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La bibliothèque d’Ajaccio, caverne d’Ali Baba inattendue

Des lettres non répertoriées dans la correspondance de Napoléon qui datent de la campagne d'Allemagne de l'empereur en 1813 ont été retrouvées dans une librairie d'Ajaccio en Corse (image symbolique). KEYSTONE/AP/PETR DAVID JOSEK sda-ats

(Keystone-ATS) Un ouvrage rarissime sur l’égyptologie, des lettres inédites de Napoléon, un livre dédicacé par Gustave Eiffel sur la “tour de 300 mètres” : c’est dans une modeste bibliothèque d’Ajaccio que ces trésors oubliés ont été découverts par hasard ces derniers mois.

C’est “entre le bottin de Corse et un Marc Levy”, populaire auteur français, au milieu de “vieux dentiers et de blattes”, que Vannina Schirinsky-Schikhmatoff, conservatrice missionnée par la mairie d’Ajaccio, en Corse, a découvert le “Thesaurum Hyeroglyphicorum” qui date de 1610. Elle remettait alors de l’ordre dans la réserve de la bibliothèque.

“Il s’agit du premier livre d’égyptologie. Le Musée de l’Homme en a un exemplaire complet et la Bibliothèque nationale de France en a un incomplet, au total il y en a sept recensés dans le monde, dont trois complets”, précise-t-elle à l’AFP. Il manque deux pages dans celui retrouvé à Ajaccio.

“Les Corses sont considérés comme sous-développés au niveau culturel et, pour la première fois, on a un ouvrage qui nous place au niveau mondial”, se félicite la conservatrice de la bibliothèque qui date du début du XIXe siècle et est installée dans le palais Fesch, au centre d’Ajaccio.

“Découverte importante”

Au fil des pages recouvertes de gravures, on découvre la finesse et l’extraordinaire précision des hiéroglyphes de l’ouvrage issu de la prestigieuse collection de Jean-Baptiste Colbert, l’un des principaux ministres du roi Louis XVI (1638-1715).

Pour l’égyptologue italien Francesco Tiradritti, directeur de la mission d’archéologie italienne à Louxor (Égypte), c’est “une découverte importante”. “Nous sommes en train de monter un projet international autour de ce livre”, confie l’expert, attendu sur l’île française, en septembre.

“C’est un livre très important qui se pose à la racine de l’égyptologie moderne”, renchérit Simone Martini, restaurateur italien d’art mandaté par la mairie ajaccienne pour intervenir sur cette pièce rare et une dizaine d’ouvrages anciens. Parmi eux, plusieurs incunables, des ouvrages imprimés avant 1500, notamment “Les Chroniques de Nuremberg” datant de 1493.

“La valeur artistique et historique de ces oeuvres, comme de beaucoup d’autres conservées dans la bibliothèque, est remarquable”, insiste-t-il. Il a débuté “le lavage” de ces livres pour les débarrasser des moisissures et doit compléter leur restauration en septembre. C’est d’ailleurs en travaillant sur un Pétrarque datant de 1496 qu’il a lui-même exhumé, entre la couverture en bois et la page de garde, deux parchemins médiévaux.

Chasse aux trésors

Vannina Schirinsky-Schikhmatoff évoque également les éditions originales et complètes de la campagne d’Égypte de l’empereur Napoléon (né à Ajaccio en 1769), “une quinzaine de volumes retrouvés aux quatre coins de la bibliothèque”, ou “La tour de 300 mètres”, “un double volume de Gustave Eiffel, signé de sa main” qui réunit les plans de la célèbre tour de fer de Paris.

“Je fais du sauvetage patrimonial, c’est comme une chasse aux trésors”, résume-t-elle, insatiable, en présentant sa dernière trouvaille : des lettres écrites par plusieurs membres de la famille impériale dont neuf signées de Napoléon, qui ont échappé de peu à la poubelle.

La conservatrice a aussi retrouvé des “lettres non répertoriées dans la correspondance de Napoléon” et qui datent de la campagne d’Allemagne de l’empereur en 1813, dit-elle. “Nous sommes les seuls à les détenir”, ajoute-t-elle fulminant qu’une inédite soit manquante, “probablement volée”.

Plusieurs vies

La responsable des bibliothèques d’Ajaccio, Elisabeth Perié, regrette d’ailleurs “qu’il manque beaucoup de livres, des prêts qui n’ont pas été rendus” et souligne que la sécurité de la bibliothèque a été renforcée. Elle conduit aujourd’hui des travaux pour offrir à cette “mine d’or” des conditions d’humidité et de température adéquates, en la protégeant notamment d’un tuyau d’eaux usées qui traverse la réserve de la bibliothèque.

Vannina Shirinsky-Schikhmatoff et Elisabeth Perié ne doutent pas que d’autres trésors dorment encore dans la salle patrimoniale de la bibliothèque dont l’inventaire reste à faire. “Il faudra plusieurs vies, je n’ai exploré que 5 % de la bibliothèque”, note la conservatrice.

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