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L’oligarque Roman Abramovitch devant la justice fribourgeoise

L'homme d'affaires Roman Abramovitch est arrivé une dizaine de minutes avant le début de l’audience. KEYSTONE/EPA KEYSTONE/ANTHONY ANEX sda-ats

(Keystone-ATS) La justice fribourgeoise a la lourde tâche de traiter une affaire financière exceptionnelle impliquant le célèbre oligarque russe Roman Abramovitch. Venu en personne à Fribourg mercredi, le multimilliardaire de 52 ans conteste les faits qui lui sont reprochés.

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) mène une procédure civile contre l’entreprise Gazprom, contre Roman Abramovitch et contre son associé Evgeny Shvidler. Elle réclame des dizaines de millions de francs, soit le remboursement d’une dette de longue date, plus les intérêts.

Roman Abramovitch arrive dix minutes avant l’audience, en costume sans cravate, l’air relativement décontracté mais sans décocher un mot. L’homme d’affaires, connu aussi comme patron du club de foot britannique Chelsea, n’est pas flanqué de gardes du corps rapprochés. Toutefois, un solide dispositif policier veille au grain.

Les journalistes sont sur le qui-vive, les flashes des photos crépitent, dans un savant ballet pour s’approcher au plus près possible de la star sans risquer de se faire jeter. Etonnamment, cet événement ne semble toutefois pas avoir mobilisé de médias étrangers.

Conciliation impossible

Les équipes de défense des accusés totalisent une vingtaine de personnes. Parmi les avocats: des ténors fribourgeois, genevois et étrangers. S’y ajoutent deux interprètes qui chuchotent à l’oreille de chacun des deux hommes d’affaires tout au long des débats.

Le président du Tribunal Stéphane Raemy vérifie s’il y a “encore un petit espoir” de concilier les parties, en dépit de leurs milliers de pages d’interventions figurant déjà au dossier. Sans surprise, cette ultime tentative se solde par un échec.

“Pas des vaches à lait”

La BERD cherche à “se refaire” après des opérations imprudentes en Russie, assènent les défenseurs des deux hommes d’affaires. Ces derniers semblent être “des cibles faciles” à cause de leur fortune, mais ils n’entendent pas devenir des “vaches à lait” ou “dindons de la farce” en payant les pots cassés des erreurs de la BERD.

Au passage, les avocats raillent le fait qu’un procès d’une telle ampleur se déroule dans la “promiscuité” d’une salle de taille si modeste. Ils critiquent aussi le rythme “effréné”, “intolérable”, imposé pour les débats qui devraient se clore en moins de trois mois.

Les avocats détaillent encore des questions préliminaires techniques. Le Tribunal suspend l’audience à mi-journée et exige que les parties se déterminent sur ces points d’ici au 7 mai. Le procès reprendra le 9 mai. Les parties sont dispensées de venir, sauf les représentants de la BERD qui seront entendus par la Cour.

Faillites

Avant cette audience devant le Tribunal civil de la Sarine, cette affaire a été un long serpent de mer. Pour la saisir, il faut plonger dans ses ramifications financières labyrinthiques.

En 1997, la BERD accorde un prêt à la banque russe SBS Agro, dans le cadre d’un programme d’aide au développement de petites entreprises en Russie. Puis SBS Agro fait faillite, et la BERD ne peut pas se faire rembourser par elle.

La BERD a toutefois pu se faire céder une autre créance: un prêt commercial que SBS Agro avait accordé à l’entreprise Runicom. Runicom, alors enregistrée à Fribourg, commercialise du pétrole pour la compagnie Sibneft. Roman Abramovitch en est propriétaire, et Evgeny Shvidler a présidé le conseil d’administration jusqu’en 1996.

La BERD se tourne donc vers Runicom pour obtenir remboursement de cette créance-là, mais sans succès. Runicom affirme avoir déjà remboursé ce prêt à une autre banque, nommée Zoloto-Platina, et à laquelle SBS Agro aurait entretemps transféré ses créances.

Traque sans relâche

La BERD actionne la justice russe, qui finit par lui donner raison en 2002. Mais elle n’obtient toujours pas remboursement car Runicom dépose le bilan.

La BERD ne lâche pas le morceau: elle lance une procédure en terres fribourgeoises, étant donné que Runicom y était enregistrée. Elle soupçonne que des actifs financiers lui aient filé sous le nez par un tour de passe-passe, dans lequel Sibneft aurait joué un rôle.

Le géant gazier Gazprom est visé par la procédure car il a avalé Sibneft en 2005. La multinationale a racheté les parts de Roman Abramovitch dans Sibneft pour quelque 17 milliards de francs.

Gazprom conteste la compétence fribourgeoise, arguant que le for juridique est en Russie. Mais en 2014, le Tribunal fédéral déboute la multinationale, ce qui ouvre la voie au procès sur sol suisse.

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