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Jacques Dubochet: “Un témoignage de l’unité de la science”

Le professeur Jacques Dubochet est apparu souriant et détendu malgré les fastes du Concert Hall de Stockholm, où la Fondation Nobel organise chaque année une cérémonie somptueuse. KEYSTONE/EPA TT NEWS AGENCY/JONAS EKSTROEMER sda-ats

(Keystone-ATS) Le Vaudois Jacques Dubochet, professeur émérite de l’Université de Lausanne, a reçu dimanche à Stockholm son Prix Nobel de chimie. La distinction, dans laquelle il voit “un témoignage de l’unité de la science”, lui a été remise par le roi de Suède Carl XVI Gustaf.

Détendu et souriant, le Pr Dubochet a reçu des mains du roi une médaille en or et un diplôme. Il partagera avec ses deux co-lauréats un chèque de 9 millions de couronnes suédoises (environ un million de francs).

Le prix Nobel de chimie 2017 a été attribué début octobre à trois biophysiciens, Jacques Dubochet, 75 ans, l’Américain Joachim Frank, 77 ans, et le Britannique Richard Henderson, 72 ans. Ils ont été récompensés pour leurs travaux en cryo-microscopie électronique, qui permet d’observer des molécules en 3D sans les altérer.

Au nom de ses co-lauréats et de lui-même, le Suisse a relevé dans une brève allocution prononcée en soirée qu’il s’était efforcé d’élaborer une forme de représentation du monde par l’étude du vivant, la biologie, et des lois régissant l’espace et les forces, la physique.

“Nous sommes trois biophysiciens, soit trois scientifiques qui travaillent en biologie avec l’esprit de physiciens”, a-t-il ajouté.

L’unité de la science

“Nous trois n’avons jamais été de très bons chimistes, mais nous sommes gratifiés d’un Prix Nobel en chimie”, a encore dit M. Dubochet, selon le texte écrit de son discours. Avant de plaisanter: “Le principe de Peter dit que chacun est promu jusqu’à ce qu’il atteigne son niveau d’incompétence. Nous sommes préoccupés à l’idée d’avoir peut-être atteint ce remarquable point”.

Plus sérieusement, le chercheur retraité a déclaré voir dans cette récompense un témoignage de l’unité de la science. Il a souligné qu’en trente ans, la résolution en cryo-microscopie électronique a été améliorée d’un facteur dix, notamment grâce aux avancées de ses deux co-lauréats.

A une telle résolution, les atomes sont visibles, “nous voyons la chimie, comment les atomes sont arrangés en molécules, comment la maladie change l’arrangement”. En guise de conclusion, il a invité ses successeurs à faire le meilleur usage possible de cet outil.

Mieux voir les biomolécules

Jacques Dubochet et son équipe ont inventé la cryo-microscopie électronique dans les années 1980. Elle permet d’étudier des échantillons biologiques (virus, protéines, enzymes) sans dénaturer leurs propriétés.

Grossièrement, il s’agit de congeler l’échantillon en le refroidissant à -170 degrés pour qu’il conserve son état originel. Plus précisément, l’eau de la molécule est “vitrifiée” le plus rapidement possible avant sa cristallisation.

Salmonelle, protéines résistantes aux antibiotiques, molécules qui régissent les rythmes circadiens sont autant d’exemples de biomolécules aujourd’hui imagées grâce à la cryo-microscopie.

En microscopie électronique conventionnelle, il est fréquent d’utiliser des colorants ou des sels de façon à obtenir la meilleure image possible. Mais ces procédés perturbent l’observation.

Zika et Alzheimer

En 1990, Richard Henderson a le premier produit une image en 3D d’une protéine avec une résolution au niveau de l’atome. Joachim Frank a ensuite perfectionné cette technique et l’a rendue plus facile à utiliser.

En mars 2016, une étude publiée dans la revue Science dévoile la structure du virus Zika, rendue possible grâce à la cryo-microscopie. Des images 3D du virus ont ensuite été générées et les chercheurs ont pu lancer des recherches ciblées de traitements et de vaccins.

La méthode a également été utilisée pour étudier les enzymes impliquées dans des affections comme la maladie d’Alzheimer.

Scientifique et blogeur

Jacques Dubochet a été “conçu en 1941 par des parents optimistes”, comme il l’indique dans son curriculum vitae sur le site internet de l’université de Lausanne (UNIL). Il naît à Aigle (VD) en 1942 et effectue sa scolarité entre les cantons de Vaud et du Valais.

En 1955, il est détecté comme le “premier dyslexique officiel du canton de Vaud”. Grâce à l’appui d’un directeur d’école informé et compréhensif, il peut néanmoins persévérer sur la voie des études.

Sa maturité en poche, il rejoint l’Ecole polytechnique de l’Université de Lausanne (EPUL, devenue EPFL en 1969) et y décroche son diplôme d’ingénieur physicien en 1967. Il se passionne ensuite pour la biologie et passe en 1969 un certificat en biologie moléculaire à l’Université de Genève.

Il poursuit ses études en microscopie électronique, qui devient sa matière principale. En 1973, il soutient sa thèse en biophysique, réalisée à Genève et à Bâle.

Retraité actif

Jacques Dubochet mène ensuite sa carrière en Allemagne, à Heidelberg, avant de revenir à l’UNIL en 1987. Il est nommé professeur au Département d’analyse ultrastructurale et directeur du centre de microscopie électronique. Ses recherches lui valent une renommée internationale.

Retraité depuis 2007, l’ancien professeur se consacre désormais à ses passions, notamment la montagne et la nature. Très intéressé par la politique, il se réclame de gauche. Sur son blog, il commente l’actualité, donne ses conseils de lecture et prend part aux débats.

Jacques Dubochet est le 28e Suisse nobélisé. Au total, huit Helvètes ont reçu un prix Nobel de chimie.

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