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Le délicat déménagement d’un rhinocéros à une corne du Népal

Depuis la fin des années 1980, le Népal gère un programme de relocalisation de rhinocéros unicornes - espèce qui n'existe que dans ce pays himalayen et en Inde voisine - pour repeupler certains parcs nationaux desquels ils ont presque disparu (archives). KEYSTONE/AP/ANUPAM NATH sda-ats

(Keystone-ATS) Encore engourdi du trajet en camion, le rhinocéros à une corne charge soudain les éléphants montés de cornacs qui encadrent son transfert dans une réserve de l’ouest du Népal. Le transfert est destiné à vivifier cette espèce vulnérable.

Ce mâle ronchon est le premier à être déménagé dans le parc national de Shuklaphanta, qui ne comptait plus qu’environ huit de ses congénères. Il y sera bientôt rejoint par quatre femelles en âge de procréer.

Depuis la fin des années 1980, le Népal gère un programme de relocalisation de rhinocéros unicornes – espèce qui n’existe que dans ce pays himalayen et en Inde voisine – pour repeupler certains parcs nationaux desquels ils ont presque disparu. En trente ans, 87 d’entre eux ont été ainsi déplacés.

Mais déménager une bête d’une telle puissance est une opération pleine d’imprévus qui requiert une logistique délicate.

A la recherche d’unicornes

La veille, dans le parc national de Chitwan (centre), c’est une équipe d’une centaine de personnes qui se met en marche au petit matin. A pied, à dos d’éléphants, elle s’étire dans la plaine et la jungle dense, communiquant par brefs cris ou signes de la main.

Des milliers de rhinocéros à une corne peuplaient autrefois les plaines du Népal mais le braconnage et l’extension de l’habitat humain ont fait chuter leur nombre à une centaine à la fin du siècle dernier. Grâce à des mesures contre les trafiquants et des efforts de protection de l’espèce, la population de rhinocéros a remonté au cours de la dernière décennie. Le Népal en compte désormais 645.

Un premier rhinocéros est repéré. Mais lorsqu’il émerge de l’épaisse végétation, les rabatteurs réalisent que c’est une femelle accompagnée d’un jeune enfant d’environ neuf mois.

Le petit rhinocéros ayant besoin de rester avec sa mère jusqu’à l’âge de deux ans, l’équipe les laisse en paix et poursuit ses recherches.

Mâle de deux tonnes

Trois heures plus tard, les rangs bruissent d’un murmure d’excitation. Un autre Rhinoceros unicornis est en vue, un gros mâle de deux tonnes.

Lentement, les éléphants l’encerclent pour le pousser vers un tireur armé d’un tranquillisant. Il faut procéder avec tact: le moindre faux mouvement et l’animal pourrait ruer contre les éléphants ou s’enfuir dans le forêt.

Petit à petit, l’imposant herbivore se meut vers le terrain dégagé où on veut l’acculer, flirtant avec la limite de la zone de tir. Il finit par s’arrêter. Il est dans la ligne de mire.

Le flèche le frappe au flanc. Furieux, il détale. Mais l’anesthésie gagne déjà ses membres. Une centaine de mètres plus loin, le rhinocéros s’effondre.

On le ligote. On lui bande les yeux. Une dizaine d’hommes le font rouler sur un chariot tiré par une pelleteuse.

En route pour quinze heures de voyage vers son nouveau foyer, à 450 kilomètres de là.

Braconnage

Ces relocalisations devraient être reproduites une trentaine de fois au cours des prochaines années. Le gouvernement népalais veut repeupler en rhinocéros à une corne les parcs de Shuklaphanta et la réserve de Bardia, multipliant ainsi les chances de survie de l’espèce.

Les efforts de protection ont permis de passer en 2008 ces animaux du statut d’espèce “en danger” à celui de “vulnérable” dans la classification de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Cependant le trafic de cornes de rhinocéros, prisées en Chine et en Asie du Sud-Est pour leurs vertus médicinales supposées, continue à poser une menace.

Seuls trois rhinocéros ont été tués par des braconniers au cours des quatre dernières années au Népal, le dernier en date samedi. Mais si le niveau de vigilance baisse, les braconniers reviendront, prévient Gam Bahdhur Tamang. Âgé de 72 ans, l’homme est un retraité de la première patrouille de protection des rhinocéros du Népal, une unité mise sur pied en 1959 par le roi d’alors.

“Quand un rhinocéros meurt, c’est comme si je perdais mon père”, confie-t-il.

Un nouveau chez lui

Après avoir roulé toute la nuit, le camion transportant le rhinocéros mâle atteint en milieu de matinée le parc national de Shuklaphanta, à l’extrémité sud-ouest du Népal.

L’attente est grande lorsque s’ouvre la porte de la cage, qui révèle le vaste dos de la bête encore assoupie. Malgré le long voyage, elle ne semble pas vouloir bouger.

Le rhinocéros sort finalement de la remorque d’un pas hésitant. Il donne quelques petits coups de tête contre le camion, comme pour éprouver sa solidité.

D’un coup, il avise le groupe d’éléphants des garde-forestiers. Sans prévenir, il charge, tête baissée. Les pachydermes paniquent. L’un d’entre eux reçoit une entaille.

Le rhinocéros disparaît en courant dans la forêt, laissant derrière lui une traînée de poussière.

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