sens. Des chercheurs de l’Université de Strasbourg (F) y ont également contribué.

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