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La procureure générale du Venezuela dénonce le recours aux tribunaux militaires

Policiers et militaires utilisaient des grenades lacrymogènes et des canons à eau pour repousser les manifestants. Face à eux, un groupe de jeunes gens aux visages masqués avaient troqué leurs cocktails Molotov pour des bombes d'excréments baptisées "cacatov". KEYSTONE/AP/ARIANA CUBILLOS sda-ats

(Keystone-ATS) La procureure générale du Venezuela a dénoncé le recours aux tribunaux militaires à l’encontre des civils arrêtés lors de la vague de manifestations depuis début avril. Celle-ci a coûté la vie à près de 40 personnes dont un jeune de 27 ans mercredi.

“La Constitution garantit le procès des civils devant la juridiction ordinaire”, ont rappelé ses services dans un communiqué. Au Venezuela, la procureure générale de la Nation, Luisa Ortega, apparaît comme la seule voix discordante au sein du camp présidentiel.

Elle s’était aussi élevée contre la décision fin mars de la Cour suprême, réputée proche du chef de l’Etat, de s’octroyer brièvement les pouvoirs du Parlement, seule institution contrôlée par l’opposition. La manoeuvre avait déclenché la vague de manifestations et de violences réclamant le départ du président socialiste Nicolas Maduro.

Juger des civils par l’armée est une “pratique des dictatures”, a commenté le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), Luis Almmagro. L’homme est l’un des plus critiques à l’international envers la situation vénézuélienne, qui suscite aussi l’inquiétude de Washington, de l’ONU et de l’Union européenne.

Nouveaux rassemblements

Mercredi, plusieurs milliers d’opposants se sont à nouveau massés sur une autoroute près de Caracas. Ils ont tenté d’accéder au centre de la capitale pour se rendre au Tribunal suprême.

Le parquet a annoncé en soirée qu’un manifestant de 27 ans avait été tué mercredi à Caracas, sans autre détail. Un chauffeur de mototaxi, blessé lundi par balle à la tête, est également décédé mercredi, de même source.

Ces deux morts portent à au moins 38 le bilan des violences depuis début avril lors d’affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, de pillages survenus en marge des mobilisations ou de fusillades. Des centaines de blessés sont aussi à déplorer.

Des “cacatov” après les Molotov

Policiers et militaires utilisaient des grenades lacrymogènes et des canons à eau pour repousser les manifestants. Face à eux, un groupe de jeunes gens au visage masqué avaient troqué leurs cocktails Molotov pour des bombes d’excréments baptisées “cacatov”. Une tactique choisie en réponse à la “répression” des forces de l’ordre, ont expliqué certains jeunes.

“Quand on ferme toutes les portes démocratiques à un peuple, que lui reste-t-il? Basculer dans la rue. Nous sommes dans un scénario de résistance”, a lancé le leader d’opposition Henrique Capriles.

Presque tous les jours depuis le 1er avril, des milliers de Vénézuéliens défilent dans tout le pays pour exiger des élections générales anticipées afin de faire partir le président Maduro (élu jusqu’en 2019). Ils rejettent aussi son projet de modifier la Constitution.

Militarisation de la justice?

L’ONG Foro Penal affirme que 1990 personnes ont été interpellées au total, dont 650 sont encore incarcérées. Dans ce climat de vives tensions sociales, l’opposition et des ONG avaient condamné mardi le procès de dizaines de civils devant des tribunaux militaires, dénonçant une manoeuvre du gouvernement pour juguler les mouvements de protestation.

Selon Jesus Suarez, le général chargé de la région Centre, où se trouve Caracas, sur 780 personnes interpellées, 251 ont été mises à la disposition de tribunaux militaires pour “agression visant un militaire” et “association en vue de (fomenter) la rébellion” lors des manifestations.

Soixante-treize d’entre elles ont été emprisonnées sur ordre de ces juridictions dans l’Etat de Carabobo (centre), selon Alfredo Romero, directeur de Foro Penal. “S’ils militarisent déjà tout, pourquoi ne le feraient-ils pas aussi avec la justice?”, s’est emporté le député d’opposition Henry Ramos Allup, insistant sur le rôle central de l’armée au Venezuela. “Ils veulent le contrôle total”, a-t-il affirmé.

Mortalité infantile en hausse

Le parquet a pris position sur le sujet à l’occasion de l’arrestation à Rosario de Perija (nord-ouest) de 14 personnes accusées d’avoir détruit une statue du défunt ex-président Hugo Chavez (1999-2013) et d’avoir tenté de mettre feu à la mairie en signe de protestation.

Le procureur de l’Etat de Zulia, compétent dans cette affaire, a requis qu’elles “soient jugées par un tribunal civil et non militaire”. La décision a été rendue publique par les services de la procureure générale de la Nation, Luisa Ortega, sur Twitter.

Signe de l’ampleur de la crise qui frappe le Venezuela, entraînant une pénurie de médicaments, la mortalité infantile y a augmenté de 30,12 % en 2016 par rapport à l’année précédente, selon le ministère de la Santé, qui publie ces chiffres pour la première fois depuis deux ans.

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