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Le Conseil des Etats souhaite que le Parlement tranche

Un Suisse a joué un rôle clé dans l'élaboration du Pacte de l'ONU sur les migrations. Les négociations ont été menées sous la houlette de l'ambassadeur helvétique aux Nations Unies Jürg Lauber (ici en photo) et de son homologue mexicain Juan José Gomez Camacho (archives). KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI sda-ats

(Keystone-ATS) Le Parlement doit avoir le dernier mot concernant le Pacte de l’ONU sur les migrations. Contre l’avis du gouvernement, le Conseil des Etats a adopté jeudi par 25 voix contre 15 une motion en ce sens. Le National doit encore se prononcer.

Le pacte qui vise à définir des critères harmonisés pour une migration ordonnée a donné lieu à trois heures de débat. L’UDC, le PLR et plusieurs élus PDC ne le soutiennent pas. Mais pas question de renoncer une bonne fois pour toutes à signer le document et de mettre fin au rôle de premier plan joué par la Suisse dans ce processus.

Les sénateurs ont rejeté par 22 voix contre 14 une motion en ce sens de Hannes Germann (UDC/SH). Ils n’en tiennent pas moins à ce que le Parlement ait son mot à dire. La manière dont le gouvernement a présenté le pacte en ne consultant qu’à la marge les commissions parlementaires a en effet irrité plus d’un élu.

Le sujet de la migration est sensible pour la population, a relevé Filippo Lombardi (PDC/TI). “Il nécessite une discussion approfondie sur le contenu du pacte.” Or en l’état, le document onusien fait plutôt l’unanimité contre lui, du moins dans les rangs de la droite.

Le pacte énumère un grand nombre de droits et de mesures y compris d’ordre financier auxquels les migrants pourraient prétendre. Adopté, il signifie une capitulation de notre Etat de droit, a affirmé Hannes Germann.

“Ce n’est pas à l’ONU de nous dire comment régler la migration”, a renchéri Thomas Minder (Indépendant/SH). “Que pensent les Grecs de ce pacte, quand eux-mêmes ne trouvent pas de travail dans leur propre pays?” Le pacte ne contient pas de devoirs pour les migrants ou leur pays d’origine, mais une liste sans fin pour le pays d’accueil, s’est insurgé Philipp Müller (PLR/AG).

La marque de l’extrême-droite

La gauche et Anne Seydoux (PDC/JU) ont été bien seuls à défendre le projet. “Ce pacte porte le drapeau suisse. Il est navrant aujourd’hui que certains milieux s’en prennent à notre ambassadeur Jürg Lauber, représentant de notre gouvernement”, a relevé Christian Levrat (PS/FR). Les 23 mesures prévues par l’ONU correspondent aux principes de la politique migratoire de la Suisse.

Le Fribourgeois s’est dit surpris que des pans entiers de la politique suisse tombent dans le registre du discours d’extrême-droite. “Est-ce que la Suisse veut vraiment s’aligner sur la politique de l’AfD, du FPÖ, d’Orban ou de Trump”, a-t-il lancé. Cette posture de la Suisse nuira à la Genève internationale, a renchéri Maury-Pasquier (PS/GE).

Donner au Parlement la compétence de se prononcer dans un cas comme celui-ci va à l’encontre du droit constitutionnel, a fait valoir Christian Levrat. En l’espèce, les Chambres ne peuvent qu’avoir une voix consultative, sans plus.

Contraignant ou pas ?

Les discussions ont longuement porté sur le caractère contraignant ou non du document. S’il n’est pas contraignant juridiquement, il l’est politiquement, estime Philipp Müller. Ce ne sera qu’une question de temps pour que des ONG ou d’autres organisations ne saisissent des tribunaux en s’appuyant sur ce pacte, selon lui.

“Je n’ai jamais entendu dire que le droit dit souple (“soft law”) se transforme en droit coutumier obligatoire”, a rétorqué Didier Berberat (PS/NE). Une garantie répétée encore mercredi par Louise Arbour, la représentante spéciale de l’ONU pour les migrations.

Des questions restent ouvertes sur la limite entre la “soft law” et la “hard law” dans les relations internationales. Dans ce contexte, les sénateurs ont tacitement adopté un postulat qui exige dans les six mois un rapport sur l’association du Parlement. Tous les instruments ne revêtent pas la même importance et des critères de classification sont nécessaires.

Portée limitée

Le conseiller fédéral Ignazio Cassis s’est pour sa part voulu rassurant: le pacte ne veut ni encourager, ni réduire l’immigration. Il ne veut que lutter contre l’immigration illégale.

Mais face à tant d’opposition, le gouvernement a déjà annoncé qu’il ne se rendrait pas à la conférence de Marrakech les 10 et 11 décembre lors de laquelle le pacte sera formellement adopté. Il préfère attendre la fin des débats aux Chambres. Le National doit se prononcer le 6 décembre.

Presque tous les pays ont soutenu le pacte migratoire lors de son approbation par l’assemblée générale de l’ONU en juillet. Seuls les Etats-Unis s’en étaient déjà désolidarisés. Ont suivi depuis la Hongrie, l’Autriche, l’Australie, la Tchéquie, Israël, la Pologne, la Bulgarie et l’Estonie. Le gouvernement italien a décidé mercredi de laisser le dernier mot au Parlement.

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