Des perspectives suisses en 10 langues

Les musées confrontés à leurs mystères

La découverte de plus de 1500 toiles chez Cornelius Gurlitt, fils d'un marchand d'art au passé trouble, a relancé les discussions sur la restitution d'oeuvres spoliées par les nazis. Cette question ne s'arrête toutefois pas à cette période et d'autres biens sont concernés (image symbolique). KEYSTONE/APA/ORF sda-ats

(Keystone-ATS) Les musées détiennent des oeuvres acquises dans des conditions douteuses. Leurs conservateurs doivent faire des recherches pour en connaître la provenance et le cas échéant les restituer. Mais ils sont face à des situations complexes: tout n’est pas blanc ou noir.

Si les oeuvres volées par les nazis ont beaucoup fait parler d’elles, la question de la restitution est centrale aussi pour d’autres objets. Mais elle ne se pose pas toujours en termes simples, souligne Bernard Knodel, conservateur adjoint du Musée d’ethnographie de Neuchâtel (MEN).

Le droit n’a pas toutes les réponses. La plupart des objets sont arrivés dans les collections avant l’entrée en vigueur des lois, notamment sur le transfert de biens culturels.

Les problèmes de provenance sont aussi au coeur du Code de déontologie de l’ICOM (Conseil international des musées). Ils posent un enjeu éthique autant que juridique, explique Ece Velioglu, assistante doctorante au Centre du droit de l’art de l’Université de Genève.

De la recherche de provenance…

Le MEN a déjà évalué la majeure partie de ses collections. Il s’agit de déterminer dans quelles conditions les missionnaires, commerçants, militaires ou ethnologues ont ramené le patrimoine d’autres populations, explique M. Knodel.

En 1889, une chasuble était arrivée au MEN. “Nous savons qu’elle a été pillée lors de la guerre de la Triple Alliance opposant l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay au Paraguay (1864-1870)”, raconte M. Knodel. Une pratique légitime à l’époque, précise Mme Velioglu. Un ancien conservateur le mentionne sur l’étiquette accompagnant le vêtement liturgique.

Les musées doivent s’assurer que les objets n’ont pas été acquis illégalement, indique David Vuillaume, secrétaire général d’ICOM Suisse. Un travail long et parfois ingrat. Nous ne pouvons pas toujours retracer le parcours d’un objet, explique M. Knodel.

Dans certains cas, il est difficile de dire si le bien a été acquis de bonne foi. “Parfois c’est plus complexe”, fait comprendre le conservateur adjoint. Il y a “encore des recherches à faire”, même si les experts n’arrivent pas à chiffrer les cas.

… à la restitution?

En 1926, un médecin neuchâtelois, consul du Paraguay à Lausanne, propose d’échanger la chasuble contre sa collection ethnographique et archéologique de Patagonie. Le vêtement a été restitué au Paraguay, mais la transaction est restée confidentielle.

Aujourd’hui, le MEN ne sait toujours pas comment cette chasuble était arrivée au musée en 1889, ni pour quel motif elle est retournée au Paraguay. “Cela nous échappe”. M. Knodel précise que le musée n’a pas retrouvé sa trace après la restitution.

Il y a différentes façons de “restituer” suite à une recherche de provenance, souligne M. Vuillaume. L’objet peut par exemple rester la propriété du musée suisse ou européen dans lequel il est déposé, mais être exposé dans le musée du pays d’origine pour une période déterminée.

Quand le droit ne suffit pas

Les lois ne suffisent pas à “corriger les erreurs du passé”, car elles ne sont pas rétroactives, souligne Ece Velioglu. “Un tribunal ne peut pas évaluer un ancien cas avec les règles en vigueur aujourd’hui.”

Le Centre du droit de l’art a créé la base de données ArThemis. Elle regroupe des exemples de litiges résolus principalement par le biais de modes alternatifs: négociation, conciliation, arbitrage ou d’autres solutions originales. Celles-ci permettent aux parties de tenir compte des principes éthiques et moraux en plus, ou à la place, des aspects purement juridiques.

Son but est de proposer aux acteurs impliqués dans le domaine du droit de l’art et des biens culturels des précédents en la matière comme cadre de référence ou encore comme solutions potentiellement applicables au cas d’espèce, précise Mme Velioglu.

Les institutions n’ont aucun intérêt à taire l’origine de leurs collections, estime l’ICOM. Si un objet a été acquis illégalement, il faut le rendre, juge David Vuillaume. Ce n’est toutefois pas toujours possible dans l’immédiat: un objet volé en Syrie par exemple ne peut aujourd’hui pas y retourner, au risque d’être perdu à jamais.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision