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Faire une demande de dédommagement peut s’avérer très difficile

Pour les victimes d'un placement abusif (ici une photo d'une exposition qui leur a été consacrée), faire une demande de contribution de solidarité peut être très difficile (archives). KEYSTONE/CHRISTIAN BEUTLER sda-ats

(Keystone-ATS) Pour les personnes victimes d’un placement abusif, faire une demande de contribution de solidarité peut s’avérer très difficile, voire impossible. Deux recherches en cours se penchent sur les obstacles qui les poussent souvent à renoncer.

Actuellement, selon l’Office fédéral de la justice, 4525 demandes ont été déposées pour une contribution de solidarité destinée aux victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance et de placements extrafamiliaux avant 1981, ont indiqué jeudi les auteurs des études. Or, entre 12’000 et 15’000 enfants placés de force sont toujours en vie, selon des estimations officielles.

Pour les chercheurs, il serait en tous les cas erroné de conclure du nombre de demandes qu’il y a nettement moins de victimes que ce qui était présumé. Ce décalage s’explique par les difficultés qu’éprouvent les demandeurs potentiels. Les deux études, qui arrivent aux mêmes conclusions, détaillent les raisons pour lesquelles toutes les victimes ne déposent pas de demande.

L’une est menée par la Commission indépendante d’experts (CIE) instituée par le Conseil fédéral pour réaliser une étude historique sur l’histoire des internements administratifs avant 1981. Elle se base sur une soixantaine d’entretiens biographiques réalisés dans toute la Suisse. L’autre travail émane du Fonds national suisse et se base sur 37 entretiens avec des victimes dans le canton de Zurich.

Manque de ressources émotionnelles

Ces entretiens révèlent plusieurs motifs qui peuvent pousser les intéressés à renoncer à présenter une demande. Par exemple beaucoup de victimes n’ont pas les ressources, émotionnelles ou physiques, pour effectuer cette démarche.

Pour recevoir une contribution de solidarité, elles doivent déposer une demande à l’Office fédéral de la justice. Ce contact avec une autorité étatique et la nécessité de rendre vraisemblable leur qualité de victime sont souvent perçus comme une nouvelle restriction de leur autonomie et de leur capacité d’action.

La recherche de documents implique aussi de se plonger dans un processus de remémoration, de se confronter aux dossiers des autorités de l’époque, qui contiennent des notices et des accusations diffamatoires et stigmatisantes. Le prix de ce travail de mémoire est très élevé pour les personnes concernées, car le poids émotionnel est énorme. Certaines préfèrent renoncer.

Distance avec les autorités

Certaines des personnes concernées ont aussi pris leurs distances avec les autorités pour se protéger d’une nouvelle atteinte. Cet éloignement s’explique, selon les chercheurs, par des conditions de départ difficiles dans la vie (formation scolaire et professionnelle limitée en raison des mesures de contrainte à des fins d’assistance, diffamation, stigmatisation, traumatismes).

L’autonomie et l’indépendance acquises grâce à une forte résilience peuvent amener les intéressés à ne rien vouloir demander des autorités et à renoncer à une contribution de solidarité, expliquent les auteurs des études.

Présenter une demande, c’est aussi se déclarer publiquement victime de mesures de contrainte à des fins d’assistance. Or, c’est ce que nombre des personnes concernées se sont justement efforcées d’éviter, pendant des dizaines d’années, allant jusqu’à taire leur passé à leur environnement proche.

Pour ces personnes, les mesures de contrainte à des fins d’assistance sont très souvent liées à des sentiments de honte et à la peur d’être (à nouveau) stigmatisé.

Selon les chercheurs, ces constatations et le renoncement de nombreuses victimes ne doivent cependant en rien relativiser l’importance de la contribution de solidarité. Les victimes ont jusqu’au 31 mars pour faire valoir leurs droits.

Enveloppe de 300 millions

Le Conseil fédéral a mis à disposition une enveloppe de 300 millions maximum. Chaque victime devrait toucher une contribution de solidarité de 25’000 francs. Les 366 premiers versements ont lieu en janvier. Ils concernent des personnes très âgées ou gravement malades.

Les victimes doivent rendre vraisemblable une atteinte directe et grave à leur intégrité physique, psychique ou sexuelle ou à leur développement mental. Les personnes concernées peuvent s’annoncer auprès des points de contact cantonaux et des archives d’Etat pour obtenir gratuitement un soutien dans leurs démarches.

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